Malgré les déclarations rassurantes des deux chefs des juntes qui ont accaparé le pouvoir au Mali et au Tchad, la candidature des chefs d'État militaires qui gèrent la conjoncture transitoire dans les deux pays sahéliens est plus que probable.
Bien que l'Union africaine ait adopté depuis sa charte constitutive de 2000 un arsenal juridique dissuasif visant à prévenir et sanctionner les changements anticonstitutionnels des régimes politiques dans les États membres, sa position initiale, intransigeante, a fini par s'infléchir dans un sens réaliste et souple, quitte à entériner et accompagner les prises de pouvoir par la force dans des contextes spécifiques.
Les deux cas malien et tchadien en sont des exemples édifiants. Le coup d'État survenu à Bamako le 18 août 2020 s'est imposé comme l’unique possibilité pour délivrer le pays d'une crise politique aiguë. Il fut salué par l'ensemble de la classe politique et la société civile mobilisées depuis quelques mois dans une large révolte continue contre un régime corrompu et impotent, quoique issu d’élections pluralistes.
L'Union africaine, qui a condamné le putsch malien et a suspendu le Mali de ses instances, a manifesté une ligne de conduite souple et complaisante vis-à-vis des nouvelles autorités militaires, même après l'évincement du président et du chef de gouvernement civils (mai 2021). La France et l'Union européenne ont emboîté le pas aux organismes africains en accordant la priorité aux impératifs sécuritaires sur les engagements démocratiques.
Cette même logique a prévalu au Tchad lors du décès du président Idriss Déby Into. L'Union africaine et la France ont supervisé le transfert du pouvoir au conseil militaire transitoire présidé par le général Mahamat Idriss Déby, qui était le dauphin déclaré de son père.
Si les deux juntes se sont engagées auprès de la communauté africaine et internationale à organiser des élections pluralistes libres et transparentes dans un délai limité convenu avec la classe politique impliquée dans l'ensemble du processus de la transition et qu’elles se sont engagées aussi à respecter le principe de non-éligibilité des autorités militaires dans les prochaines compétitions électorales, force est de constater que le schéma de légalisation des pouvoirs en place par les urnes devient de plus en plus incontournable.
Le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne, n'a pas exclu l'éventualité d’une candidature à la prochaine élection présidentielle revendiquée par une large frange du champ politique malien. Les cercles militaires et sécuritaires influents dans les orientations diplomatiques internationales sont devenus de plus en plus convaincus que la guerre contre les mouvements terroristes et la défense de l'intégrité territoriale du Mali pourrait imposer le choix d'un chef d'État issu des rangs de l'institution armée.
Le même phénomène est perceptible à N’Djaména, où le général Mahamat Déby prépare sereinement sa candidature à la magistrature suprême en enfreignant les dispositions réglementaires de l'Union africaine mais avec la complicité effective des partenaires internationaux du Tchad
Entre un régime autoritaire fort à visage démocratique (même erroné) et une démocratie fragile et inopérante, la «communauté internationale» est encline à opter pour la première alternative
Seyid Ould Abah
La diplomatie de l'ingérence diplomatique en Afrique, symbolisée par le fameux discours du président français François Mitterrand au sommet afro-français de La Baule, le 20 juin 1990, a fait son temps.
Si le standard international de gouvernance qui s'applique aujourd'hui en Afrique implique nécessairement le formalisme pluraliste et le moment électoral, son impact réel sur la nature du régime politique est marginal dans les contextes où l'armée est l'acteur politique primordial. Il s'agit dans ces contextes de régimes militaires qui s'accommodent avec les critères de légalisation constitutionnelle et normative du pouvoir politique, sans grande incidence sur leur mode de fonctionnement.
Un grand diplomate africain rompu à la politique internationale a remarqué récemment que le paradigme sécuritaire a remplacé l'injonction démocratique en plaçant la lutte contre le radicalisme violent et les mouvements séparatistes au cœur même des agendas internationaux.
Les impératifs de stabilité et d'apaisement social prennent donc les dessus sur les demandes de libéralisation et d'ouverture démocratique. C'est ainsi que nous sommes ramenés au dilemme hégélien, à savoir le passage obligé par le «tyran fondateur» pour bâtir une nation libre. La liberté lui paraissait l'issue d'une dialectique sociale qui est amorcée par une totalité rigide et autoritaire qui s'identifie graduellement à la conscience civique de ses membres et finit ainsi par s'ouvrir et traduire la communauté universelle des citoyens de l'État.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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