Depuis l’arrivée sur le sol français après de longues années dans des zones contrôlées par les djihadistes, comment se passe le tout premier contact, les tout premiers mots? C’est ici que tout se joue et qu’interviennent des professionnels de la protection de l’enfance.
Le 20 octobre 2022, la France a annoncé une nouvelle vague de rapatriement de femmes et d’enfants de djihadistes ayant passé souvent plusieurs années dans les zones sous contrôle de l’État islamique. On a évoqué le chiffre de quinze femmes et de quarante enfants français, jusqu’alors retenus dans des camps surveillés par des Kurdes en Syrie.
Le gouvernement estime à près de sept cents le nombre de ressortissants majeurs ou résidents français présents sur les zones de combats en Syrie et en Irak.
Dans la continuité de la circulaire du 23 février 2018 relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone d’opérations de groupements terroristes (notamment la zone irako-syrienne), un protocole a été mis en place dans chaque département (collectivité en charge de la protection de l’enfance) afin d’encadrer la prise en charge des mineurs que l’on a qualifiée pudiquement de «retour de zone».
Le gouvernement estime à près de sept cents le nombre de ressortissants majeurs ou résidents français présents sur les zones de combats en Syrie et en Irak. Face à cette situation exceptionnelle, il convenait de mettre en place une prise en charge et un accompagnement spécifique de ces mineurs adaptés à leur âge et à leur situation individuelle. Cette prise en charge porte sur plusieurs points: l’identification des mineurs concernés par ce dispositif, la saisine du procureur de la république et la diffusion de l’information, l’intervention du juge des enfants, le bilan somatique et médico-psychologique.
Dans ces situations singulières, un travail partenarial exceptionnel s’organise dans le cadre de mesures conjointes avec la protection judiciaire de la jeunesse, des liens étroits sont mis en place avec les services de santé, l’Éducation nationale, la justice, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères.
Cette prise en charge porte sur plusieurs points: l’identification des mineurs concernés par ce dispositif, la saisine du procureur de la république et la diffusion de l’information, l’intervention du juge des enfants, le bilan somatique et médico-psychologique.
C’est dans ce contexte que le professionnel de l’aide à l’enfance intervient auprès de mineurs de retour de zone d’opérations de groupements terroristes. Il est donc amené à rencontrer le ou les parents en centre de détention dans le cadre de visites dites «médiatisées».
Dans le cadre d’un travail universitaire de haut niveau, l’une de mes étudiantes, qui a souhaité rester anonyme pour des raisons très compréhensibles, a pu interroger ces professionnels (tous les noms ont été modifiés).
Une prise en charge dès l’aéroport
Lors de l’arrivée d’un enfant, une ordonnance de placement provisoire du parquet est établie. Si certains, ce qui est rarissime, peuvent dès leur arrivée réintégrer leur famille ou leur famille élargie, la majorité des mineurs est confiée au service de protection de l’enfance et séparée de leurs parents.
«Pour commencer, la mise en œuvre de l’ordonnance de placement est un temps très complexe, tant il est nécessaire de rassurer l’enfant.»
Plusieurs étapes sont alors identifiées et nécessitent une attention particulière à chaque moment de la prise en charge du mineur, nous indique Nour, éducatrice spécialisée:
«Pour commencer, la mise en œuvre de l’ordonnance de placement est un temps très complexe, tant il est nécessaire de rassurer l’enfant. Un temps où l’on crée le lien avec ce dernier, où la rencontre s’initie et laisse place à plusieurs inquiétudes, incompréhensions et/ou projections. En effet, nous pouvons remarquer de quelle manière l’enfant tente de ne rien laisser paraître…»
Recueillir la parole de l’enfant
Le plus difficile commence puisque le mineur n’est pas rentré indemne. Il a vu les horreurs, il en a été souvent victime et parfois auteur. Nour décrit une nouvelle fois la façon dont ce premier dialogue se déroule:
«Leurs premiers discours sont teintés de mots qui se veulent rassurants, de paroles d’enfants très influencés par les parents, parfois même dans des récitations de discours parentaux: “Oui, je vais bien, non, je n’ai rien vu, il n’y avait pas la guerre, mes parents sont gentils.” Il s’agit à ce moment-là d’accueillir la parole de l’enfant sans chercher à la questionner ou la contredire, mais simplement l’accueillir, l’écouter, l’entendre. En effet, malgré la volonté pour tout adulte de mettre des mots sur ce qui est perçu comme atroce, cette parole reste le début du travail à mener, auprès de l’enfant.»
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.