Un cessez-le-feu fragile en Libye pourrait s'avérer très précieux

Stephanie Williams de la mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) et des représentants des factions rivales dans le conflit en Libye, à Genève, le 19 octobre 2020 (AFP)
Stephanie Williams de la mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) et des représentants des factions rivales dans le conflit en Libye, à Genève, le 19 octobre 2020 (AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 30 octobre 2020

Un cessez-le-feu fragile en Libye pourrait s'avérer très précieux

Un cessez-le-feu fragile en Libye pourrait s'avérer très précieux
  • Les deux principales factions belligérantes de la Libye ont signé un accord historique de cessez-le-feu
  • Le principal problème de la Libye est lié à l'ingérence étrangère

Une rare lueur d’espoir a émergé à Genève vendredi dernier, lorsque les deux principales factions belligérantes de la Libye ont signé un accord historique de cessez-le-feu à l’échelle nationale, ouvrant ainsi la voie à une réconciliation qui mettrait fin à plus de neuf ans de guerre civile. Les pourparlers, sous les auspices de l'Organisation des Nations unies (ONU), ont eu lieu entre des représentants militaires du gouvernement d’union nationale (GNA) à Tripoli, qui contrôle la majeure partie de l'ouest de la Libye, et l'armée nationale libyenne (ANL), basée à Benghazi.

Outre le retrait des troupes de toutes les zones sensibles, l'accord appelle également toutes les forces étrangères à quitter le pays dans les trois mois. Ce qui est important, c'est que l'accord a été bien accueilli par l’ONU, les États-Unis et des pays européens mais également par la Russie, par l'Égypte et par les Émirats arabes unis. Il a en revanche été minimisé notamment par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui l'a décrit comme manquant de crédibilité. L'une des raisons est que l'accord gèle tout accord avec des puissances étrangères, mettant en danger le traité maritime de la Turquie avec le GNA.

Alors que le cessez-le-feu sera mis à l’essai et que la Turquie pourrait jouer un rôle perturbateur, il sera important qu'il offre de grandes chances de mener des pourparlers politiques en vue de préparer les élections et d’unifier les organes souverains de l'État, éclipsant ainsi le spectre de la partition.

Lundi, l’ONU a lancé une conférence virtuelle qui a réuni des personnalités représentant les différentes régions de la Libye, au milieu de critiques sur ceux qui y participent et ceux qui ne le font pas. Si le chemin vers une solution politique reste long et semé d'embûches, il faut espérer alors que les Libyens s'entendront sur les points fondamentaux qui pourraient constituer une base solide pour de futures discussions.

Le principal problème de la Libye est lié à l'ingérence étrangère. Il est inconcevable que les représentants des tribus libyennes soient en mesure de parvenir à une formule pour unifier le pays et ses institutions souveraines, ainsi que ses milices armées, sans la pression d’acteurs étrangers clés comme, entre autres, la Turquie et la Russie.

L'ancien envoyé de l'ONU en Libye, Ghassan Salame, a exprimé sa frustration à l'égard des membres du Conseil de sécurité de l'ONU qui se sont mis d’accord concernant la crise libyenne, pour ensuite revenir sur leurs engagements. Ce qui se passe en Libye affecte les États-Unis quant à la Russie, l'Égypte quant à la Turquie, et divers membres de l'Union européenne (UE), ainsi que les Émirats arabes unis et le Qatar. Pour que le peuple libyen trouve un terrain d'entente, il doit se libérer de toute intervention étrangère. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. 

Peu de temps après la signature de l'accord de Genève, des problèmes ont commencé à apparaître. Le ministre de la Défense du GNA, Salahuddin al-Namroush, a déclaré lundi que cet accord n'affectait pas l'accord militaire signé avec la Turquie et que la formation militaire et sécuritaire entre Ankara et Tripoli se poursuivrait. Cela contredit le cœur de l'accord de Genève. Des sources proches du chef de l'ANL, Khalifa Haftar, soulignent que l'accord de Genève couvre les accords militaires et maritimes que Tripoli a signés avec la Turquie plus tôt cette année.

Des sources du GNA ont également déclaré que l'accord de Genève ne signifie pas que Tripoli reconnaît l'ANL comme une entité légitime – un spoiler majeur.

Alors que l'on pense que l'accord de cessez-le-feu est susceptible de durer un certain temps – il y a une impasse militaire et les deux parties n'ont pas envie de faire la guerre en ce moment – le défi consiste à soutenir les pourparlers politiques. Des négociations en coulisse entre la présidente de la Chambre des représentants basée à Tobrouk, Aguila Saleh, et Ahmad Maitiq du GNA, par le biais d'une médiation marocaine et algérienne, peuvent conduire à une formule intérimaire pour maintenir une trêve à long terme tout en préparant le terrain pour de nouvelles élections sous une nouvelle Constitution. L'Égypte soutient ces discussions et tient Haftar à distance pour le moment. Aguila Saleh et Ahmad Maitiq ont déjà ouvert la voie à la reprise des exportations de pétrole après que Haftar a été forcé d’abandonner.

La pression actuelle des États-Unis sur les deux côtés pour qu’ils entament des discussions après avoir conclu un cessez-le-feu se poursuivra quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle américaine de la semaine prochaine.

Les priorités de Washington dans la région pourraient changer si Joe Biden gagne, mais, en Libye au moins, il sera nécessaire de rester sur la voie actuelle.

À un moment donné, le GNA et le Haut Conseil d'État devront réduire l'influence de la Turquie et des Frères musulmans s'ils veulent aller de l'avant avec de véritables pourparlers avec leurs rivaux de l'Est. En même temps, Mme Saleh doit trouver un moyen de neutraliser Khalifa Haftar, qui nourrit l’ambition de devenir le dirigeant suprême de la Libye.

En attendant, les références et les feuilles de route ne manquent pas, à commencer par l'accord de Skhirat, en passant par les déclarations de Berlin et du Caire. Elles soulignent toutes l’intégrité territoriale de la Libye et la nécessité d’un organe législatif représentatif. La question qui préoccupe le peuple libyen depuis 2011 est la suivante: peuvent-ils trouver un dispositif qui rassemble tout le monde autour de la table?

 

Osama al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.

Twitter: @@plato010

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com