Il faudra retenir cette date: le 11 octobre, un projet d'accord a été acté entre le Liban et Israël concernant le partage des eaux en Méditerranée orientale pour l'accès aux gisements d'hydrocarbures qui s'y trouvent. Un événement historique, ont clamé en chœur les médias internationaux, tandis qu'à Beyrouth comme à Tel-Aviv les dirigeants se félicitent, parfois avec enthousiasme, de ce succès obtenu grâce à l'efficace médiation américaine et à l'appui de la diplomatie française auprès du Liban. Il est vrai que les motifs de satisfaction ne manquent pas, même si, côté libanais, l'accord soulève bien des interrogations.
Il faudra retenir cette date: le 11 octobre, un projet d'accord a été acté entre le Liban et Israël concernant le partage des eaux en Méditerranée orientale pour l'accès aux gisements d'hydrocarbures qui s'y trouvent
Hervé de Charette
Trois raisons au moins font de cet accord un heureux événement. Tout d'abord, c'est la première fois à ma connaissance qu'Israël et le Liban parviennent à un texte de cette importance par une négociation directe. Les deux pays restent officiellement en guerre, mais ils finissent par s'entendre sur un tracé de leur frontière maritime. C'était vraiment inattendu. En second lieu, il faut noter que l'enjeu était extrêmement important parce qu'en dépendait la possibilité pour les deux pays d'exploiter pacifiquement les gisements gaziers repérés au large de leurs côtes. Le Premier ministre israélien a salué l'événement en déclarant que l'accord allait «renforcer la sécurité d'Israël, injecter des milliards dans l'économie et assurer la stabilité de notre frontière nord». C'est dire!
Enfin, il est significatif de noter que Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a officiellement et publiquement apporté son soutien à l'accord, démontrant ainsi son sens des intérêts supérieurs de l'État libanais. Cela laisse à penser que ce premier pas pourrait être un «game changer» pour la région et pour la délimitation de la frontière terrestre israélo-libanaise, comme l'a déclaré Elias Bou Saab, vice-président du Parlement et principal négociateur libanais. Des deux côtés, les esprits évoluent et on ne peut que s'en réjouir.
Retour au réel: il faut d'abord attendre que l'accord soit ratifié par les deux pays. En Israël, Yaïr Lapid est un Premier ministre de transition pour encore quelques jours jusqu'aux élections législatives du 1er novembre. Son adversaire, Benjamin Netanyahou, critique l'accord, «une capitulation», dit-il, et il prétend qu'il y renoncera s'il reprend le pouvoir.
À Beyrouth, le président Aoun compte quant à lui en faire le succès final de son mandat qui s'achève le 31 octobre et souhaite donc sa ratification d'ici là Mais les députés d'opposition et certains experts critiquent le tracé de la frontière qui a donné un contrôle exclusif à Israël sur le champ gazier de Karich sur lequel, initialement, le Liban réclamait un contrôle partagé, tandis qu'Israël obtient un accès sur une (très petite) partie du gisement de Cana que l'accord place dans les eaux libanaises. Mieux vaut donc attendre les échéances électorales à venir.
Retour au réel: il faut d'abord attendre que l'accord soit ratifié par les deux pays.
Hervé de Charette
Évidemment, dans cet accord, la situation du Liban n'est pas la même que celle d'Israël. L'État hébreu obtient la pleine maîtrise du champ gazier de Karich, qui est assez modeste, mais dont l'exploitation va pouvoir commencer dans les prochaines semaines. Le gouvernement a déjà annoncé qu'il sera dédié à l'exportation de gaz vers l'Europe, une bonne façon d'affermir les liens avec notre continent qui souffre de sérieuses difficultés d'approvisionnement.
En revanche, l'exploitation du champ gazier de Cana n'est pas pour demain. TotalEnergies, qui en a la principale responsabilité, doit d'abord se livrer à un important travail d'exploration, ce que le groupe a promis de faire durant l'année 2023. Pour le moment, rien n’indique quelle sera la capacité de production du site. On parle d'au moins quatre ans avant toute exploitation commerciale. Le Liban, dont Cana est le seul site en perspective, a un grand retard sur ses voisins de la Méditerranée – l'Égypte, Israël, Chypre – dans la recherche d'hydrocarbures en mer. Ce n'est donc pas avec cet accord qu'il va disposer à court délai des moyens financiers de sortir de la pire crise économique de son histoire dans laquelle il est plongé.
Il ne faut pas croire non plus que l'exploitation espérée du gaz à Cana va résoudre demain tous les problèmes cruciaux du Liban et le dispenser des réformes réclamées par la communauté internationale depuis des années.
Il ne faut pas croire non plus que l'exploitation espérée du gaz à Cana va résoudre demain tous les problèmes cruciaux du Liban
Hervé de Charette
Écoutons les avertissements de mon ami Alain Bifani, ancien directeur général du Trésor libanais, qui est l'un des mieux placés pour juger de la situation. Il dénonce «l'exploitation politique qui est faite de l'accord et les mensonges qui l'entourent». Il va même plus loin: «Le gaz ne va pas améliorer la gouvernance du Liban. Au contraire, il va accélérer le processus d'accaparement des richesses de l'État par l'oligarchie politico-financière.» Voilà l'enjeu. Si les espoirs mis dans le gisement de Cana se réalisent, encore faudra-t-il que les forces politiques du pays se résolvent enfin à changer leur fusil d'épaule. Sinon, c'est l'échec assuré. Pour le moment, ça n'en prend pas le chemin.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.