PARIS: Lorsqu'Aīda Asgharzadeh écrit en 2018 "Les Poupées persanes", inspirée de l'histoire de ses parents exilés par la Révolution iranienne, elle ne s'imagine pas que cette pièce va avoir une résonance particulière quatre ans plus tard.
Depuis les manifestations déclenchées fin septembre par le décès en détention de la jeune Mahsa Amini, la metteuse en scène et autrice franco-iranienne de 35 ans ne regarde plus de la même façon sa pièce, un succès récent du festival off d'Avignon qui se joue actuellement au théâtre des Béliers Parisiens.
"Les Poupées persanes", mise en scène par Régis Vallée, s'inspire librement de l'histoire de ses parents, engagés politiquement contre le Chah Mohammad Reza Pahlavi, avant de fuir le pays avec l'instauration du régime islamique.
C'est l'histoire d'un échec, mais aussi un hommage à ses parents: "leur plus grand regret, c'est d'avoir voulu quelque chose, de ne pas l'avoir obtenu, d'avoir obtenu pire. Ils ont vécu une forme de honte pendant longtemps", affirme à l'AFP Aīda Asgharzadeh, qui est née en France.
"Quand j'étais petite, je me souviens que je ne comprenais pas pourquoi mes parents ne cessaient de dire +on a échoué+; ils ne m'expliquaient pas", se rappelle-t-elle.
«Catharsis»
Dans la pièce, elle imagine une histoire un peu différente, celle de deux couples d'universitaires aspirant à un changement de régime dans les années 70; un des couples finit par être séparé brutalement, lui croupissant en prison pendant des années, elle fuyant en France avec sa fille et celle d'une amie, qu'elle élève comme sa propre fille. Les scènes se succèdent avec un flash-back entre l'Iran de cette époque et la France du début des années 2000.
"Quand mes parents ont lu d'abord le texte, ils étaient assez distants, ça a été un choc quelque part et ils avaient besoin de digérer", affirme l'autrice qui a co-écrit entre autres "La Main de Leïla", nommée aux Molières.
"Puis quand ils l'ont vue pour la première fois sur scène, ils étaient extrêmement émus...je n'ai jamais vu mon père pleurer comme ça, ça les a replongés dans les souvenirs", dit-elle.
En Iran, son père était recherché, changeait sans cesse d'appartements; avec sa mère, ils ont pu s'échapper in extremis à travers le Kurdistan iranien, grâce à un passeur. "Ils avaient hésité à prendre ma soeur, alors âgée de quatre ans, tellement ils étaient persuadés qu'ils allaient revenir quelques semaines plus tard".
"En revoyant la pièce, ma mère m'a dit que c'était comme si la pièce avait nettoyé la honte, une sorte de catharsis", affirme l'artiste, également comédienne.
Aïda Asgharzadeh joue elle-même deux personnages, dont celui qui se rapproche de sa mère, une enseignante qui apparaît au départ les bras nus, avant se voiler.
"Le public est frappé immédiatement par la différence et c'est de ça dont il s'agit aujourd’hui: les femmes manifestent pour la liberté de choisir de porter le voile ou pas, de ne pas subir une imposition", assure Mme Asgharzadeh.
Elle se dit émue et fière de cette population qui "risque sa vie chaque jour" et affirme, malgré "la peur d'un nouvel échec", avoir de l'espoir car "cette révolte prend des proportions plus grandes que celles qui l'ont précédée".
L'artiste confie avoir eu, enfant, une relation "trouble" avec l'Iran.
"Quand j'étais à l'école, j'avais envie d'être Française, bien que je parlais le farsi; plus tard, quand j'ai compris ce qui est arrivé à mes parents, j'ai eu honte d'avoir honte", dit-elle.
"Avec cette pièce, je me sens plus Iranienne que jamais, comme la soeur de ces femmes" qui manifestent.