Il n’est guère envisageable que des citoyens ordinaires soient contraints de recourir au braquage de banque comme seule solution possible. Par ailleurs, le fait que la plupart des gens les soutiennent met en lumière l’état piteux du Liban.
Sali Hafez a brandi un pistolet en plastique pour récupérer 13 000 dollars (1 dollar = 1 euro) de son propre argent afin de sauver la vie de sa sœur qui souffre d’un cancer. «Il y a quelque temps, j’ai supplié le directeur de la banque de me donner mon argent, en lui disant que ma sœur était mourante et qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps, dit-elle. Je n’ai plus rien à perdre.»
Après une flambée d’incidents du genre à l’échelle nationale, dont cinq braquages en une journée, le personnel des banques a menacé d’entamer une grève dans tout le pays et les employeurs ont décidé de fermer complètement pendant trois jours à partir de lundi.
De grandes manifestations ont exigé la libération des personnes arrêtées pour avoir revendiqué l’accès à leur propre argent. Le procureur de la République, Ghassan Oueidat, a ordonné à la police de poursuivre vigoureusement toutes les personnes impliquées. Comme le note un journaliste, M. Oueidat «a rapidement agi contre les déposants, tout en considérant les crimes commis par les banques comme une question insignifiante ne méritant pas son attention».
Nadim Cherfan, le chorégraphe qui a fondé Mayyas, la troupe de danse libanaise inspirante qui a remporté la semaine dernière la finale de l’émission America’s Got Talent, appelle à la révolution: «Les gens devraient casser toutes les banques, secouer le pays et renverser les politiciens.»
Des contrôles bancaires qui empêchent les gens de retirer leur propre épargne sont en place depuis 2019 et, en raison de l’inflation galopante, cette épargne ne représente plus qu’une infime partie de sa valeur antérieure. De telles contraintes ne s’appliquent pas à la classe dirigeante kleptocrate dont le pillage massif du système bancaire est à l’origine de cette crise.
La violence domestique et sociétale ainsi que les actes de maltraitance contre les enfants ont atteint des niveaux explosifs en raison de ces tensions intolérables et de la détérioration de la santé mentale. Beaucoup de gens survivent au jour le jour grâce aux antidépresseurs. En raison du monopole du Hezbollah sur le commerce des stupéfiants, les produits meurtriers comme le Captagon et la méthamphétamine font partie des rares produits bon marché et facilement disponibles.
«Aujourd’hui, la véritable résistance libanaise est celle contre l’injustice sociale et les dysfonctionnements politiques, en plus du rejet populaire et patriotique du projet hégémonique destructeur de l’Iran pour la région.»- Baria Alamuddin
Au Liban, des milliers de décès supplémentaires sont attribuables aux pénuries, aux maladies non traitées, aux suicides et aux noyades. Pas plus tard que la semaine dernière, cinq enfants sont morts, noyés, après le naufrage d’un navire au large de la Turquie. Les politiciens qui ont entraîné le Liban dans une situation aussi désespérée ne devraient pas être simplement accusés de négligence, ou même de vols scandaleux, mais plutôt de meurtres de masse.
Cette nation, autrefois florissante et belle, est sujette à des coupures de courant généralisées, des pénuries de carburant et l’implosion des systèmes médicaux et éducatifs. La réduction des subventions ce mois-ci a fait monter en flèche les prix du carburant, ce qui pousse à dire que, dans le Liban d’aujourd’hui, seuls les riches peuvent conduire des voitures. Les autres utilisent des ânes.
Selon une nouvelle enquête menée par les Nations unies, 84% des ménages n’ont pas les fonds nécessaires pour couvrir les besoins de base. Beaucoup risquent de crouler sous les dettes simplement en essayant de se nourrir. Le tissu sociétal est profondément lacéré et une génération entière de professionnels – médecins, avocats, universitaires, techniciens – est partie. Face à cette fuite des cerveaux, on s’inquiète également de la dépopulation libanaise, au moment où la plupart des familles ne peuvent pas se permettre d’avoir plus d’enfants.
La situation pourrait empirer si la guerre éclatait. Le Hezbollah fait de son mieux pour y parvenir. Son chef, Hassan Nasrallah, a brandi la menace d’un conflit militaire si Israël poursuit l’extraction de gaz dans les eaux contestées. Les tensions à la frontière libano-israélienne ont nettement augmenté. En réponse aux informations faisant état de grosses quantités de munitions du Hezbollah déplacées à travers le pays, le groupe a déclaré de manière peu crédible que celles-ci étaient destinées à être utilisées lors d’une fête religieuse.
Les tensions politiques vont également s’intensifier au Liban au moment où la crise commence pour la nomination d’un nouveau président. L’homme le plus détesté au Liban, Gebran Bassil, soutenu pour le poste par le président actuel – son beau-père, Michel Aoun –, se comporte de plus en plus de manière erratique à mesure que le soutien à sa candidature s’évapore, même au sein de son propre parti. Ses alliés du Hezbollah sont eux aussi hésitants.
Des efforts louables sont déployés par la majorité des députés pour élire un candidat consensuel, mais le Hezbollah brûlerait volontiers le pays pour empêcher un candidat qui lui est opposé de remporter la majorité des deux-tiers. Au moment où le Hezbollah applique ses stratagèmes politiques préférés d’intimidation, de corruption et de blocage, on ne peut s’empêcher de penser que la dernière nomination a duré près de deux ans et demi. Dans la politique libanaise scandaleuse et ridicule, les efforts pour former un gouvernement semblent également s’éterniser.
À la lumière des réponses maladroites de l’État à la crise bancaire, la colère des citoyens respectueux des lois est palpable. La révolution se ressent aux quatre coins du pays. La faim et le désespoir ont finalement permis aux gens d’ouvrir les yeux. Ils voient la réalité avec une clarté qui leur manquait auparavant.
Aujourd’hui, la véritable résistance libanaise est celle contre l’injustice sociale et les dysfonctionnements politiques, en plus du rejet populaire et patriotique du projet hégémonique destructeur de l’Iran pour la région.
Le jour viendra où les citoyens libanais se débarrasseront une fois pour toutes de ces élites corrompues – le plus tôt serait le mieux. C’est peut-être l’une des pires crises de l’histoire de cette nation troublée, mais le Liban que nous aimons et auquel nous croyons, cette nation infiniment créative, féconde et industrieuse, finira par renaître de ses cendres comme un phénix.
Si, comme Sali Hafez, du plus profond de notre désespoir et de notre misère, nous rassemblions ce qu’il faut de courage et d’unité pour agir de manière décisive en faveur d’un changement révolutionnaire – motivés par notre désir sincère de sauver notre patrie et le peuple que nous aimons –, cette grandeur et ce génie libanais peuvent de nouveau être nôtres.
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com