Les talibans un an après, créant la désolation et exportant l’instabilité

Des femmes afghanes qui manifestaient à Kaboul le 13 août 2022, dispersées par des combattants talibans. (Wakil Kohsar/AFP)
Des femmes afghanes qui manifestaient à Kaboul le 13 août 2022, dispersées par des combattants talibans. (Wakil Kohsar/AFP)
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Publié le Mardi 16 août 2022

Les talibans un an après, créant la désolation et exportant l’instabilité

Les talibans un an après, créant la désolation et exportant l’instabilité
  • Alors que de nombreux pays musulmans font des progrès rapides en matière d'autonomisation des femmes, les Afghanes font face à une campagne visant à les rayer de la vie publique
  • Le signe le plus dur et le plus frappant du retour des talibans est probablement leur volte-face sur leur promesse d'autoriser l'éducation des filles au niveau secondaire

Au cours de leur première année au pouvoir, les talibans ont provoqué l'un des déclins les plus rapides dans l’histoire des nations. Non seulement 90 % environ des Afghans ont été conduits au bord de la famine, mais les femmes, qui représentent la moitié de la population, ont également été entièrement privées de son avenir, notamment de toute perspective d'études supérieures ou d'emplois.

La mortalité infantile est en forte hausse, tandis que l'économie est en chute libre. Les pays voisins signalent une augmentation de la contrebande d'opium, ainsi que des tentatives systématiques pour exporter l'extrémisme et l'instabilité.

Une grande part de responsabilité revient aux administrations américaines successives pour avoir créé les conditions dans lesquelles ce grand bond en arrière est devenu inévitable. Dans le fameux accord de l'administration Trump avec les talibans, il était évident que ces militants étaient des menteurs chevronnés qui ne lèveraient pas le petit doigt pour respecter leurs promesses. Ne voulant pas maintenir deux ou trois milliers de soldats pour soutenir le gouvernement démocratiquement élu, le successeur de Trump, Joe Biden, a mis un terme à cette présence, paralysant de ce fait la capacité du système à se défendre.

Les talibans ont à peine occupé le pouvoir qu'ils ont installé le chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, dans l'un des quartiers les plus prisés de Kaboul, sous la protection du clan Haqqani – personnifié par le ministre de l'Intérieur Sirajouddin Haqqani, l'un des hommes les plus recherchés par le FBI.

À une époque où de nombreux pays musulmans font des progrès rapides en matière d'autonomisation des femmes (comme en témoigne la croissance de 65 % de l'emploi des femmes en Arabie saoudite en seulement deux ans), les Afghanes font face à une campagne visant à les rayer de la vie publique. Des vidéos circulent, montrant des femmes manifestant contre la perte de tous leurs droits, avant d'être repoussées par des soldats talibans avec brutalité. Des militantes sont emprisonnées tenues et torturées. Les femmes déclarent être régulièrement battues quand elles se rendent au marché, parfois parce qu'elles portent des vêtements «inappropriés», et parfois simplement parce qu'elles sourient ou  parlent à haute voix. De nombreuses personnalités, présumées hostiles au nouveau régime, ont tout simplement disparu.

Le signe le plus dur et le plus frappant du retour des talibans est probablement leur volte-face sur leur promesse d'autoriser l'éducation des filles au niveau secondaire. Du jour au lendemain, des milliers de filles désemparées se sont retrouvées à la porte des écoles, qui leur a littéralement été claquée au visage. Certaines d’entre elles ont volontairement échoué à leurs examens en primaire pour poursuivre leur scolarité une année de plus. Des enseignants ont risqué leur vie pour mettre en place des réseaux d'écoles secrètes, ainsi que des salles dans les sous-sols où les filles peuvent se cacher lors de la visite des talibans.

Des femmes possédant un haut niveau d’instruction occupant des postes de responsabilité au sein du gouvernement ont été congédiées de façon sommaire. Dans des secteurs tels que la santé féminine et l'enseignement primaire, où les employées sont essentielles, l'interdiction de l'éducation rend inévitable l'effondrement de ces secteurs dans un avenir proche, d'autant plus que toutes celles qui le peuvent sont déterminées à fuir. Sportives, musiciennes, artistes, écrivaines, intellectuelles, l'Afghanistan a perdu tout d’un coup toute une génération de personnes talentueuses. La campagne admirable de la baronne Kennedy a permis d’aider des dizaines de femmes juges afghanes, de même que d'autres professions, à se réinstaller à l'étranger.

«À une époque où de nombreux pays musulmans font des progrès rapides en matière d'autonomisation des femmes (comme en témoigne la croissance de 65 % de l'emploi des femmes en Arabie saoudite en seulement deux ans), les Afghanes font face à une campagne visant à les rayer de la vie publique»

 

Baria Alamuddin

Un livre du juge Mawlawi Haqqani présentant l'idéologie du gouvernement des talibans explique que «les ennemis de l'islam – les infidèles et les hypocrites – ont réalisé que corrompre les femmes est l'un des moyens les plus importants pour détruire la famille». Le livre insiste sur le fait que les femmes doivent «rester hors de vue» dans leurs foyers et rester à l'écart de la politique, parce qu'elles «ne peuvent pas prendre de grandes décisions ou se forger des opinions cohérentes». Des affiches ont été collées, affirmant que les femmes non couvertes «ressemblent à des animaux».

Daech, en Afghanistan, est un monstre créé par des talibans eux-mêmes, ses rangs regorgeant de membres talibans mécontents. Tout sentiment de sécurité à Kaboul a été ébranlé par une succession d'attaques de Daech, notamment des agressions répétées, d’une grande violence, contre des fonctionnaires, des chiites et des non-musulmans. La propagande de Daech attaque sans relâche les talibans pour des compromis «hypocrites» mineurs sur ses valeurs de la ligne dure.

Avec le large éventail des groupes terroristes faisant de l'Afghanistan leur base d'opérations, le décor est planté pour que les talibans eux-mêmes soient poussés dans des directions encore plus extrêmes sur le plan idéologique.

L'Afghanistan a fondamentalement changé au cours de ces deux dernières décennies, depuis que les talibans avaient quitté le pouvoir. La population s'était habituée à l'éducation, aux connexions au niveau mondial, ainsi qu’au confort matériel, toléré pour l'instant le nouveau régime, mais cela est déjà en train de changer à mesure que des talibans illettrés nommés à des postes importants démontrent leur incapacité et leur manque d'intérêt à agir pour soulager les tourments de toute une population.

Comme l'a fait remarquer un observateur sur place, «ce sont des forces rurales traditionnelles… au lieu de s'intégrer elles-mêmes, elles veulent que les villes leur soient intégrées. Les talibans veulent que nous leur ressemblions».

Par ailleurs, des groupes armés opposés aux talibans, qui s’affirment de plus en plus, ainsi que les luttes intestines croissantes au sein des rangs des nouveaux maîtres du pays, laissent présager une récidive vers des conflits larvés. L'utilisation par les États-Unis de drones contre ceux qui constituent une menace, ainsi que la volonté des États voisins d'intervenir pour contenir le chaos régionalisé sapent les prétentions des talibans à protéger leur souveraineté nationale. Les accrochages réguliers à la frontière irano-afghane illustrent la situation difficile de Téhéran face à un autre régime paria aux tendances idéologiques quelque peu différentes.

La guerre en Ukraine a été un cadeau pour les talibans, détournant l'attention du monde pendant une période critique. Cependant, le monde ne doit pas leur tourner le dos. Des moyens de plus en plus sophistiqués et complets d'acheminement de l'aide doivent être conçus. Il faut aussi s’attaquer à l'Afghanistan exportateur mondial de terrorisme, de stupéfiants et d'instabilité sur le long terme. Avec 45 % d'Afghans âgés de moins de 14 ans, le pays fait en outre face à une bombe à retardement démographique.

Les pays occidentaux ont passé deux décennies en Afghanistan, affirmant que leur présence en tant que puissances occupantes était nécessaire pour protéger les droits des femmes, assurer la stabilité et la démocratie, stimuler le développement économique et combattre l'extrémisme. L'année écoulée de la mauvaise gouvernance talibane démontre l'urgence absolue pour la communauté internationale de découvrir de nouvelles méthodes pour prouver sa constante détermination à garantir ces principes.

 

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com