Le monde assiste, depuis le 16 septembre 2022 et la mort de Mahsa Amini, pour un voile mal porté, à une révolution en Iran. Ce n’est pas une révolte, c’est une révolution. Des milliers de jeunes femmes et de jeunes gens dans les rues bravent la dictature des mollahs pour dire au monde leur lassitude d’un régime qui ruine le pays par la corruption, la pollution, la terreur de la police religieuse et par une politique qui a mis le pays à genoux et au ban de la communauté internationale.
Il faut le dire haut et fort la jeunesse iranienne est riche de sa diversité, de sa culture, de son éducation, dans tous les domaines.
La société iranienne n’est pas parfaite mais son niveau d’éducation, de culture, de soif de liberté n’a rien en commun avec ses voisins. Or le régime des mollahs étouffe les oppositions et la liberté.
Depuis bientôt trois mois, brandissant le slogan Zan Zendegi Azadi, femme, vie, liberté, les iraniens se révoltent.
La contestation gagne même le bazar et l’industrie pétrolière, les deux secteurs qui avaient donné le signal de la chute du Shah.
Un dicton Tehrani dit que si le bazar est en feu c’est le régime qui brûle et ces derniers jours le bazar a montré de nombreuses étincelles.
L’Iran assassine sa jeunesse devant nos yeux !
Un hashtag est apparu sur nos réseaux sociaux « say their name » (dites leur nom).
Il faut dire le nom de ces centaines de victimes de la répression dont des enfants de moins de dix ans comme le petit Kian Pirfalak, des dizaines de jeunes manifestants arrêtés et violés sauvagement en prison, soumis à une telle violence et une telle pression qu’ils se suicident dès leur sortie des geôles sataniques, comme Yalda Aghafazli 19 ans
Les manifestations se multiplient et même les sénateurs français ont marqué leur soutien sur l’air de Barayé, l’hymne de la révolution.
L’émotion est si forte que le Président Macron a reçu une délégation de femmes iraniennes et le Président du Sénat a fait part de l’attention qu’il portait aux victimes de la répression.
Mais au-delà de l’émotion, quelles sont les chances de réussite de cette révolution ?
Soyons clairs et lucides, ni les anathèmes des Nations Unies, pas plus que ceux de ses commissions, ni les sanctions internationales mêmes sévères n’auront le moindre effet sur la répression et sur le régime qui a organisé depuis tant d’années sa résilience autour de la corruption et de petits arrangements avec des voisins complaisants, un peu usuriers comme la Chine.
Plus récemment l’usage des cryptoactifs a encore facilité le détournement des sanctions. Pourtant il faudrait des sanctions exemplaires uniques avec une communauté internationale solidaire, le gel des avoirs, les interdictions de visas pour les dirigeants et leurs familles, la fermeture des espaces aériens à IRAN AIR, et aussi attaquer sans faiblesse la puissance économique des Pasdarans.
La révolution est profonde et généralisée et si on connait un peu le pays, on peut noter que la répression s’exerce avec férocité, en priorité contre des minorités kurdes ou baloutche.
La réalpolitique fait fi du sang versé et des larmes
- Nathalie Goulet
On peut dès lors s’interroger sur le contexte géopolitique de cette révolution.
La réalpolitique va-t-elle balayer les espoirs de liberté ?
L’Iran est une grande puissance, dotée d’une population de plus de 80 millions d’habitants très éduquée avec de très importantes ressources énergétiques, sans parler de ses ressources touristiques comme Ispahan, Shiraz et Persépolis. On est assez loin des cités en carton-pâte des environs.
L’Iran est une puissance économique, alors qu’elle vit sous sanctions depuis un demi-siècle. Imaginons ce que serait l’Iran sans sanction et sous un régime débarrassé de ses mollahs.
L’Iran deviendrait instantanément une menace et un concurrent pour les pays du Golfe, et chercherait à reprendre possession des gigantesques nappes gazières exploitées pour l’instant par le Qatar, à exploiter ses propres ressources minières et pétrolières et à exporter mille productions plutôt que l’idéologie mortifère des mollahs
Si on pose l’équation en ces termes il est à craindre qu’un Iran démocratique ne soit vu comme un perturbateur de l’ordre établi et bien compris, par ses voisins.
La Turquie en premier lieu, flairant une menace, a déjà réagi et a repris les bombardements sur des populations kurdes en Irak et en Syrie, faisant front commun avec l’Iran qui accuse les minorités d’encourager la révolution. Voilà déjà une grande puissance régionale membre de l’Otan qui verrait d’un très mauvais œil l’avènement d’un Iran démocratique, susceptible de favoriser les populations kurdes, ce qui est purement et simplement inconcevable pour le pouvoir turc.
Les Pays du Golfe, sont eux aussi concernés à des degrés différents.
Il existe bien d’autres sujets de tension en plus de la sémantique sur le nom du Golfe qui sépare la péninsule arabique de l’Iran : Golfe arabique pour les pays du Golfe, et donc arabo-persique pour les courageux diplomates qui ne veulent se fâcher avec personne. Le Golfe est historiquement Persique. C’est ce que l’on appelle en persan « voler l’héritage de l’orphelin ».
On ne peut pas présumer de la position de la Russie embourbée en Ukraine ou celle de la Chine. On peut penser que l’Europe et les USA seraient intéressés par un marché porteur, comme ils l’ont montré au moment de l’accord sur le nucléaire, avec une vague ininterrompue de délégations visitant le Président Rohani. Tous les espoirs de normalisation avaient ensuite été anéantis par le retrait des USA dudit accord, décidé par le Président Trump.
L’Iran assassine sa jeunesse devant une communauté internationale totalement impuissante, mais l’avenir de la révolution se joue peut-être ailleurs que dans les rues iraniennes, elle se joue aussi en Turquie, et dans les pays du Golfe.
La réalpolitique fait fi du sang versé et des larmes.
Le Président Macron, si prompt à organiser des conférences pourrait réunir les pays voisins de l’Iran pour préparer l’avènement d’un Iran libéré des mollahs criminels et renforcer l’espoir de changement démocratique au profit de la paix et de la stabilité dans toute la région pour que le slogan Zan Zendegi Azadi (Femme, Vie, Liberté) puisse être inscrit en lettres d’or sur toutes les ambassades iraniennes dans le monde en signe de victoire de cette révolution qui nous émeut, tant ses acteurs aux mains nues sont courageux face à l’oppression et la barbarie.
Nathalie Goulet est une femme politique française. Sénatrice de l'Orne depuis 2007, elle est membre du groupe Union des démocrates et indépendants au Sénat.
Twitter: @senateur61
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.