Les manœuvres du Hezbollah

C'est sans doute la première fois que le mouvement chiite s'avance aussi loin au sujet d'un dialogue pacifique avec Israël, alors que – faut-il le rappeler – les deux pays sont encore aujourd'hui officiellement en état de guerre, par la volonté expresse du Hezbollah, depuis des années. Pour autant, son chef, Hassan Nasrallah, n'a nullement cherché à minimiser la portée de sa démarche. (AFP).
C'est sans doute la première fois que le mouvement chiite s'avance aussi loin au sujet d'un dialogue pacifique avec Israël, alors que – faut-il le rappeler – les deux pays sont encore aujourd'hui officiellement en état de guerre, par la volonté expresse du Hezbollah, depuis des années. Pour autant, son chef, Hassan Nasrallah, n'a nullement cherché à minimiser la portée de sa démarche. (AFP).
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Publié le Lundi 07 novembre 2022

Les manœuvres du Hezbollah

Les manœuvres du Hezbollah
  • Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, n'a nullement cherché à minimiser la portée de sa démarche
  • L'accord du 27 octobre confirme que Hassan Nasrallah est aujourd'hui à la recherche d'une nouvelle posture au Liban, mais aussi sur le plan international

Au Moyen-Orient, plus encore qu'ailleurs, l'actualité se bouscule, les événements se succèdent, l'un effaçant l'autre, de sorte qu'il faut beaucoup d'attention pour saisir les moments ou les actes qui comptent plus que d'autres. Ainsi en est-il du soutien officiel – et presque bruyant – que le Hezbollah a apporté à la négociation puis à la signature de l'accord entre Israël et le Liban sur leur frontière maritime commune, réglant la question cruciale du partage des champs sous-marins d'hydrocarbures au large de leurs côtes.

«Une très grande victoire»

L'événement – je veux dire: le soutien apporté par le Hezbollah – est loin d'être neutre. C'est sans doute la première fois que le mouvement chiite s'avance aussi loin au sujet d'un dialogue pacifique avec Israël, alors que – faut-il le rappeler – les deux pays sont encore aujourd'hui officiellement en état de guerre, par la volonté expresse du Hezbollah, depuis des années. Pour autant, son chef, Hassan Nasrallah, n'a nullement cherché à minimiser la portée de sa démarche. Bien au contraire. Il assume et il est venu à la télévision pour s'en expliquer longuement. «Une très grande victoire», a-t-il dit. Il a ainsi montré qu'il était à l'écoute de la population libanaise, laquelle escompte que les milliards de dollars qui seront tirés des puits de pétrole et de gaz sortiront le pays de la misère où il s'enfonce.

Sami Gemayel en a tiré une conclusion lapidaire. Le Hezbollah, a-t-il déclaré, a «pleinement reconnu l'État d'Israël». C'est bien vite dit. Il est vrai cependant que, à y regarder de près, on ne peut se départir de l'impression que, derrière l'effet simplificateur des mots du dirigeant chrétien, il y a une part de vérité difficilement contestable.

Certes, Hassan Nasrallah joue sur plusieurs tableaux. Soucieux de ménager ses marges de manœuvre, il a expliqué qu'il s'agissait d'un arrangement à caractère technique qui portait non pas sur la délimitation officielle de la frontière maritime entre les deux pays, mais sur le partage concret des accès aux champs d'hydrocarbures sous-marins. Il a insisté sur les conditions de la négociation et de la signature de l'accord: les deux délégations ont siégé dans des salles distinctes, le médiateur américain faisait seul la liaison entre elles; et, pour la signature de l'accord, les représentants des deux pays ont signé séparément des documents distincts. Bref, il n'y aurait rien de changé sur le fond.

Changement de situation

Mais tout cela ne doit pas faire illusion. La réalité, c'est bien qu'Israël et le Liban ont signé côte à côte un accord qui a une grande portée économique pour les deux pays et que l'exploitation des deux gisements d'hydrocarbures, voisins de quelques kilomètres seulement et en quelque sorte jumeaux, exigera une coopération de bon voisinage entre les deux pays incompatible avec la poursuite de l'état de guerre. C'est un changement de situation qui va modifier sensiblement la donne entre eux. Ils sont désormais liés par un puissant intérêt commun qui confère à cet accord une dimension politique importante. 

Du point de vue du Hezbollah, c'est le résultat d'une évolution entamée il y a déjà fort longtemps. Au fil des années, il est devenu une force incontournable dans le paysage politique libanais, potentiellement la première. C'est aussi l'une des forces militaires majeures au Moyen-Orient, qui a fait ses preuves, en Syrie notamment, mais pas seulement. L'accord du 27 octobre confirme que Hassan Nasrallah est aujourd'hui à la recherche d'une nouvelle posture au Liban, mais aussi sur le plan international. Le Hezbollah veut être reconnu comme un partenaire crédible avec lequel il faut compter, mais aussi avec qui on peut traiter. Sans doute aussi espère-t-il que la manne pétrolière attendue lui ouvre la perspective de moins dépendre de Téhéran, voire de survivre à l'éventualité d'un effondrement du régime des ayatollahs iraniens.

Enfin, on n'oublie pas que Netanyahou a critiqué vertement cet accord, parlant de «capitulation» et annonçant qu'il s'y opposerait s'il gagnait les élections. Après la victoire électorale du 1er novembre, va-t-il s'exécuter? Ce serait une bien lourde erreur.

 

 

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire. 

TWITTER: HdeCharette

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.