Le fait de savoir qui vous êtes et où vous avez été tué aurait-il un impact sur la couverture de votre cas par les grands médias et les politiciens américains? Il semble que ce soit le cas si l'on compare les tragiques récents assassinats de deux femmes, l'une palestinienne et l'autre iranienne.
Mahsa Amini, la femme iranienne, a été arrêtée le mois dernier par l'effrayante police des mœurs iranienne pour ne pas avoir porté de hijab. Elle est morte en prison; l'Iran a affirmé qu'elle souffrait d'un problème cardiaque et sa famille qu'elle a été torturée.
Shireen Abu Akleh, 51 ans, citoyenne américaine d'origine palestinienne, a été tuée d'une balle dans la tête par un franc-tireur des Forces de défense israéliennes (FDI) en mai, alors qu'elle effectuait un reportage pour une chaîne d'information arabe sur un raid combiné des FDI et du Shin Bet (Service de sécurité intérieure israélien, NDLR) dans un quartier de Jénine. Elle portait des vêtements qui l’identifiaient clairement comme une journaliste.
Amini avait 22 ans et venait d'une petite ville iranienne qui n'avait jamais été associée à des manifestations auparavant. Elle était en visite à Téhéran et se trouvait avec son frère à la gare de la ville lorsqu'elle a été placée en détention parce qu’elle ne portait pas de hijab.
La police des mœurs iranienne ressemble aux services secrets israéliens, qui tirent souvent les civils palestiniens de leur lit au milieu de la nuit, tels les sinistres personnages d'une histoire d'horreur. Ils sont à la fois sinistres et effrayants et ont l'habitude de tuer des innocents.
Comme le montrent ces deux cas, Israël et l'Iran possèdent tous deux des forces militaires brutales qui assassinent souvent des civils. En Israël, les FDI et le Shin Bet ciblent les non-Juifs qui protestent contre l'apartheid du gouvernement, puis qualifient les victimes de «terroristes». En Iran, le Corps des gardiens de la révolution islamique cible toute personne engagée dans des protestations ou dans des remous sociaux. Il l'arrête, l'emprisonne et, souvent, la torture. Certains ne sortent jamais du système carcéral, comme ce fut le cas pour Amini.
Mais comment les États-Unis ont-ils réagi à ces deux incidents, qui se sont produits à quelques mois d'intervalle?
Lorsqu'Abu Akleh a été tuée, une grande partie des médias a immédiatement pris la défense d'Israël, contestant les affirmations palestiniennes selon lesquelles elle avait été tuée intentionnellement par un sniper israélien. Israël a affirmé, comme il le fait toujours, qu'Abu Akleh avait été tué par des tirs de «terroristes» palestiniens.
Plusieurs membres du Congrès ont exigé une enquête, mais c'est la manière dont ils l'ont demandée qui diffère. Certains voulaient connaître les détails spécifiques, donnant à Israël le bénéfice du doute, tandis que d'autres accusaient Israël. La plupart des grands médias américains ont couvert le meurtre d'Abu Akleh, mais ils l'ont formulé en termes flous, en se soumettant à l'influence politique d'Israël en Amérique.
Les affirmations d'Israël selon lesquelles les Palestiniens pourraient être responsables ont tempéré l'indignation, car la plupart des politiciens américains croient tout ce qu'Israël dit sur les Palestiniens; peu leur importe la vérité ou les faits évidents. Bien que le président Joe Biden ait exigé une explication, son administration a laissé à Israël une grande marge de manœuvre pour obscurcir la question avec des affirmations, des revendications, des communiqués de presse et des démentis.
Finalement, Israël a conclu – dans le style typique de la propagande israélienne – qu'il y avait une «forte probabilité» qu'Abu Akleh ait été tuée par un soldat israélien. Le mois dernier, le bureau de l'avocat général militaire des FDI a annoncé que le tueur ne serait ni identifié ni poursuivi pour ce crime de guerre.
La mort d'Amini, en revanche, a fait l'objet d'une énorme couverture médiatique, en grande partie parce que l'Iran est considéré comme le plus grand État parrain du terrorisme au monde, ses cibles étant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et, bien sûr, Israël. La réaction a été si compatissante que même les médias racistes d'Israël, dont le The Jerusalem Post, ont dépeint des portraits d'Amini «privée de ses rêves de se marier et d'avoir des enfants après avoir terminé l'université».
Le reportage sur Amini était presque exactement comme celui des médias israéliens sur les victimes israéliennes de la violence. Ils décrivent toujours les détails de leur vie pour les humaniser, alors que, à l'inverse, ils n’attribuent aux Palestiniens qu'une seule étiquette – «terroriste» – et ne donnent aucun détail susceptible de susciter l’empathie de leurs lecteurs.
En Iran, les dissidents se sont mobilisés autour du meurtre d'Amini. Ils ont protesté et ont provoqué de nombreuses perturbations dans une nation qui est sous le contrôle religieux et politique oppressif des ayatollahs. Ces mouvements ont fait naître chez de nombreux militants l'espoir que le peuple iranien pourrait déclencher une intifada iranienne pour se débarrasser du régime brutal.
En revanche, le mot «intifada» a disparu du lexique politique palestinien et il fait désormais référence à une période du passé où les Palestiniens se seraient soulevés contre une oppression similaire. Au lieu de cela, les Palestiniens ont protesté et se sont plaints, mais sans grand résultat.
Le reportage sur Amini était presque exactement comme le reportage des médias israéliens sur les victimes israéliennes de la violence.
Ray Hanania
Les meurtres d'Abu Akleh et d'Amini devraient faire l'objet d'études universitaires qui démontrent la manière dont le meurtre est soit rejeté, soit accepté, sur la base de subtiles différences de circonstances.
Même si Abu Akleh était une citoyenne américaine, elle était aussi palestinienne et l'accusé était l'armée israélienne. Son cas était perdu d’avance. Amini, en revanche, n'était qu'une jeune fille d'un village de campagne situé en Iran et son cas est devenu la base de nouveaux appels de l'Occident à sévir contre le régime iranien qui soutient le terrorisme.
Les différences entre la façon dont les deux affaires sont perçues se résument à un simple fait: il est facile de haïr l'Iran, mais il n'est pas si simple de haïr Israël.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. On peut le joindre sur son site Internet personnel à l'adresse www.Hanania.com
Twitter: @RayHanania
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.