Les cinq derniers mois ont connu, selon des sources iraniennes, une baisse continue des exportations iraniennes vers l'Irak. Ces personnes informées ont mis en garde les dirigeants de Téhéran contre les graves conséquences potentielles de ce ralentissement, et en particulier de son impact négatif sur la prééminence actuelle du pays sur le marché irakien, et de la possibilité que ses produits perdent leur avantage concurrentiel par rapport aux autres.
Nous examinerons dans ces lignes les raisons de ce déclin et la probabilité que des investisseurs d’Arabie saoudite ou d’autres pays pénètrent sur le marché irakien pour réduire la mainmise préoccupante exercée par l'Iran.
Les chiffres du commerce extérieur de l'Iran montrent qu'au cours des cinq mois de cette année, soit d'avril à août, le commerce avec l'Irak a diminué de 29% en quantité, et de plus de 6% en valeur. Cela constitue un contraste défavorable, comparativement à la même période de l'année dernière, sachant que 2,7 milliards de dollars (1 dollar = 1 euro) d'échanges commerciaux avaient été effectués entre les deux pays, ce qui représente près de 7% du commerce total non pétrolier de Téhéran. Il y a eu depuis lors une diminution importante, notamment en termes de quantité.
Alors que l'Iran a incontestablement une présence économique importante en Irak, Téhéran s'efforce de relever un nombre croissant de défis dans la vente de ses produits, notamment au niveau de leur popularité, de leur fiabilité technique et de leur compétitivité. Les produits chinois et turcs de qualité supérieure concurrencent souvent les produits iraniens, ainsi que ceux des pays arabes et européens. Sur le marché irakien, l'Iran fait également face à une animosité grandissante, notamment chez les jeunes Irakiens qui réprouvent son ingérence dans les affaires intérieures du pays, les gens se détournant ainsi de ses produits.
D'autres problèmes iraniens ont été mentionnés par Jahanbakhsh Sanjabi Shirazi, secrétaire général de la Chambre de commerce conjointe Iran-Irak, notamment la dépendance à l'égard du commerce transfrontalier non officiel, l’absence de conformité aux normes mondiales sur les produits et les problèmes de transport, de stockage, de logistique, de transfert d'argent, de tarification et de qualité des produits.
Tous les problèmes ci-dessus mentionnés représentent des opportunités pour les pays arabes, en particulier pour l'Arabie saoudite, d'aider Bagdad, lui permettant ainsi d'échapper au contrôle de l’Iran. Au cours des deux dernières années, l'Arabie saoudite a fait montre d’une volonté réelle d'aider l'Irak, à travers des visites officielles, la signature d'accords de plusieurs milliards de dollars et la réouverture de deux points de passage frontaliers fermés depuis plus de trois décennies. En plus de cette proximité croissante, les deux pays ont également conclu un important accord sur l'interconnexion électrique qui contribuera à atténuer les souffrances du peuple irakien causées par les coupures de courant continues, tout en privant l'Iran d'un outil important pour exercer son chantage sur l'Irak.
Alors que les investissements directs étrangers de l'Arabie saoudite dans le monde pour le premier trimestre de 2022 ont dépassé 580 milliards de riyals saoudiens (1 riyal = 0,27 euro), les investissements saoudiens en Irak ont à peine atteint 2 milliards de riyals saoudiens. Le niveau d'investissement actuel en Irak est assez faible comparativement à d'autres pays. À titre d’exemple, les investissements saoudiens en Égypte s'élèvent à environ 30 milliards de dollars (1 dollar = 1 euro).
Les investissements du Royaume en Irak jusqu'à présent semblent certes assez modestes, malgré ses tentatives de les augmenter et le fait qu'il possède les moyens, le savoir-faire et les produits nécessaires pour offrir une valeur ajoutée au marché irakien. Il faut cependant se rappeler que l'Arabie saoudite est confrontée à des défis majeurs et à une résistance acharnée de la part d'acteurs connus et hostiles qui travaillent contre les intérêts de l'Irak, tant sur le plan intérieur qu'à l'étranger. Malgré ces défis, les Irakiens appellent de plus en plus l'Arabie saoudite à investir dans les domaines de l'énergie, du dessalement de l'eau et de l'alimentation, ainsi que dans d'autres domaines.
Je me souviens d'avoir assisté, il y a plusieurs années à Bagdad, à une conférence dont l’un des orateurs était Hossein Amir-Abdollahian, l'actuel ministre iranien des Affaires étrangères. À cette époque, Amir-Abdollahian était assistant spécial du président du Parlement iranien et directeur général des affaires internationales. Au cours de cet événement, il avait parlé des questions de commerce et d'investissement, exprimant sa conviction que les gouvernements irakiens devraient obliger les entreprises souhaitant entrer sur le marché à établir des usines dans le pays.
L'Arabie saoudite peut aider économiquement l'Irak de plusieurs manières et proposer de nombreux investissements bénéfiques.
Dr Mohammed al-Sulami
Après son discours, j'ai levé la main pour faire un commentaire. J'ai dit que si la relocalisation de l'industrie était un point positif, c'était un processus complexe qui ne devrait pas être initié de cette manière. J'ai indiqué qu'il serait préférable d'ouvrir le marché irakien à toutes les entreprises, nationales et étrangères, ce qui profiterait aux citoyens irakiens en fournissant les meilleurs produits à des prix compétitifs, d'autant plus que les Irakiens ont un bon pouvoir d'achat et qu'ils apprécient la qualité. Contrairement aux Irakiens, qui ont bien accueilli mes idées, les Iraniens n'étaient pas satisfaits de mes suggestions en raison de leur souhait de maintenir leur domination sur le marché irakien. Mon commentaire n'était pas une accusation passagère portée contre l'Iran, mais il était basé sur de nombreuses preuves.
Je pourrais également mentionner un autre événement important qui s'est produit en 2020, lorsque des investisseurs saoudiens ont manifesté leur intérêt dans le financement d'une nouvelle entreprise agricole en Irak par la création de fermes bovines sur de vastes étendues de terres dans les gouvernorats de Muthanna, Anbar et Najaf. Cette proposition a été rapidement rejetée, les partis politiques et les groupes affiliés aux Unités de mobilisation populaire soutenues par l'Iran décrivant cette décision comme une tentative saoudienne de prendre le contrôle de l'économie irakienne. Parallèlement à ce rejet, la milice Asa'ib Ahl al-Haq et la Coalition pour l'État de droit, toutes deux également alliées à l'Iran, ont publié des déclarations affirmant leur rejet absolu de l'investissement saoudien proposé.
Le 18 novembre 2020, le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kadhimi, a tenu une conférence de presse à Bagdad, au cours de laquelle il a critiqué ceux qui répandaient des mensonges calomnieux sur la «colonisation saoudienne» menée sous couvert d'investissements, qualifiant de tels mensonges de honteux. Il a réaffirmé que les investisseurs saoudiens avaient fourni des centaines de milliers d'emplois aux Irakiens, ajoutant que l'Arabie saoudite avait également des investissements massifs dans des pays comme l'Argentine et le Canada, demandant pourquoi ces pays ne dénigraient pas de la même manière les investissements saoudiens. Al-Kadhimi a également mis en garde contre ceux qui défendaient les oligarques corrompus qui avaient volé et détourné des milliards de dollars de l'Irak.
La proposition d'investissement agricole saoudien a finalement été retirée lorsque le ministère irakien des Ressources en eau a confirmé qu'il ne serait pas en mesure de fournir aux entreprises saoudiennes les ressources durables en eau, nécessaires à l'entreprise.
Les acteurs locaux pro-iraniens qui entravent tout investissement étranger en Irak en dehors de l'Iran n'hésitent pas à recourir aux meurtres, comme on l'a vu avec l'assassinat en octobre 2020 du directeur de la société sud-coréenne Daewoo Engineering & Construction, qui était engagée dans le développement du port irakien d'Al-Faw.
L'Arabie saoudite peut aider économiquement l'Irak de plusieurs manières et offrir de nombreux investissements bénéfiques. À titre d’exemple, le Royaume peut aider les principaux secteurs énergétiques de l'Irak, Riyad ayant une vaste expérience et des connaissances approfondies dans les domaines du pétrole et du gaz, ces secteurs nécessitant d'importants investissements de l'État.
Le secteur privé saoudien dispose également d'une vaste expérience sur laquelle s'appuyer, les hommes d'affaires saoudiens étant fortement présents à l'extérieur du Royaume dans divers domaines économiques. Afin de mener ses activités de manière efficace et concrète pour les deux parties, le secteur privé saoudien aura besoin de garanties et d'un climat commercial approprié. Les entreprises saoudiennes prospèrent à l'échelle régionale et mondiale en raison de la présence de tels environnements dans les pays du Moyen-Orient, ainsi qu'en Europe de l'Est, en Asie et dans les Amériques.
L'Égypte, par exemple, est l'un des pays arabes les plus importants en termes d'investissements saoudiens, avec plus de 6 800 entreprises du Royaume qui y opèrent, et des investissements totaux dépassant 30 milliards de dollars, dans des secteurs aussi variés que la parfumerie, les produits laitiers, la volaille, le fourrage, le sucre, les semences, les minéraux, l’ingénierie et la production alimentaire. Cela en plus des sociétés de services saoudiennes dans des domaines tels que la banque, l'assurance, la finance, la location, le transport et le tourisme.
Il est donc clair que le monde du travail saoudien, dans les secteurs public et privé, est doté d'un savoir-faire très diversifié, les produits qu'il fabrique étant conformes aux normes internationales de qualité et de commerce. Les entreprises saoudiennes sont plus que capables d'aider à construire et à faire progresser l'économie irakienne, d'avoir une présence positive sur le marché irakien, d'opérer et de rivaliser pleinement avec les autres, et de fournir aux Irakiens des produits de qualité.
Cependant, tout cela reste subordonné à la mise en place d'un climat commercial sûr et approprié. Pour parvenir à cet environnement positif et jeter les bases d’une avancée pour l'Irak, il faudra une véritable unité nationale irakienne, la suppression d’une bureaucratie excessive et l'élimination des réseaux de corruption qui ne servent que des programmes étrangers malveillants, comme l'a indiqué Al-Kadhimi.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com