De l’idiotie plutôt que de la naïveté… Daech profitera de la victoire des talibans

Les leaders d’un groupe religieux pakistanais distribuent des sucreries dans une zone de marché à Quetta, Pakistan, le 13 août 2021, pour célébrer la progression des talibans en Afghanistan. (Photo, AP)
Les leaders d’un groupe religieux pakistanais distribuent des sucreries dans une zone de marché à Quetta, Pakistan, le 13 août 2021, pour célébrer la progression des talibans en Afghanistan. (Photo, AP)
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Publié le Mardi 17 août 2021

De l’idiotie plutôt que de la naïveté… Daech profitera de la victoire des talibans

De l’idiotie plutôt que de la naïveté… Daech profitera de la victoire des talibans
  • Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, met en garde contre un élargissement «alarmant» des affiliés de Daech à travers l’Afrique
  •  «La guerre contre le terrorisme» du président Bush était, depuis le départ, de la pure idiotie qui a engendré des conséquences tragiques pour l’Irak et l’Afghanistan qui ont été ravagés par la guerre

Les généraux et les diplomates avaient dit à leurs leaders ce qui allait exactement se passer une fois que les forces occidentales auront abandonné leurs postes en Afghanistan. Et voilà que nous y sommes : les villes sont renversées les unes après les autres, des djihadistes venus du monde entier se hâtent d’accueillir leur nouveau califat, rejoignant des milliers de combattants étrangers qui y sont déjà. 

Dans l’une de ses déclarations les plus scandaleusement mal avisées de tous les temps, le président américain Joe Biden (qui affirme, de manière dogmatique, qu’il ne regrette pas sa décision) a poussé les Afghans, avec un air de condescendance, à «lutter pour leur nation», alors que les Américains se ruent vers les sorties. L’administration Biden a ainsi mobilisé un brouillage diplomatique absurde de dernière minute à travers le Qatar pour supplier les Talibans victorieux de consentir à un compromis de partage. Si les Talibans avaient le sens de l’humour, ils rigoleraient jusqu’à leur arrivée à Kaboul.

Les talibans ont promis aux négociateurs américains qu’ils n’attaqueraient pas les villes… et pourtant, surprise ! Ces extrémistes acharnés n’arrivent pas à tenir leurs promesses, tout comme ils ne parviennent pas à se retenir de massacrer des soldats et des fonctionnaires, ou encore d’empêcher les terroristes d’opérer sur le sol afghan. Les talibans malhonnêtes maîtrisent l’art de raconter aux foules ce qu’elles ont envie d’entendre, tout en y ajoutant leur propre touche: «Nous allons permettre aux femmes de poursuivre leur éducation» (jusqu’à l’âge de 10 ans) ; «nous allons défendre les droits de la femme» (conformément à notre propre interprétation de la Charia). 

Et, alors que les talibans se préparent pour abattre les citoyens de Kaboul, les négociateurs américains craignent une attaque contre leur ambassade. Si les employés de l’ambassade veulent éviter une humiliation pareille à celle de Téhéran en 1979, de Saïgon en 1975, ou encore de Mogadiscio en 1992, ils devraient se précipiter vers les hélicoptères tout de suite, abandonnant les Afghans à leur sort.  

Les talibans ne doivent rien à personne, ne s’attendent à rien et ne veulent rien de la communauté internationale. Leurs leaders seront à présent encore plus prédisposés à recevoir des terroristes - contrairement aux prédictions déconcertantes et stupides (ne disons pas «naïves») des responsables occidentaux qui avaient cru que 20 ans d’insurrection brutale apaiseraient les pires instincts des talibans.

Comme nous l’avons observé après les attentats du 11 septembre et suite à l’émergence de Daech en 2014, les succès spectaculaires qui ont lieu à un endroit précis inspirent fortement les djihadistes qui sont ailleurs, encourageant ainsi des dizaines de milliers d’entre eux à s’engager dans ces sectes meurtrières absurdes, sans oublier que le terrorisme mondial était déjà en hausse. Le département américain de la Défense en conclut que l’État islamique est bien enraciné en Irak et qu’il peut «indéfiniment opérer» dans le désert syrien. L’Amérique s’est-elle déjà retirée de ces pays ? Peut-être pas. Mais, en essayant de passer inaperçue, elle a entravé ses forces au point de ne plus pouvoir faire grand-chose, à part se protéger contre les tirs de missiles lancés par des militants soutenus par l’Iran qui sont sans doute beaucoup plus nuisibles que Daech et qui continuent d’alimenter le contexte sectaire qui a permis à Daech de voir le jour en premier lieu.

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, met en garde contre un élargissement «alarmant» des affiliés de Daech à travers l’Afrique. Un mouvement insurrectionnel islamiste s’est effectivement emparé d’une grande partie de l’extrême-nord du Mozambique. Ajoutons à cela que des extrémistes au Congo assassinent allègrement des soldats et des civils. Quant à la franchise nigérienne de Daech, l’Iswap, elle s’est lancée dans une série d’attaques contre des avant-postes militaires à travers le nord du Cameroun. Et au Tchad, un groupe rival a massacré 26 soldats la semaine passée.

 

En revenant sur des promesses faites à l’Afghanistan, le Moyen-Orient et l’Afrique, les leaders occidentaux répètent la même erreur. Daech, le Hezbollah, Al-Qaeda et les Houthis vont malicieusement en tirer avantage

Baria Alamuddin

La décision de la France de retirer ses troupes du Sahel va donner au terrorisme un véritable coup de fouet dans les pays faibles tels que le Niger, le Burkina Faso et le Mali, où les djihadistes massacrent les citoyens indistinctement depuis un moment. Une pléthore de groupes apparentés reste active en Libye, en Algérie, en Somalie, dans la péninsule du Sinaï et dans bien d’autres régions. 

 «La guerre contre le terrorisme» du président Bush était, depuis le départ, de la pure idiotie qui a engendré des conséquences tragiques pour l’Iraq et l’Afghanistan qui ont été ravagés par la guerre. Mais, après avoir conquis ces nations et imposé ses propres systèmes de gouvernance, l’Amérique était obligée de terminer ce qu’elle avait commencé.

Quand Bush a déclaré que «la mission était réussie» et quand Trump a salué «la fin du califat», ils étaient tous les deux en train de se mentir et de mentir au monde entier. Le terrorisme ne peut être vaincu en une seule bataille. Il peut l’être grâce à des décennies d’efforts patients, au service d’états stables et bien gouvernés, à travers les pays en voie de développement. Bien que Trump ait déjà conclu un accord avec les talibans, pourquoi Biden s’est-il senti obligé d’adhérer à une chose si manifestement catastrophique ? Pourquoi des alliés potentiels feraient-ils encore confiance aux pays occidentaux ?

Le désordre que l’Amérique a laissé n’est pas un argument contre l’implication de l’Occident dans le monde : les attentats du 11 septembre et tout ce qui a suivi sont le résultat d’une négligence chronique des affaires du monde tout au long des années 90, créant ainsi un environnement optimal pour l’expansion de l’extrémisme et la croissance de l’instabilité. En revenant sur des promesses faites à l’Afghanistan, le Moyen-Orient et l’Afrique, les leaders occidentaux répètent la même erreur. Daech, le Hezbollah, Al-Qaeda et les Houthis vont malicieusement en tirer avantage.

Contrairement à Trump, Obama et Biden sont des personnes consciencieuses qui souhaitent le meilleur pour leur pays, mais les politiques étrangères des trois présidents ont été équitablement catastrophiques et ont contribué à la création d’un contexte international bouleversé qui favorise les conquêtes terroristes et les États parias. Entre-temps, l’Amérique et l’Europe sont menacées par l’extrémisme de droite, ravageant la planète de mensonges anti-démocratiques et racistes et de théories de complot.

La guerre-éclair des talibans contre les capitales provinciales afghanes est choquante de par son intensité et sa rapidité, mais ces événements prévisibles nous font oublier que des milliers de villes et de pays sont à portée de main si les terroristes reprennent l’offensive – surtout après les ravages de la Covid, la détérioration de l’environnement, la réduction des aides et l’effondrement économique. 

L’afflux des réfugiés afghans ne vient que de commencer et, comme il a été le cas pour les réfugiés syriens, les Afghans auront l’embarras du choix entre Daech et Al-Qaeda qui recruteront de jeunes hommes furieux et exclus qui n’ont connu tout au long de leur vie que les conflits et l’extrême violence. Afin d’économiser les frais de quelques milliers de troupes à l’étranger, Biden et Trump ont semé les graines de conflits qui vont bientôt émerger.

 «Les lampes s’éteignent partout en Europe», avait observé Edward Grey, le ministre britannique des Affaires étrangères, quand la première guerre mondiale a commencé. Les lampes s’éteignent aujourd’hui en Afghanistan, et il se peut qu’elles ne s’allument plus jamais. Les décideurs internationaux devraient donc se demander combien la contamination va encore se répandre, en raison de leur échec collectif à défendre la stabilité et la paix mondiales. Naïveté ou idiotie ? Idiotie, à chaque fois ! 

• Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com