La révolution iranienne aurait-elle enfin atteint sa réaction thermidorienne?

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Publié le Dimanche 09 octobre 2022

La révolution iranienne aurait-elle enfin atteint sa réaction thermidorienne?

La révolution iranienne aurait-elle enfin atteint sa réaction thermidorienne?
  • Depuis son arrivée au pouvoir en 1979, la direction du régime iranien a témoigné d’un mépris total pour les droits humains de son peuple, et ceux des femmes ont été bafoués avec un zèle particulier
  • Ce sont les premiers jours de la résistance de masse actuelle et on ne sait toujours pas si elle sera capable d’inaugurer la propre réaction thermidorienne de l’Iran, ou s’il s’agit uniquement d’une lueur d’espoir trompeuse

Pendant des décennies, le régime théocratique répressif en Iran a fait preuve de zéro tolérance envers tout signe de dissidence, quelle que soit son origine, et a réprimé sans pitié les manifestants.

Depuis son arrivée au pouvoir en 1979, la direction du régime iranien a témoigné d’un mépris total pour les droits humains de son peuple, et ceux des femmes ont été bafoués avec un zèle particulier.

Depuis plus de deux semaines maintenant, le régime iranien montre toute son atrocité en réprimant plusieurs milliers d’Iraniens, principalement des femmes, qui ont envahi les rues pour protester contre la mort de Mahsa Amini, 22 ans. Arrêtée à Téhéran le 13 septembre par la police des mœurs iranienne, sous prétexte qu’elle portait son hijab de manière inappropriée, elle a ensuite été conduite dans un «centre de rééducation». Elle est décédée trois jours plus tard alors qu’elle était en garde à vue.

Assisterait-on à un moment historique où les femmes iraniennes prennent en main leur destin, et celui du pays, pour réformer l’Iran et peut-être même renverser le régime?

Les manifestations se sont propagées dans au moins quarante villes du pays, dont la capitale Téhéran, sous le slogan «Femme, vie, liberté». Les manifestants exigent la fin de la violence et de la discrimination à l’égard des femmes. Jusqu’à présent, selon Iran Human Rights, un groupe de surveillance basé en Norvège, 154 personnes ont été tuées à travers l’Iran et des milliers arrêtées par les forces de sécurité qui ont fait preuve d’une forme de brutalité jamais vue depuis plusieurs années au sein du pays.

Le gouvernement iranien adopte le seul moyen qui lui soit familier et confortable: la violence extrême contre des civils innocents, pour la plupart, des femmes, et qui ne sont plus prêts à se plier aux ordres d’un régime dominé par les hommes avec une idéologie oppressive n’ayant rien à voir avec la religion. Il s’agit plutôt d’un outil pour répandre la peur au moyen d’un contrôle absolu pour parvenir à la conformité et à l’obéissance.

Il est impossible de prédire pendant combien de temps ces manifestations pourront perpétuer l’énergie et la détermination nécessaires face à tant de morts et d’arrestations, mais une chose est sûre: la réaction excessive du gouvernement au soulèvement est une démonstration de faiblesse et de peur, sans parler de lâcheté.

Le régime a peur parce qu'il sait que la colère des femmes iraniennes, contre un système gangréné par la misogynie et la masculinité toxique, a atteint un point de non-retour et leurs protestations résonnent parmi tant d’autres à travers le monde, se mobilisant en force pour exprimer leur soutien.

Dans le passé, nous avons vu de nombreux Iraniens descendre dans la rue pour protester contre la répression, la mauvaise gestion de l’économie et la corruption. Ils ont été confrontés à une brutalité répressive extrême de la part du gouvernement et de ses agents.

Serait-ce donc une phase de transformation, au moment où de nombreux Iraniens, en particulier les femmes du pays, sentent qu’ils n’ont plus rien à perdre et sont donc prêts à poursuivre leur résistance jusqu’à ce que le régime se réforme ou s’effondre complètement?

«Ceux qui ont dirigé l’Iran depuis 1979 ont laissé tomber le peuple à tous les niveaux imaginables.»

Yossi Mekelberg

Dans son livre fondateur Anatomie de la révolution, Crane Brinton identifie quatre étapes par lesquelles passe généralement une révolution. Cela commence par le renversement de l’ancien régime par les modérés mais, du fait de crises prolongées, des agents radicaux prennent assez rapidement le contrôle. Bien que ces derniers soient peu nombreux, ils sont bien organisés, ambitieux, largement unis dans leur idéologie et leurs objectifs et, surtout impitoyables. Ils éliminent politiquement et, dans de nombreux cas, physiquement, les éléments les plus modérés.

De tels règnes de terreur ont été menés à d’autres moments de l’histoire par des personnages meurtriers comme Robespierre, qui a envoyé des milliers de personnes à la guillotine en France; Staline, qui a contraint tant de gens faire au travail forcé et à la mort dans ses goulags ; Mao, dont la révolution culturelle a coûté la vie à des millions de personnes.

Dans tous ces cas, on assiste à l’émergence d’un système de coercition qui aurait plus à voir avec le maintien d’une forme extrême de régime autoritaire qu’avec la mise en œuvre d’une idéologie profonde.

La révolution iranienne n’a peut-être pas été aussi brutale que les révolutions bolchévique ou chinoise, mais elle compte, à son actif, d’innombrables atrocités alors qu’elle continue d’exploiter la religion comme outil pour imposer l’obéissance.

Ces règnes de terreur arrivent cependant à ce que M. Brinton qualifie de phase de récupération. Ceci est également connu sous le nom de réaction thermidorienne, du nom du onzième mois du calendrier républicain français, au cours duquel une révolte parlementaire avait entraîné, en 1794, la chute de Robespierre, la fin de son règne de terreur et le retour du pouvoir aux modérés.

Aujourd’hui, plus de 40 ans après le renversement du shah de longue date, Mohammed Reza Shah Pahlavi, les Iraniens sont loin de regretter sa dictature. Mais ce qui a suivi montre que la situation est allée de mal en pis.

Dans les années qui ont suivi 1979, il y a eu plusieurs épisodes de résistance au régime, notamment au lendemain des élections de 2009 lorsque l’opposition réformiste a eu de très bonnes raisons de suspecter que la réélection du président radical Mahmoud Ahmadinejad était truquée. Puis en 2018, lorsque les manifestations généralisées étaient moins organisées, mais tout aussi bien articulées par les manifestants dans leurs demandes de réformes économiques, d’éradication de la corruption et, de plus en plus, de fin du régime lui-même.

À ces deux occasions, les manifestations ont été brutalement réprimées, faisant des milliers de victimes. De nombreuses autres personnes ont été arrêtées et torturées dans les célèbres prisons d’Iran.

La révolution iranienne attendait depuis longtemps sa réaction thermidorienne. Une telle évolution ne signifie pas nécessairement une contre-révolution et une autre flambée de violence généralisée et meurtrière. Elle pourrait prendre la forme de profondes réformes prenant en compte les revendications exprimées par les manifestants dans la rue ou sur les réseaux sociaux et les sites de l’opposition.

En fin de compte, ceux qui ont dirigé le pays depuis 1979 ont laissé tomber le peuple iranien à tous les niveaux imaginables. Au lieu de la sécurité, de la prospérité et des libertés, le régime n’a entraîné que la misère au sein du pays et la confrontation avec le monde au-delà de ses frontières.

Ce sont les premiers jours de la résistance de masse actuelle et on ne sait toujours pas si elle sera capable d’inaugurer la propre réaction thermidorienne de l’Iran, ou s’il s’agit uniquement d’une lueur d’espoir trompeuse. Tout dépend des sacrifices que ceux qui s’opposent au régime sont prêts à faire, pour affronter une brutalité sans relâche, et du niveau de soutien offert par la communauté internationale.

Néanmoins, le courage qu’on perçoit dans la rue lors de ces manifestations, menées par tant de femmes, de plus en plus soutenues par des hommes et encouragées par la solidarité exprimée par de nombreuses autres personnes à travers le monde, montre qu’elles sont déterminées pour que la mort insensée de Mahsa Amini ne soit pas vaine.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com