L'espérance de vie des «califes» de Daech est de plus en plus courte. Le groupe a été contraint de reconnaître le deuxième décès d'un dirigeant en seulement quelques mois. Les combattants ne sont même pas vraiment affligés par ces pertes car ils ne savent rien ni des nouveaux ni des anciens dirigeants. Ils promettent simplement et aveuglément une loyauté sectaire à ces sombres personnages.
En Irak et en Syrie, les activités meurtrières de Daech semblent heureusement en déclin, avec un nombre fortement réduit d'attaques, confinées à un nombre décroissant de localités, en particulier des zones comme Kirkouk, Ninive et Salaheddine, où les paramilitaires des Hachd al-Chaabi soutenus par l'Iran semblent heureux de fermer les yeux.
Daech considère ces milices affiliées à Téhéran comme la voie la plus prometteuse pour retrouver leur domination, compte tenu de leurs efforts incessants pour déstabiliser l'État irakien et déclencher des tensions sectaires. Le Hezbollah et le Hachd al-Chaabi ne se lassent pas de diaboliser tous les sunnites comme partisans de Daech, alors que la présence réelle du groupe au Liban est de plus en plus réduite.
Malgré des rapports quotidiens faisant état d'arrestations et de morts d'extrémistes, les prédécesseurs démoniaques de Daech se sont remis d’une défaite stratégique par le passé. Fascinés par leur vision millénariste du monde, ils croient que l'Histoire est de leur côté et, s'ils sont en position désavantageuse aujourd'hui, ils pensent que la victoire leur sera assurée dans cinq, vingt ou cent ans.
La situation confuse et fluctuante en Syrie, où différents États, comme la Turquie, l'Iran, la Russie, ainsi qu’un éventail déroutant de groupes extrémistes jouent des coudes pour le contrôle du pays, est mûre pour un retour de Daech dans un avenir proche, en particulier si le groupe réussit son ambition de «briser le murs» de vastes camps où sont détenus des dizaines de milliers de militants présumés.
En Afghanistan, la «province du Khorasan» de Daech tient un discours offensif, dénonçant de manière non vraisemblable les talibans comme ayant trahi leur cause en faveur de l'Occident, et fait de graves compromis avec leurs principes islamiques. En organisant des attaques sanglantes contre les chiites et d'autres minorités, Daech prétend cyniquement que les talibans se sont faits les protecteurs des «apostats» et des «infidèles». De tels propos pourraient porter leurs fruits dans les zones tribales conservatrices, à la frontière afghano-pakistanaise, où de nombreux anciens partisans des talibans se demandent pourquoi ils n'ont pas tiré profit du retour au pouvoir des talibans. Ces quelques derniers jours, Daech a tenté d'assassiner l'ambassadeur du Pakistan à Kaboul.
Cependant, c'est en Afrique que Daech se développe le plus ostensiblement et le plus agressivement. En 2018, plus de 80% de l'activité du groupe terroriste était concentrée en Irak et en Syrie, alors que la majorité de ses attaques se déroulent aujourd’hui en Afrique. Les extrémistes du groupe sont en position de force dans de vastes régions du centre du Mali, dans le nord du Burkina Faso et du Niger, avec des attaques atteignant même le Bénin et le Togo. Ces forces étant concentrées sur le recrutement selon des clivages tribaux, elles ont pu se développer rapidement, avec des attaques dévastatrices mettant à contribution des centaines de combattants à moto déployés contre d'autres tribus, des milices d'autodéfense et des forces étatiques.
Certaines des plus grandes batailles ont opposé des membres de Daech et d'Al-Qaïda, les deux groupes cherchant à dominer ces vastes espaces échappant au contrôle gouvernemental. Ces dernières semaines, Daech a publié des images stupéfiantes de dizaines de combattants d'Al-Qaïda qu'il avait tués.
Par ailleurs, les «franchises» de Daech au Mozambique et en République démocratique du Congo continuent à proliférer, menant des attaques presque quotidiennes contre des villages à majorité chrétienne, massacrant des dizaines de personnes à la fois. Le groupe a revendiqué près de 300 attentats dans ces deux États en 2022. Dans le nord du Mozambique, il ne se passe pas un mois sans que le groupe ne se vante de gagner du territoire.
La branche la plus importante et la mieux installée de Daech domine de vastes territoires dans toute la région du lac Tchad, en particulier dans le nord-est du Nigeria, le groupe ayant revendiqué près de 500 attaques en 2022. Dans des vidéos de propagande, le groupe a montré comment il entraînait et endoctrinait de nouvelles générations de jeunes combattants, tout en menant des campagnes actives de prédication, de propagande et de sensibilisation pour gagner le soutien des communautés locales dans les zones reculées échappant au contrôle de l'État. Les personnes accusées de collaboration avec l'armée y sont sauvagement massacrées.
Tout au long de l’année 2022, Daech s'est lancé dans une initiative ambitieuse pour s'étendre à de nouvelles zones du centre et de l'ouest du Nigeria, avec une succession d'attaques dans des zones où le groupe n'avait jamais été vu auparavant, ainsi qu’une audacieuse évasion de prison près d'Abuja en juillet, permettant la libération de centaines d'extrémistes.
«Le groupe a montré comment il entraînait et endoctrinait les nouvelles générations de jeunes combattants»
Baria Alamuddin
L'ampleur de ces horribles accomplissements est telle que les dirigeants de Daech, affamés de victoires en Syrie et en Irak, ont fortement promu ses victoires africaines dans leur propagande mondiale, glorifiant ses territoires africains et encourageant les extrémistes à les rejoindre dans ces pays.
L'une des plus grandes success stories concerne la Somalie, en grande partie dominée par le groupe Al-Chabab, affilié à Al-Qaïda. Dans le sillage d’une série continue d'attaques très médiatisées, les combattants d'Al-Chabab ont pris pour cible la semaine dernière un hôtel très connu, non loin du palais présidentiel de Mogadiscio, tuant neuf personnes.
En dépit de ce constat, les États occidentaux se sont désengagés de la région du Sahel et ont cédé leur influence aux mercenaires russes du groupe Wagner. On pourrait être pardonné de penser que «mieux vaut la Russie que personne», et pourtant, les miliciens de Wagner ont aggravé le problème par d’incroyables massacres de civils qui poussent encore plus les communautés dans les bras des extrémistes. Les mesures prises par Moscou pour tirer parti de ces États faibles en vue de contrer l'influence occidentale alimentent davantage un climat d'instabilité, de désinformation et de chaos.
Tout au long des années 1990, l'administration Clinton a ignoré avec un manque de perspicacité l'expansion d'Al-Qaïda et des groupes qui lui sont apparentés, au Soudan, en Afrique de l'Est, au Maghreb et en Afghanistan, préparant le terrain au 11-septembre et à deux décennies de guerre contre le terrorisme. Nous subissons toujours les conséquences de ces erreurs, notamment avec le retrait honteux de Joe Biden d'Afghanistan, livrant le pays aux talibans, à Al-Qaïda et à Daech.
Je suis souvent stupéfaite lors de conversations avec des responsables occidentaux par le manque d’ouverture des gouvernements pour faire face à plus d'une crise à la fois, comme si le conflit ukrainien empêchait de se concentrer sur des développements comparables en Iran, en Afghanistan et en Palestine. Pourtant, sans une attention immédiate, l'expansion extrémiste à travers l'Afrique nous éclatera à la face.
Alors que ces forces malveillantes consolident leurs positions au sud des frontières de l'Europe, la prochaine étape prévisible consiste pour les membres de Daech à exploiter cette profondeur stratégique en organisant des attaques contre l'Europe, l'Amérique et le Moyen-Orient. Nous faut-il vraiment regarder l'Histoire se répéter?
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com