Les pays arabes du Golfe ont toujours cherché à établir des partenariats avec les pays de la région par le biais d’accords de défense et de sécurité. Lorsqu’il s’agit de coopération en matière de défense, la Turquie revient sur le devant de la scène dans la région du Golfe depuis l’année dernière. La défense, la sécurité et la coopération militaire entre la Turquie et le Golfe surviennent après des années de rivalité entre Ankara et certains dirigeants du Golfe. L’ère de la normalisation entre la Turquie et les pays du Golfe a non seulement conduit à des accords d’investissement et à des échanges de devises mais elle a également ouvert la voie à une collaboration plus étroite en matière de sécurité et de défense.
Le ministre turc de l’Intérieur Suleyman Soylu et son entourage ont effectué une visite officielle à Abou Dhabi. Il s’y est réuni avec son homologue émirati, le cheikh Saif ben Zayed al-Nahyan et le président des Émirats arabes unis, le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyan.
Une discussion sur le renforcement de la coopération dans les domaines de la police et de la sécurité entre les deux pays était à l’ordre du jour. À cet égard, les deux ministres de l’Intérieur ont annoncé qu’ils avaient décidé d’établir un « dialogue stratégique conjoint sur la police. »
Selon Soylu, ce mécanisme est exemplaire et servirait d’exemple aux autres pays de la région. « Avec cet accord, une entente assurant la sécurité de nos citoyens et suivant le crime et les éléments de crime sera évaluée conjointement. En même temps, nos compétences seront partagées entre nous…Notre processus d’accord de coopération en matière de sécurité est déjà en cours. J’espère donc que nous l’aurons terminé dans un avenir proche » a-t-il ajouté.
En février, la Turquie et les Émirats arabes unis ont signé 13 accords, dont l’un était de commencer à organiser des réunions bilatérales de coopération de l’industrie de la défense. Ankara et Abou Dhabi avaient déjà signé un protocole d’accord sur la coopération de l’industrie de la défense en 2011 et celui-ci a été ratifié en 2017. Or, les tensions entre les deux pays durant les années qui ont suivi cette ratification ont interrompu le processus de coopération.
Désormais, les deux pays espèrent tirer parti de leur rapprochement pour contrer leurs défis sécuritaires et économiques communs. Les Émirats arabes unis ont reçu en septembre le premier lot de drones armés qu’ils ont commandés à la Turquie dans le cadre de l’amélioration rapide de leurs relations. Les Émirats arabes unis auraient reçu 20 drones armés, marquant la première livraison des 120 drones Bayraktar TB2 qu’ils souhaitent acheter à la Turquie.
« Les deux pays espèrent tirer parti de leur rapprochement pour contrer leurs défis sécuritaires et économiques communs »
- Sinem Cengiz
L’expédition est intervenue seulement 8 mois après qu’Ankara et Abou Dhabi se sont réconciliés et ont rétabli leurs relations. Bien que Tawazun, l’autorité émiratie des acquisitions de défense et de sécurité et Bayktar Defense de Turquie, qui fabrique le célèbre drone Bayraktar TB2, aient eu des discussions sur une éventuelle coopération en mars 2021, ce développement a surpris beaucoup de gens que ce soit à cause de son calendrier ou de son contenu.
Les pourparlers se sont poursuivis alors que les Émiratis ont montré leur intention de dépenser 2 milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro) pour les 120 drones TB2, ainsi que des munitions, des unités de commandement et de contrôle et de la formation. Le moment de l’expédition est également intervenu au milieu des allégations de Sedat Peker, un chef de la mafia turque en exil, basé aux Émirats arabes unis, contre des personnes proches de la direction d’Ankara. Dans ce même contexte. La visite de Soylu a accru les spéculations selon lesquelles l’accord signé avec les Émirats arabes unis pourrait ouvrir la voie à l’extradition de Peker, qui avait précédemment attaqué le ministre turc de l’Intérieur.
Les Émirats arabes unis ne sont pas le seul pays de la région à avoir les yeux fixés sur l’acquisition des drones de Baykar. Tenant compte de l’impact des conflits en Syrie, Ukraine et Libye, la demande internationale de drones turcs a explosé. La Libye a été l’un des théâtres régionaux où les intérêts turcs et émiratis se sont affrontés. Cependant, la réconciliation avec Ankara a conduit les pays du Golfe à se tourner à nouveau vers leur ennemi : l’Iran.
La principale raison pour laquelle les Émirats Arabes Unis et les autres pays du Golfe acquièrent les drones turcs serait de contrer les défis sécuritaires croissants de l’Iran et de ses groupes proxy dans la région. Ils considèrent les drones turcs comme une force importante qui pourrait surpasser les drones iraniens. L’expansion des milices chiites soutenues par l’Iran dans les théâtres de la région ne constitue pas seulement une menace pour les pays du Golfe mais aussi pour la Turquie, en particulier en Syrie et en Irak. Le contrepoids de l’influence croissante de l’Iran dans la région et un programme commun pour la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient conduisent dans une certaine mesure à la collaboration Turquie-Golfe.
Pendant plusieurs décennies, la sécurité des pays du Golfe a été soutenue par des accords occidentaux. Bien qu’ils continuent de rester largement dépendants de l’armement américain, les pays du Golfe ont récemment cherché à bénéficier de l’expertise et de la puissance militaires de la Turquie. Avec l’instabilité croissante dans cette région, les changements dans la perception de la menace et l’orientation sécuritaire ont poussé les pays du Golfe et la Turquie à consolider leurs relations politiques et économiques par le biais d’une collaboration en matière de sécurité et de défense.
Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient.
Twitter : @SinemCngz
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com