PARIS: Vue de Paris, la situation politique en Iran suscite pas mal d'interrogations. Plusieurs signes inquiètent les services français qui constatent que l'entretien entre M. Macron et son homologue iranien, l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi, à New York à la fin de septembre à l'occasion de l'Assemblée générale des nations unies, n'a pas dégagé l'horizon, tant s'en faut. L'Iran n'a toujours pas donné son agrément à la désignation comme ambassadeur de Nicolas Roche, ancien directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, auquel sont reprochées des positions jugées hostiles à l'Iran prises dans ses anciennes fonctions.
Plus grave, les autorités françaises ont très mal pris la diffusion par une chaîne officielle iranienne d'une vidéo de deux syndicalistes enseignants français arrêtés et emprisonnés depuis plusieurs mois, dans laquelle ils reconnaissent avoir travaillé pour les services de renseignement. Le Quai d'Orsay a réagi très fermement en dénonçant «le retour de la pratique des aveux extorqués sous la contrainte dans une mise en scène indigne, révoltante, inacceptable…, rappelant les pires des régimes dictatoriaux». Ces deux enseignants, «détenus arbitrairement(…) constituent des otages d'État».
Dans ce contexte très tendu, deux dossiers paraissent mal en point. Le premier, c'est la relance tant espérée à Paris de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Le second, c'est l'éventualité de la participation iranienne au projet franco-irakien d'une conférence régionale qui se tiendrait en Jordanie, faisant suite à celle qui s'est tenue en août 2021 à Bagdad à l'initiative conjointe de M. Macron et du Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi.
Il ne s'agit plus seulement de cette affaire du voile, mais d'une perte de confiance généralisée envers un régime où la primauté du pouvoir religieux a progressivement cédé le pas à la militarisation, à la corruption et à la monopolisation du pouvoir au profit d'un groupe restreint.
- Hervé de Charette
Les observateurs français ne sont pas les seuls à rapprocher le durcissement de la posture internationale de Téhéran avec la crise politique intérieure dont l'Iran est le théâtre. Comme on le sait, tout est parti de la mort, le 16 septembre, de l'étudiante iranienne Mahsa Amini pendant sa garde à vue dans les locaux de la police des mœurs pour une affaire de voile mal porté. Depuis, des manifestations se déroulent quotidiennement dans la plupart des villes du pays.
La «sévère répression» ordonnée publiquement par le Guide suprême, Ali Khamenei, est menée de façon extrêmement brutale par les forces de sécurité (les Gardiens de la révolution, les bassidjis et la police antiémeute ). Au départ, il s'agissait de la protestation spontanée d’Iraniennes contre l'État qui voudrait leur imposer un port du voile plus strict. Mais, au fil des jours, la crise a pris une autre tournure. Les étudiants se sont mobilisés mais aussi de nombreux enseignants ainsi que les familles, le monde économique, les milieux culturels, et même une partie des représentants politiques de l'opposition réformatrice écartée du pouvoir lors des dernières élections.
De manière générale, les diplomates étrangers présents à Téhéran doutent que le régime soit ébranlé. Dans le passé, en effet, et encore récemment en 2017 et 2019, le pouvoir a été confronté à de sérieuses crises politiques et, chaque fois, il a réussi à y mettre fin par une politique de répression déterminée. C'est aussi ce qui explique sans doute la relative discrétion et la modération des réactions internationales, si l'on excepte les quelques sanctions, d'ailleurs plutôt symboliques, de Washington.
Il n'empêche. Le pouvoir donne des signes d'inquiétudes. Pour le moment, la dureté de la répression n'a pas réussi à étouffer le mouvement social. Bien au contraire. Certes, les autorités accusent les États-Unis et leurs alliés occidentaux d'être à l'origine de la crise et de manipuler les manifestants. Mais on voit bien qu'il s'agit d'une lame de fond, d'un soulèvement populaire qui ne s'apaise pas malgré des dizaines de morts et des milliers d'arrestations sommaires.
Il ne s'agit plus seulement de cette affaire du voile, mais d'une perte de confiance généralisée envers un régime où la primauté du pouvoir religieux a progressivement cédé le pas à la militarisation, à la corruption et à la monopolisation du pouvoir au profit d'un groupe restreint, principalement représenté par les Gardiens de la révolution. L'avenir dira ce que sera le sort de ce soulèvement qui n'a pas, pour le moment, de leadership crédible. Mais ce qui est déjà certain, c'est que la légitimité du régime iranien est durablement mise en cause.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.