ISTANBUL: Les responsables du Conseil de l'Europe ont de nouveau appelé lundi la Turquie à la "libération immédiate" du mécène Osman Kavala, condamné en avril à la prison à vie, après un arrêt de la Cour européenne jugeant qu'Ankara avait violé la Convention européenne des droits de l'homme.
"La Turquie a manqué de se conformer à ses obligations en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous nous félicitons de l'arrêt (de la CEDH) prononcé aujourd'hui qui apporte une réponse claire sur ce point. Nous renouvelons notre appel à la libération immédiate de M. Kavala", ont écrit dans un communiqué les trois principaux responsables du Conseil de l'Europe.
C'est seulement la deuxième fois de son histoire que la Cour européenne des droits de l'homme, bras judiciaire du Conseil de l'Europe, condamne par un arrêt de Grande chambre l'un de ses 46 États membres au terme d'une procédure pour manquement, communiquée lundi matin.
Saisie par Osman Kavala au cours de sa détention provisoire, la CEDH, qui siège à Strasbourg (est de la France), avait déjà exigé de la Turquie dans un arrêt rendu le 10 décembre 2019 "de mettre un terme à la détention du requérant et de faire procéder à sa libération immédiate (...) en l'absence d'éléments de preuve à charge suffisants".
La Cour avait alors estimé que l'arrestation de M. Kavala avait pour objectif de "le réduire au silence" et de "dissuader d'autres défenseurs des droits de l'Homme".
Ces dispositions avaient été largement ignorées par Ankara: les juridictions internes turques avaient ordonné en février 2020 une remise en liberté provisoire d'Osman Kavala, avant que l'homme d'affaires ne soit interpellé à nouveau quelques heures plus tard sur ordre du procureur pour "tentative de coup d'état", lors du putsch raté de juillet 2016.
Force obligatoire des arrêts
Constatant que M. Kavala était toujours en détention, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, l'organe chargé de veiller à l'exécution des décisions de la Cour, avait décidé en février de saisir une nouvelle fois la juridiction strasbourgeoise, tel que prévu depuis 2010 par la Convention européenne des droits de l'homme.
Lundi matin, à 16 voix contre une, la Grande chambre de la CEDH, sa formation suprême, a conclu à la violation de l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'homme par Ankara. Celui-ci prévoit la force obligatoire des arrêts de la Cour et leur exécution.
"La non-exécution d'une décision judiciaire définitive et obligatoire risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention", souligne la Cour dans un communiqué.
Figure de la société civile turque, Osman Kavala, 64 ans, a finalement été condamné le 25 avril à la prison à vie pour "tentative de renversement du gouvernement" via notamment le financement des manifestations anti-gouvernementales dites "mouvement de Gezi" en 2013, après avoir passé quatre ans et demi de détention sans jugement.
«Sous surveillance»
Devenu l'adversaire du régime, il avait dénoncé devant les juges un "assassinat judiciaire" contre sa personne et l'influence du président turc sur son procès.
Le ministère turc des affaires étrangères a réagi, estimant que l'arrêt remettait "une fois de plus en question la crédibilité du système européen des droits de l'homme".
"Nous attendons du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe (...) qu'il mette de côté sa précédente approche partiale et sélective, qu'il agisse avec bon sens et en évitant les efforts de certains milieux pour politiser l'affaire", a par ailleurs déclaré Ankara.
"Cette question restera sous la surveillance du Comité des ministres jusqu'à ce que l'arrêt soit pleinement exécuté", ont pour leur part affirmé dans leur communiqué commun Simon Coveney,le ministre irlandais des Affaires étrangères et président en exercice du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, Tiny Kox, le président de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et Marija Pejcinovic Buric, la secrétaire générale de l'organisation paneuropéenne.
Sollicité par l'AFP, un porte-parole du Conseil de l'Europe a néanmoins indiqué qu'il n'y avait pour l'heure "pas eu de discussions sur de possibles sanctions de la Turquie".