Les Afghanes privées de leurs droits et écartées de la vie publique

Des Afghanes écoutent un orateur durant un rassemblement politique, dans une salle de mariage, à Kaboul, dans l'Afghanistan prétaliban. (AFP)
Des Afghanes écoutent un orateur durant un rassemblement politique, dans une salle de mariage, à Kaboul, dans l'Afghanistan prétaliban. (AFP)
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Publié le Dimanche 17 avril 2022

Les Afghanes privées de leurs droits et écartées de la vie publique

Les Afghanes privées de leurs droits et écartées de la vie publique
  • Bien que les «nouveaux talibans» soient clairement apparus plus pragmatiques et plus avisés sur le plan politique, leur supposée renaissance ne s'est pas traduite dans leur politique à l'égard des femmes
  • Le monde ne doit pas céder aux politiques draconiennes des talibans en leur accordant une aide destinée à masquer leurs échecs en matière de gouvernance

La prise de contrôle sans effort de Kaboul par les talibans l'été dernier en a laissé plus d'un perplexe. En effet, après deux décennies d'absence du pouvoir, les talibans semblaient d'abord hésiter à revenir sur la transition du pays vers la démocratie. Alors que les militants posaient devant des œuvres d'art qu'ils auraient jadis dégradées et parlementaient avec l'ancien président, Hamid Karzaï, autour de la statue d'un cheval qu'ils auraient auparavant écrasée, il n'était guère surprenant que les camionnettes de glaces de Kaboul réapparaissent pour rafraîchir les combattants poussiéreux qui avaient à l’époque interdit leur commerce.

Cependant, ce nouveau visage n'a pas été perçu par les femmes et les filles du pays, dont le retour tant attendu à l'école n'a duré que quelques heures avant que des décrets imposant la tutelle masculine et des vêtements spécifiques n'annoncent le retour de la théocratie brutale à peine voilée des talibans.

En avril de l'année dernière, le président américain, Joe Biden, a annoncé qu'il retirerait toutes les troupes américaines avant le vingtième anniversaire des attaques terroristes du 11-Septembre. Même si les rapports des services de renseignement américains avaient envisagé une éventuelle prise de pouvoir par les talibans, ils n’avaient pas prévu la vitesse à laquelle le vide serait créé et la rapidité avec laquelle l'armée nationale afghane et les autres vestiges de l'État disparaîtraient.

Les garanties rapides que les femmes «pourront travailler et aller à l'université» par le porte-parole des talibans, Suhail Shaheen, ont rassuré certains, mais en réalité, peu de gens savaient quel type de gouvernement émergerait des cercles de négociateurs talibans après une décennie de pourparlers à Doha et à Kaboul. Pour les personnes présentes lors des pourparlers, cependant, la nature fondamentaliste du groupe n'a jamais fait de doute. Comme les pianistes de leur hôtel de Doha qui cessaient soudainement de jouer en présence des négociateurs talibans – sous peine de faire dérailler les pourparlers – les talibans ont été sans équivoque: ils n'avaient certainement pas changé leurs habitudes.

L'ancien émissaire américain, Zalmay Khalilzad, a pris la tête des voix internationales affirmant que les talibans avaient changé. Il a justifié sa conclusion d'un accord de paix par le fait que les talibans avaient reconnu leurs erreurs passées concernant l'éducation des femmes et le soutien aux terroristes. Bien que les «nouveaux talibans» soient clairement apparus plus pragmatiques et plus avisés sur le plan politique, leur supposée renaissance ne s'est pas traduite dans leur politique à l'égard des femmes.

L'empêchement initial du retour au travail de certaines femmes, puis l'interdiction, en novembre, de les faire jouer dans des séries télévisées, ont fait grincer. En décembre, les talibans ont imposé des restrictions aux femmes qui voyagent à plus de soixante-douze kilomètres sans être accompagnées d'un proche parent masculin. Il a fallu plusieurs mois pour que les filles reprennent l'école primaire, tandis que l'accès à l'enseignement supérieur promis par les talibans reste difficile.

Le mois dernier, les écoles secondaires ont enfin ouvert leurs portes aux jeunes femmes, au grand soulagement de ceux qui craignaient, comme l'indique The Economist, que les talibans n'espèrent «enchaîner la moitié de la population afghane». Cependant, en l'espace de quelques heures, les talibans ont rompu leur promesse, non seulement en interdisant l'accès des filles à l'école, mais aussi en imposant la tutelle masculine aux femmes qui sortent de chez elles, l’interdiction des parcs publics et l'obligation de porter des vêtements traditionnels dans le secteur public.

La liste des décrets a été un séisme politique pour de nombreuses personnes qui avaient considéré la réouverture des écoles comme une mesure positive. Des manifestations ont éclaté depuis la décision. Heather Barr, directrice associée de Human Rights Watch, considère qu'elle fait partie d'une «longue liste de promesses non tenues». La décision a été prise après une réunion de hauts fonctionnaires dans la ville de Kandahar, dans le sud du pays, le cœur spirituel conservateur du mouvement. Cette volte-face a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient depuis longtemps: l'union précipitée des talibans est empreinte de tensions idéologiques et politiques. Si le remplacement du ministère de la Condition féminine par le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice a été salué par certains, d'autres, au sein des talibans, ont compris qu'ils devaient chercher à établir une relation de travail avec l'Occident.

À la suite de l'interdiction de scolarisation, les États-Unis ont annulé avec les talibans les pourparlers prévus, qui devaient permettre d'aborder des questions économiques essentielles. Les talibans n'ont pas perdu de vue que leurs récentes actions contre les droits des femmes et l'inclusion affectent directement la volonté de la communauté internationale d'aider l'Afghanistan. Ils se sont efforcés de relancer l'économie afghane, qui dépend de l'aide internationale et qui s'est pratiquement effondrée en raison des sanctions et de l'exclusion des institutions financières internationales.

Alors que la moitié de la population souffre de la faim, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a mis en garde en janvier contre «l'ampleur du désespoir», alors que l'Organisation des nations unies (ONU) initiait le plus grand appel humanitaire jamais préconisé pour un seul pays. M. Guterres a averti que «pratiquement chaque homme, femme et enfant en Afghanistan pourrait être confronté à une extrême pauvreté».

Pour les Afghanes, la crise économique qui engloutit le pays a été aggravée par les restrictions imposées par les talibans concernant leur emploi, leur éducation et même leurs déplacements. D'un coup de crayon, les talibans ont limité leur accès aux soins de santé et contraint les 2,5 millions de veuves du pays à vivre dans la misère.

La mise à l'écart économique de la moitié de la population du pays ne fera qu'exacerber les difficiles conditions de vie en Afghanistan.
 

Zaid M. Belbagi

La mise à l'écart de la moitié de la population du pays sur le plan économique ne fera qu'exacerber les difficiles conditions de vie en Afghanistan. À l'origine, les talibans sont arrivés au pouvoir avec un programme anticorruption, désireux de reconstruire un pays ravagé par la guerre et l'invasion. Semblant ignorer les études constantes qui montrent que les femmes éduquées sont le moteur de la croissance économique et les mères d'enfants qui gagnent plus et vivent plus longtemps, les talibans continueront à perdre le soutien du public et ils finiront par devenir aussi désorganisés que le gouvernement qu'ils ont remplacé.

Zarifa Ghafari, anciennement plus jeune femme maire d’Afghanistan, a appelé la communauté internationale à «faire tout ce qui est en son pouvoir pour sortir notre peuple de cette situation difficile, et à élever la voix pour soutenir l'humanité». Alors qu'elle acceptait la semaine dernière le prix international des droits de la femme décerné par le Sommet de Genève pour les droits de l'homme et la démocratie, elle a ajouté : «La solution ne consiste pas à rester assis et à faire des déclarations. Nous devons agir.»

La décision des États-Unis de suspendre les discussions économiques avec les talibans est un pas dans cette direction. Le monde ne doit pas céder aux politiques draconiennes des talibans en leur accordant une aide destinée à masquer leurs échecs en matière de gouvernance.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique, et conseiller pour des clients privés entre Londres et le CCG. Twitter : @Moulay_Zaid

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.