Cette semaine, une grande partie de l'attention sera portée sur la visite du secrétaire d'État américain, Antony Blinken, en Afrique, où il dévoilera la nouvelle stratégie régionale de Washington. Cependant, les États-Unis sont loin d'être la seule grande puissance à chercher à accroître une visibilité dans le continent, dont les fortunes, ainsi que celles de sa population de 1,2 milliard d'habitants, sont sur une trajectoire ascendante.
Prenez l'exemple de l'Europe, où la guerre en Ukraine confère une nouvelle importance économique à son engagement envers l'Afrique. C'est particulièrement vrai dans le domaine de l'énergie, étant donné le besoin urgent de se diversifier en s'éloignant des combustibles fossiles russes.
L'Agence internationale de l'énergie estime que l'Afrique pourrait remplacer jusqu'à un cinquième des exportations de gaz russe vers l'Europe d'ici 2030. Les entreprises énergétiques européennes envisageraient des projets d'une valeur d'au moins 100 milliards de dollars américains (1 dollar américain = 0,98 euro) sur le continent, notamment en Afrique du Sud, au Kenya, au Mozambique, en Namibie et en Tanzanie. À elle seule, la Namibie pourrait fournir environ un demi-million de barils par jour de nouvelle production pétrolière, suite aux forages exploratoires prometteurs effectués ces derniers mois.
Cette diplomatie énergétique souligne à quel point le conflit ukrainien a accéléré la priorité que l'UE avait déjà commencé à accorder à l'Afrique. Cela a été mis en évidence l'année dernière avec le lancement du projet «Global Gateway», largement considéré comme une contrepartie à la gigantesque initiative chinoise «Belt and Road».
Le sommet UE-Afrique de février dernier a mobilisé jusqu'à 300 milliards d'euros pour les infrastructures publiques et privées dans le monde d'ici 2027. La moitié de cette somme est destinée à l'Afrique — axée sur les énergies renouvelables, la réduction des risques de catastrophes naturelles, la connectivité numérique, les transports, la production de vaccins et l'éducation. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proclamé que l'UE-27 était le partenaire mondial «le plus fiable» du continent.
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«Entre les nouvelles initiatives de l'UE dans la région, le Brexit et le jeu des grandes puissances en cours entre Washington, Moscou et Pékin, l'intérêt pour le continent africain devrait s'accroître.»
Andrew Hammond
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Ce que l'UE souhaite, selon les termes du haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, c'est un «partenariat égal» fondé sur «une nouvelle stratégie intégrée pour et avec l'Afrique». Bruxelles veut encourager l'Afrique en tant que championne de l'approche multilatérale étant fondée sur des règles de l'ordre mondial de l'UE, considérant l'UE comme un contrepoids sur le continent face à d'autres puissances mondiales importantes, comme la Chine, avec la «politique de puissance» qu'elles sont supposées offrir.
Si le pivot européen est dirigé par Bruxelles, les nations individuelles redoublent également leur engagement envers le continent, avec la visite récente du président français, Emmanuel Macron, et l'organisation du premier sommet France-Afrique de sa présidence l'an dernier.
En dehors de l'UE, le Royaume-Uni est une autre puissance européenne qui a un regain d'intérêt pour l'Afrique. Pour le Royaume-Uni, le continent a pris une nouvelle importance alors que Londres cherche à consolider les liens avec des pays clés non-membres de l'UE après le Brexit.
Pendant ce temps, d'autres grandes nations intensifient également leurs efforts en faveur du continent. Le mois dernier, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, s'est rendu dans la région après les reproches adressés à Moscou d'empêcher l'Ukraine d'exporter ses produits agricoles via la mer Noire.
Lavrov et le président russe, Vladimir Poutine, souhaitent faire renaître l'ancienne influence de l'Union soviétique sur le continent. À cette fin, Poutine a accueilli le tout premier sommet Afrique-Russie à Sotchi en 2019, un second étant prévu pour 2023, afin de consolider l'implantation de Moscou sur place.
L'allié de plus en plus proche de la Russie, la Chine, manifeste également un grand intérêt, dans le but de mieux relier son initiative «Belt and Road» au développement du continent. Les hauts dirigeants de Pékin — le président, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères — auraient effectué environ 80 visites dans plus de 40 pays africains différents au cours de la dernière décennie. Pékin accueille aussi fréquemment des sommets Chine-Afrique.
Dans ce contexte, l'équipe du président américain, Joe Biden, cherche à renforcer l'engagement américain en Afrique. La nouvelle stratégie américaine, dont Blinken donne le coup d'envoi, vise à renforcer le partenariat avec le continent afin d'accroître considérablement les échanges et les investissements bilatéraux dans des secteurs tels que l'énergie et le climat, la santé et les technologies numériques.
L'administration américaine présente l'initiative comme un moyen de promouvoir la prospérité partagée entre les États-Unis et l'Afrique. Pourtant, elle est également conçue, en partie, pour contrer la Chine dans la région. L'ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, a reconnu publiquement que la Chine et la Russie «interféraient avec les opérations militaires américaines et constituaient une menace importante pour les intérêts de sécurité nationale des États-Unis sur le continent».
Cela montre que si le regain d'attention porté à l'Afrique par les puissances occidentales et la Chine reflète largement des calculs économiques, des considérations politiques plus larges sont également en jeu. Entre les nouvelles initiatives de l'UE dans la région, le Brexit et le jeu des grandes puissances en cours entre Washington, Moscou et Pékin, l'intérêt pour le continent africain devrait s'accroître.
- Andrew Hammond est associé au groupe de réflexion LSE IDEAS de la London School of Economics (l'école d'économie de Londres).
Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com