Depuis que le régime théocratique en Iran a pris le pouvoir il y a plus de quarante-trois ans, il a fait face à d’importantes vagues successives de manifestations populaires. Certaines de ces manifestations étaient relativement mineures, tandis que d'autres étaient plus importantes, allant des manifestations de 1999 à celles de 2009, 2017, 2019, 2021 et 2022. Toutes ces manifestations ont révélé une profonde crise de légitimité pour le régime, s'accroissant et se développant depuis le début – crise causée par des politiques nationales inadaptées et des dérives extraterritoriales.
Bien que chaque vague de protestation ait ses propres raisons, motivations et contextes spécifiques, certains facteurs communs peuvent être définis. Le premier facteur est politique, façonné par un mécontentement généralisé de la population à l'égard du régime et de ses politiques d'exclusion envers les femmes, les minorités non persanes et les groupes non chiites.
Le deuxième facteur est socio-économique, avec une corruption généralisée, la détérioration des conditions de vie et l'injustice, qui alimentent le ressentiment populaire.
Le troisième facteur est que les différences sectaires et ethniques ont été dépassées dans toutes les vagues de protestations. Cela reflète le rejet généralisé et le mécontentement à l'égard des politiques du régime, ainsi qu’une large opposition aux politiques judicaires d’un régime autoritaire parmi les groupes ethniques iraniens et d'autres sectes religieuses.
Le quatrième facteur est l'escalade et l'évolution des revendications. Quelles que soient les causes immédiates des manifestations, les revendications s'intensifient rapidement, avec des slogans dirigés directement contre le régime et toutes ses composantes. À titre d’exemple, même si les manifestations commencent en opposition aux politiques économiques du régime ou à la récession économique dans le pays, elles passent rapidement à des revendications politiques telles qu'un changement de régime, avec le slogan «Mort au dictateur» – une référence au Guide suprême, Ali Khamenei – répété dans de nombreuses manifestations.
Les manifestations de 2022 sont considérées comme les plus diverses et sont les premières à refléter l'entente entre les élites et les masses
Dr Mohammed al-Sulami
Cinquième facteur, à l'exception des manifestations du «Mouvement vert» de 2009 menées par Mir-Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi, toutes les vagues de protestations ont eu en commun un manque d’encadrement. Compte tenu de l'influence et du pouvoir de Mousavi et de Karroubi en Iran, ce pourrait être l'une des principales raisons pour lesquelles les autres manifestations n'ont pas eu autant d'impact ou n'ont pas représenté autant de pression sur le régime que celles de 2009. L’encadrement est toujours un facteur déterminant dans l'organisation de manifestations, en ciblant les régions qui représentent la plus grande menace pour le régime, et même en mettant l’accent et se concentrant sur les revendications, les transformant ainsi en leviers visant à faire pression sur le processus de prise de décision du régime.
Dans toutes les vagues de protestations en Iran, le régime a donné la priorité au déploiement de son violent dispositif de sécurité comme solution automatique pour réprimer les manifestations par l'exercice de la force brutale. En outre, le régime limite l'accès à Internet et utilise même des théories du complot et des allégations sur les revendications séparatistes pour justifier l'usage excessif de la force et faciliter la répression des manifestants. Cependant, cette approche a eu l'effet inverse du but recherché, alimentant le mécontentement populaire au point d’inciter à de nouvelles manifestations.
La durée des vagues de protestation en Iran varie. Les manifestations de 1999 ont duré sept jours, alors que celles de 2017 et 2021 ont duré chacune onze jours. Par ailleurs, les manifestations actuelles se poursuivent depuis près d'un mois, la plus longue durée à ce jour. Elles ont commencé à grande échelle, mais le nombre de manifestants a progressivement diminué. Il y a une augmentation progressive de la durée des manifestations, ce qui entraîne de plus grandes conséquences pour le régime.
Par rapport aux vagues précédentes, les manifestations de 2022 sont considérées comme les plus étendues, ayant lieu dans 85 villes, suivies des manifestations de 2021, qui ont eu lieu, quant à elles, dans 80 villes. Les manifestations de 2017, qui englobaient près de 60 villes, arrivent en troisième position. De plus, les manifestations de 2022, qui sont considérées comme ayant le plus de diversité et comme étant les plus intégratives en termes de groupes qui y participent, sont les premières à refléter l'entente entre l’élite et la masse. À une plus grande échelle que lors des manifestations précédentes, la population a défilé aux côtés de professeurs d'université, d'étudiants, d'artistes, d'athlètes, d'experts et de militants politiques. Les élites, très éloignées des préoccupations des Iraniens ordinaires, ont été le principal catalyseur des manifestations de 1999 et 2009, tandis que les manifestations de 2019 étaient principalement axées sur la base populaire, sans intervention des élites.
Malgré toutes leurs craintes extrêmement fondées de répression et de meurtres, les Iraniens ont multiplié lors des manifestations de 2022 les slogans antirégime depuis les fenêtres de leurs maisons. Plus important encore, il y a eu une augmentation de la participation des femmes, de nombreuses filles et femmes se coupant les cheveux ou retirant leur voile obligatoire – et, dans certains cas, les brûlant. Même des écolières se sont prises en photo en train de faire des gestes grossiers avec un doigt devant des images de Khamenei. Les manifestations ont fait passer un message direct: la destitution de Khamenei et la chute de la soi-disant République islamique dans son ensemble.
La vague de protestations actuelle est d'autant plus importante qu'elle se déroule pendant une période sensible. Le peuple iranien est bien plus en colère que lors des précédents cycles de manifestations. Les observateurs décrivent la colère perçue en Iran comme ayant atteint «un point d'ébullition et pouvant dégénérer en une explosion populaire». Les manifestations ont également commencé dans un contexte d’impasse à Vienne, ce retard dans la conclusion d'un accord nucléaire impliquant le fait que l'imposition de sanctions est susceptible de se poursuivre, entraînant une nouvelle détérioration des conditions de vie déjà catastrophiques, qui est également une cause essentielle de la propagation des manifestations dans les villes iraniennes. En conséquence, les manifestations sont susceptibles de se reproduire ou de se poursuivre par intermittence.
Cette étape intervient également sous le mandat du président de la ligne dure, Ebrahim Raïssi, religieux considéré comme l'un des plus fanatiques parmi ceux qui ont pris le contrôle de l'Iran. N'oublions pas qu'il était membre du tristement célèbre «comité de la mort» qui avait supervisé les exécutions de milliers de prisonniers politiques en 1988. Son attitude radicale s'est à nouveau manifestée dans son utilisation du mot «fermeté» lorsqu'il a donné l’ordre au Corps des gardiens de la révolution islamique et, pour la première fois, à l'armée iranienne d’utiliser la force contre les manifestants. Ce recours excessif à la force conduira à une colère encore plus grande, en particulier compte tenu du mécontentement populaire existant à l'égard du soutien du régime à Raïssi pour qu’il devienne le prochain Guide suprême.
En résumé, il semble que le laps de temps décroissant entre les quatre dernières grandes vagues de manifestations – un ou deux ans entre chaque vague, par rapport à la période de dix ans entre les trois vagues précédentes – sonne l'alarme sur l'avenir du régime religieux iranien. Ce niveau croissant de colère et de mécontentement pourrait finalement conduire à un soulèvement populaire (un «big bang») en Iran à la suite de la politique du régime.
Pour survivre, le régime doit revoir sa politique et changer son comportement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Il doit cesser ses dérives extraterritoriales aberrantes et économiser les ressources qu'il fournit à l’étranger aux acteurs politiques et militaires qui le représentent en échange de la gestion de la machine de son projet subversif.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com