De nombreux Iraniens qualifient ce qui se passe dans le pays de «révolution», et non pas de «simples protestations et manifestations éparses» comme l'affirment les autorités. Si certains pays ont connu des révolutions en moins d'un mois, l'Histoire de l'Iran montre qu'une révolution y est souvent précédée de nombreux mois, voire d'années, de protestations croissantes.
Les scènes historique, sociopolitique et socio-économique de l'Iran semblent quelque peu différentes de celles d'autres pays de la région, notamment l'Irak, la Syrie et le Liban. L'Iran a connu trois révolutions majeures depuis le début du XXe siècle: la révolution constitutionnelle de 1906, le mouvement de nationalisation du pétrole mené par Mohammed Mossadegh au début des années 1950, et la révolution de 1979. Le règne des mollahs n'est qu'une aberration dans un contexte plus large.
L'Iran en est désormais à son troisième mois de protestations continues. C'est sans précédent dans les quatre décennies de règne de la République islamique. Les manifestants ne demandent pas de changement de politique, mais plutôt un changement de régime. Comme l'a souligné une Iranienne dans une interview accordée à Reuters: « Hé! le monde, écoutez-moi; je veux une révolution! Je veux vivre librement et je suis prête à mourir pour cela. Au lieu de mourir chaque minute sous la répression de ce régime, je préfère mourir avec les balles des forces de sécurité en manifestant pour la liberté.»
La crainte d'une révolution potentielle est ressentie par certaines des autorités iraniennes. Mohammed Reza Tajik, membre de la faction réformiste, a prévenu dans une interview accordée au journal contrôlé par l'État Bahar News: «La situation politique de la société a dépassé le stade de la peur et elle est entrée dans celui de la rage. Le mouvement actuel est associé à une sorte de bonheur et de zèle pour la vie. Le militant d'aujourd'hui est prêt à sacrifier sa vie pour obtenir la liberté.» Il ajoute que «le militant d'aujourd'hui pense que seul le langage de la colère est la solution et que les autres moyens ne trouvent pas de réponse et ne sont pas pris en compte. Au fil des ans, nous avons planté les graines de la haine et maintenant nous récoltons beaucoup de colère.»
Plus le régime iranien utilise la violence contre les manifestants, plus les protestations monteront d’un cran.
Dr Majid Rafizadeh
Il convient de noter que la révolution iranienne de 1979 ne s'est pas produite sur une courte période, contrairement à d'autres, comme la révolution égyptienne de 2011, qui avait commencé le 25 janvier de cette année-là et qui avait abouti, le 11 février, à la démission de Hosni Moubarak de son poste de président. En réalité, les protestations en Iran avaient commencé en octobre 1977, près d'un an et demi avant la révolution, et elles s’étaient poursuivies jusqu'en 1979, lorsque la dynastie du chah a été renversée.
En 1978, des gens et divers groupes d'opposition s’étaient rassemblés. Mais la communauté internationale ne pensait pas que ces protestations pourraient déboucher sur une révolution. C’était très probablement dû au fait que le chah avait réussi à projeter une image séduisante de lui-même en dehors de l'Iran, celle d'un roi jouissant d'une légitimité, d'une armée puissante et du soutien du peuple. Cependant, plus les forces de sécurité du chah tuaient de gens, plus la campagne de résistance et les protestations augmentaient. Finalement, l'organisation fondamentaliste de l'ayatollah Khomeini a coopté la révolution en février 1979, après que le chah eut fui le pays.
Désormais, plus le régime iranien utilise la violence contre les manifestants, plus les protestations montent d’un cran. Il est important de préciser qu'en Iran, les cérémonies funéraires ont lieu le 3e jour («sevom»), le 7e jour («haftom») et le 40e jour («chehelom») après l'enterrement du défunt. Ces cérémonies sont maintenant devenues une plate-forme pour les protestations de masse, remettant encore plus en question la mainmise du régime sur le pouvoir. Plus le régime tue de manifestants, plus il se retrouve dans un cercle incontrôlable de rage et de résistance.
Certains éléments de la désobéissance civile et de la résistance en cours du peuple ressemblent à ceux de 1979. À titre d’exemple, à l'époque, la plupart des Iraniens luttaient pour mettre en place un système de gouvernance représentatif et démocratique. Ils étaient mécontents du chah, Mohammad Reza Pahlavi, en raison de la corruption politique et financière généralisée et des violations des droits de l'homme.
Outre ces facteurs, la population en a actuellement assez des règles restrictives imposées par les religieux au pouvoir, la prétendue police de la moralité et le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et son groupe paramilitaire, le Basij. Énormément de gens ne veulent pas d'une théocratie qui impose ses croyances et ses enseignements extrémistes à la société. En outre, de nombreuses personnes exigent un meilleur niveau de vie et l'égalité économique.
Il est paradoxal que la République islamique, qui a cherché à exporter sa révolution dans d'autres pays pendant plus de quatre décennies, ait maintenant recours à toutes les tactiques brutales possibles pour empêcher une révolution chez elle.
- Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Il utilise Twitter: @Dr_Rafizadeh.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.