Alors que nous commémorons un nouvel anniversaire du 11-septembre, on parle de Daech comme s'il s'agissait d'une force usée et vaincue. En fait, il constitue un mouvement plus mondialisé qu'à aucun autre moment de son histoire.
Tout récemment, en 2017, environ 80 % des activités de Daech se déroulaient en Irak et en Syrie, alors qu’en 2022, la grande majorité de ses attaques se produisent ailleurs – plus de la moitié ayant lieu en Afrique, et un nombre croissant se concentrant sur l'Afghanistan et les États voisins.
Daech et Al-Qaïda sont devenus très actifs dans toute la région du Sahel en Afrique, notamment dans de vastes espaces incontrôlés, au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Ils se sont développés à un rythme effrayant, recrutant activement en fonction d’appartenances tribales et transformant leur «djihad» en une offensive violente contre des tribus rivales.
Par ailleurs, la section ouest-africaine de Daech contrôle une grande partie de la vaste région du lac Tchad, utilisant ces territoires inaccessibles et l'immense forêt de Sambisa au Nigeria comme points de départ pour attaquer l'armée. En 2022, cette section s'est étendue hors du nord-est du Nigéria pour frapper des régions plus éloignées de ce pays en proie à des troubles, notamment une évasion de prison en juillet à la périphérie de la capitale, Abuja, au cours de laquelle des centaines de détenus ont été libérés.
Au Nigeria, au Cameroun, au Mozambique et en République démocratique du Congo, Daech mène presque quotidiennement des attaques meurtrières contre des villages chrétiens sans défense, massacrant à chaque fois des dizaines de personnes.
Daech en Afghanistan organise des attaques sanglantes contre des mosquées chiites, voire un temple sikh. Ces frappes visent en partie à mettre dans l’embarras ses ennemis jurés, les talibans, qui, en tant qu'autorité de facto d’Afghanistan, sont censés défendre ces groupes minoritaires. Daech gagne en force en recrutant dans les rangs des talibans mécontents, ceux qui n'ont pas profité des avantages de l'ascension du groupe au pouvoir et qui pensent qu'il a fait des compromis sur ses principes islamiques radicaux.
Dans tout l'Afghanistan et l'Asie centrale, Daech s'est lancé dans un discours offensif, distribuant du matériel de propagande dans un éventail toujours plus large de langues, cherchant à attirer dans ses rangs les étudiants soumis au lavage de cerveau des madrasa et des séminaires, en particulier dans les zones tribales à prédominance pachtoune d'où le mouvement taliban a émergé.
Grâce aux erreurs du président américain, Joe Biden, l'Afghanistan redevient le point de départ du terrorisme. Loin de tenir leurs promesses de se désolidariser des groupes terroristes, les talibans accueillent volontiers les dirigeants d'Al-Qaïda et semblent impuissants à ne pas être débordés par Daech, mouvement plus radical. La dernière attaque meurtrière du groupe contre l'ambassade de Russie et l'assassinat de religieux de haut niveau démontrent leur capacité à frapper des cibles importantes, tandis qu'Al-Qaïda utilise son refuge afghan pour se reconstruire dans le monde entier.
Le monde a-t-il une réponse? Au-delà de l’envoi occasionnel de drones en Afghanistan et au Yémen, la stratégie «au-delà de l’horizon» de l’Occident livre de vastes portions du monde aux terroristes. Les grandes puissances et les institutions multilatérales peuvent-elles se trouver aux prises avec une seule crise à la fois? Tant que les terroristes se restreignent à des États dysfonctionnels, ils sont pour la plupart du temps ignorés et vaquent à leurs occupations sans être inquiétés.
Le groupe islamiste des Chabab s'est inspiré de la victoire des talibans pour s'imposer comme la force dominante dans toute la Somalie, partout sauf à Mogadiscio et dans quelques autres zones. Une grande partie des revenus mondiaux d'Al-Qaïda provient de ses territoires en Somalie. Bien que Daech n'y ait qu’un ancrage, il s'agirait d'une plate-forme financière vitale pour le groupe.
La stratégie antiterroriste de l'Occident fait face à un chaos similaire en Afrique de l'Ouest, après que les forces françaises ont été contraintes de quitter le Mali. Cette retraite a représenté une victoire pour les efforts de propagande et de sensibilisation de Moscou et de ses mercenaires de Wagner, qui sont entrés dans la brèche, perpétrant d'horribles massacres sous couvert d'opérations antiterroristes.
La propagande de Daech a capitalisé sur les récents troubles interchiites en Irak pour affirmer que les sunnites n'ont rien à gagner à s'aligner sur les forces politiques chiites qui se querellent, et devraient plutôt accorder refuge aux combattants de Daech comme tête de pont pour reconquérir leur «califat».
«Grâce aux erreurs du président américain Joe Biden, l'Afghanistan redevient le point de départ du terrorisme.»
Baria Alamuddin
Daech s'était en fait affaibli en Irak d'année en année depuis 2017, avec une diminution du nombre d'attaques, un nombre de morts plus limité, et une présence dans des zones géographiques de plus en plus réduites. Les sections autrefois puissantes de Daech dans la province de Salaheddine organisent rarement aujourd’hui des attaques importantes. En 2022, seules les sections de Daech à Diyala et Kirkouk ont été constamment actives, avec des cibles faciles, telles que l'incendie de terres agricoles et le meurtre de civils chiites.
Les prédécesseurs de Daech ont été pratiquement vaincus vers 2010. Cela ne les a pas empêchés de jouer un rôle prééminent en 2014, ramenant des dizaines de milliers de combattants dans leurs rangs en raison de l'instabilité politique de l'Irak et des tensions sectaires. Daech a maintenant le sentiment que se présente une autre opportunité similaire.
Dans toute la vaste région syrienne de Badia, Daech a cherché à garder un profil bas, tandis qu'il se réorganisait et se préparait à de nouvelles attaques. Tout comme Daech a organisé en janvier son raid audacieux sur la prison de Ghuwayran dans la province de Hassaké, la priorité sera d'attaquer les immenses centres de détention à l'est de la Syrie, où se trouvent des militants et leurs familles. La propagande de Daech rappelle sans cesse à ses combattants leur devoir de «faire tomber les murs» de ces prisons et de libérer leurs camarades.
Ces camps de détention constituent une autre bombe à retardement. Loin de contrôler ces éléments terroristes dangereux, les niveaux de radicalisation parmi les personnes détenues – dont des femmes et des enfants – sont tels que même les dirigeants de Daech ont cherché à mettre un frein à certaines tendances «ultra-extrémistes» (ghulat). Ces camps existent depuis cinq ans, mais les tentatives de rapatriement de ces éléments extrémistes multinationaux avancent à pas de tortue. Le monde attend-il simplement que Daech reprenne l'offensive et libère des milliers de ses combattants?
La région du Golfe est une rare réussite dans la lutte contre le terrorisme, avec des réseaux militants démantelés et une activité négligeable ces dernières années. Des procédures sophistiquées entravent la circulation des fonds, parallèlement à des programmes élaborés de déradicalisation. Les groupes militants au Yémen ont également été affaiblis, Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (Aqpa) étant réduite à supplier pitoyablement les tribus locales d'empêcher une nouvelle offensive de l'armée dans la province d'Abyan.
Depuis 2022, le danger réside dans des groupes terroristes dispersés qui se développent, recrutent et fusionnent, pour devenir des empires militants à l'échelle de la région. À partir du Mali, en passant par le Niger et le Nigeria jusqu'au Tchad et au Cameroun, si les factions de Daech réussissaient à s'unir, elles auraient tous les ingrédients pour un immense «califat» s'étendant sur près de 2 000 km.
Faire face au terrorisme devrait moins consister à tuer des terroristes qu'à supprimer les vastes espaces incontrôlés qu'ils occupent inévitablement. La pauvreté, la faim, la faillite de l'État, la désertification et les conflits intercommunautaires sont des matières premières fertiles dont se nourrissent ces parasites. Nous pouvons rire de l'affirmation ridicule de Trump d'avoir «éradiqué» Daech, mais les politiques antiterroristes de Biden n'inspirent guère plus de confiance.
Ces cultes de la mort terroristes démentiels exploitent la religion dans le but de tuer des milliers d'innocents, de déclencher des conflits et de plonger des régions entières du monde dans l'instabilité.
L'expérience nous montre que le terrorisme peut être vaincu, mais tant que les États les plus riches du monde manqueront à leur devoir de combattre les immenses inégalités mondiales et d'empêcher la désintégration des États souverains, nous ne serons jamais débarrassés de ce fléau mondial.
• Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com