Afghanistan: Le retour des Talibans

Des combattants talibans sont assis au-dessus d'un véhicule dans une rue de la province de Laghman, le 15 août 2021. (Photo, AFP)
Des combattants talibans sont assis au-dessus d'un véhicule dans une rue de la province de Laghman, le 15 août 2021. (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 16 août 2021

Afghanistan: Le retour des Talibans

Afghanistan: Le retour des Talibans
  • La politique de désengagement militaire adoptée par l'administration Biden, le désarroi social généralisé, l'instabilité politique endémique sont autant de facteurs d'attisement de la violence radicale en Moyen-Orient
  • Le danger que présente aujourd'hui le retour des Talibans consiste à normaliser ou même légaliser l'état de fait accompli, en traitant le régime des mollahs radicaux comme partenaire politique fiable

Les Talibans sont en train de reconquérir la totalité des provinces afghanes. Après Kandahar, deuxième grande ville du pays qui était leur fief traditionnel, ils se sont emparés de Lashkar Gah, grande ville du sud, et Pul-e-Alam, qui leur a ouvrert la voie vers la capitale, Kaboul.
La déroute de l'armée américaine et ses alliés locaux est patente, vingt ans après la guerre lancée par le président Bush contre al Qaïda et ses protecteurs talibans.
En visant les Talibans en 2011, les États-Unis d'Amérique nourrissaient l'espoir de vaincre la menace " djhiadiste" globale, dont l’Afghanistan est devenu le sanctuaire.
Cet émirat d'ancrage pachtoune (tribu omniprésente au sud), qui a conquis le pouvoir en 1996, représentait le deuxième moment du Djihad afghan lancé contre les envahisseurs soviétiques en 1979.
La première phase de ce djihad global était marquée par l'émergence d'une conception religieuse générale de la guerre sainte contre l'occupant " communiste ". Le facteur religieux, instrumentalisé par les Américains en pleine guerre froide, était déterminant pour drainer l'appui financier et militaire, non seulement des pays musulmans, mais aussi d'une large frange des associations et organisations religieuses non gouvernementales.
Parmi les acteurs qui ont adhéré au djihad afghan, une grande partie des activistes «  islamistes » issus des mouvements radicaux affiliés au groupe des « Frères musulmans » ou à la mouvance «salafiste».
Le grand théoricien du « Djihad afghan », Abdallah Azzam, a opéré la synthèse nocive entre ces deux tendances avant sa disparition spectaculaire en novembre 1989. Le salafisme, de nature quiétiste et légaliste, a fusionné avec l'idéologie révolutionnaire des Frères musulmans dans leur courant qotbiste (en référence à Seyyid Qotb,  l'idéologue de l'insurrection contre les gouvernements impies qui n'appliquent pas les lois révélées).
 

Avec le retour des Talibans en Afghanistan et le retrait américain assorti d'une offre de reconnaissance à ce mouvement radical, la crainte de recrudescence du radicalisme violent dans toute la région est légitimée

Seyid ould Abah

La décennie 1990-2000 a connu l'intrusion de ces mouvements radicaux formés à l'école du djihad afghan dans le paysage politique arabe. C'est la période des premiers attentats-suicides, des opérations terroristes à grande échelle qui ont frappé l'Egypte, l'Algérie, l'Arabie saoudite...
Les réseaux du Djihad global s'étendent à cette époque du Soudan à l'Iran, et  le régime taliban leur a procuré l'occasion de s'implanter dans un environnement propice.
Les guerres américaines au Moyen-Orient de 2001 et 2003 (en Afghanistan et en Irak) ont profondément bouleversé la configuration politique et géopolitique de la région. Si l'émirat des Talibans a été vaincu dès les premières frappes aériennes sur Kaboul et Kandahar, les gouvernements civils élus appuyés par les Américains n'ont pu réaliser en vingt années l'objectif de reconstruction politique de l'Afghanistan, restant tributaires de la protection américaine devenue très onéreuse et contre- productive.
Les émirats djihadistes  entament dès le début des années 2000 leur mutation en sultanats et même en califats aux revendications géographiques élargies. C'était la période du califat Daech qui a imposé sa domination sur une vaste partie de l'Irak et la Syrie avant d'être défaite par une large coalition internationale.
D'autres groupes terroristes annoncent leurs allégeances à Daech, dans la corne de l'Afrique, au Sahel et au Yémen ...
Avec le retour des Talibans en Afghanistan et le retrait américain assorti d'une offre de reconnaissance à ce mouvement radical, la crainte de recrudescence du radicalisme violent dans toute la région est légitimée.
Le nouveau visage du djihadisme global prendra la forme d'une idéologie de combat révolutionnaire, qui se nourrit des vicissitudes tragiques des « printemps arabes ».
Des pays comme l'Irak, la Syrie, la Libye, le Liban ne sont pas à l'abri de ce risque imminent. La politique de désengagement militaire adoptée par l'administration Biden, le désarroi social généralisé, l'instabilité politique endémique sont autant de facteurs d'attisement de la violence radicale en Moyen-Orient.
Le danger que présente aujourd'hui le retour des Talibans consiste à normaliser ou même légaliser l'état de fait accompli, en traitant le régime des mollahs radicaux comme partenaire politique fiable, mouvement déjà amorcé avec les précédents rounds de négociations entre les États-Unis et les Talibans.
La communauté internationale, en entérinant par le passé l'hégémonie des milices pro- iraniennes du Hezbollah  sur la vie politique libanaise, le rôle prépondérant des milices « Hachd populaire » en Irak, l'implication des mouvements islamistes radicaux armés sous protection turque en Syrie, a envoyé des signes de faiblesse qui risqueraient d'exposer la sécurité et la stabilité du Moyen-Orient à des risques majeurs.
C'est là où s'inscrit la gravité du retour des Talibans en Afghanistan, pays qui a été durant les quarante dernières années le foyer principal et la première source de tous les radicalismes violents qui ont mis notre région à genoux. 

 

Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.

Twitter: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français