Il s’agit d’un temps que beaucoup de lecteurs de cet article n’ont pas connu. Le 6 mars 1975, un traité entre l’Irak et l’Iran était signé entre Reza Pahlavi et Saddam Hussein sous le patronage du président algérien Houari Boumédiène. Les deux nations du Golfe mettaient un terme à un vieux différend frontalier à propos de la rivière du Chatt el-Arab.
Peu importe qui avait raison ou tort, les faits sont têtus: il fut une époque où l’Iran négociait des traités avec ses voisins et réglait les problèmes sans agressivité. On a bien de la peine à l’imaginer aujourd’hui.
Le changement de régime de 1979 a tout bouleversé. Il a entraîné la guerre entre l’Iran et l’Irak et l’enchaînement qui allait conduire au drame touchant le Moyen-Orient, sorte de malédiction dont la région a du mal à sortir.
Le prince héritier saoudien ne s’y est d’ailleurs pas trompé quand il a affirmé qu’il fallait «éradiquer l’idéologie extrémiste» au sein du Royaume, en cours depuis quarante ans. Il visait nettement celle qui est née en réaction au durcissement iranien, qui a durablement façonné l’Arabie saoudite, et dont les réformes entreprises depuis plusieurs années contribuent à la faire sortir.
En science politique, on parle souvent de légitimité pour définir la source d’un pouvoir. Si la légitimité des monarchies du Golfe est traditionnelle (il s’agit de dynasties), celle de la république islamique d’Iran est purement religieuse: le vrai dirigeant du pays, le Guide suprême, est un dignitaire chiite. Pour renforcer son pouvoir, il n’a d’autre choix que d’agir sur le levier religieux et de travailler à déstabiliser ses voisins en maniant l’ingérence systématique et en montant les communautés religieuses les unes contre les autres.
Ainsi, les milices du régime iranien sont présentes de façon documentée dans cinq zones de la région: l’Irak, où elles ont complètement déstabilisé le pays, jouant un rôle de police parallèle; la Syrie, où elles exécutent les basses œuvres en soutien du régime tout en s’implantant durablement; le Liban, où elles pourrissent le système politique tout entier; la Palestine, où elles font tout pour empêcher toute paix avec Israël; et le Yémen, où elles manipulent et arment les rebelles, rendant impossible toute sortie négociée de cette guerre civile.
Il ne s’agit évidemment que des pays où la présence des milices iraniennes est prouvée. On se doute bien que les troubles occasionnels au Bahreïn ou en Arabie saoudite ne naissent pas spontanément. Pour s’assurer que l’Iran y est mêlé, il suffit d’aller regarder les sites de propagande iranienne, qui disposent toujours d’images inédites de la moindre micromanifestation qui a eu lieu dans la région.
Cette guerre de religion est née en 1979. Un pays certes imparfait, mais qui prospérait, est devenu un paria dont la population s’est mise à émigrer en masse et où ceux qui sont restés se sont retrouvés sous la coupe d’extrémistes qui dépensaient plus d’argent à se maintenir au pouvoir qu’à faire faire bénéficier à son peuple des ressources dont dispose l’Iran. Car l’Iran partage le plus grand gisement gazier du monde avec le Qatar et devrait donc être en plein boom économique.
Il n’en est rien: alors que le Qatar est devenu un pays riche grâce à l’exploitation de North Dome, l’Iran n’investit que très peu dans South Pars, au point que, il y a deux ans, le peuple iranien n’avait plus de gaz pour se chauffer en hiver et qu’il a fallu importer du gaz de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan!
Au moment où le pouvoir iranien n’a jamais été aussi proche de vaciller, de nombreux experts se demandent ce que pourrait être un Iran débarrassé des mollahs et comment s’organiseraient les relations avec ses voisins. Sans être un spécialiste de prospective, il n’est pas compliqué d’imaginer que cela ne pourrait pas être pire que la situation actuelle.
Mais, avant d’aller plus loin, il faut préciser qu’un Iran qui ne manipulerait pas les populations chiites chez ses voisins afin qu’elles déstabilisent les pays dans lesquels elles vivent, qui n’entretiendrait pas de conflits larvés, de groupes terroristes ou des guerres civiles partout où il le pourrait et se concentrerait sur son développement économique ne pourrait qu’être bénéfique dans la région.
Depuis que le dialogue avec Israël se fait avec plusieurs monarchies du Golfe et que ces dernières ont de nouveau de bonnes relations avec le Qatar, l’Iran reste le seul véritable sujet de déstabilisation de la région.
Un changement de régime, s’il n’est pas encore d’actualité, ne pourrait être que bénéfique à la région et créerait un acteur qui serait plus rationnel, se souciant de son peuple et de son avenir plutôt que d’empoisonner une région dont les pays sont en pleine mutation et effectuent une transition vers des sociétés plus ouvertes.
Le Golfe a donc tout à gagner à voir un Iran qui sortirait du système théocratique et qui soutient le terrorisme ainsi que la guerre civile partout où il le peut. Cela créerait évidemment un concurrent économique, mais force est de constater que, partout où elle a lieu, la concurrence économique a tendance à tirer les pays et les sociétés vers le haut et il n’y a aucune raison que cela ne soit pas le cas si l’hypothèse d’un changement de régime venait à se vérifier.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.