Le mois dernier, une chaîne de télévision publique iranienne a intentionnellement déformé des propos tenus par le célèbre footballeur portugais Cristiano Ronaldo pour qu'ils passent pour anti-israéliens – une habitude désormais. En effet, la chaîne n'a pas mentionné que Ronaldo avait fait ces commentaires en 2016 ni qu'il s'agissait en réalité d'un message de solidarité adressé aux enfants syriens.
Si ce détournement a suscité l'indignation du public sur les réseaux sociaux, il est devenu courant non seulement au sein de l'organisme de radiodiffusion de l'Iran – qui contrôle toutes les chaînes de télévision et les stations de radio publiques – mais aussi parmi les hauts responsables et les instances du régime. Aucun porte-parole ni organisme affilié à Téhéran n'a réagi ni pris de mesures correctives à la suite de ce dernier scandale.
Cas similaire, une chaîne de télévision publique iranienne a récemment interviewé un invité qu'elle a présenté comme un expert indien. Elle a ensuite prétendu qu'il s'exprimait en anglais et a proposé une «traduction» doublée en farsi. Toutefois, en raison d'un problème technique de son survenu pendant l'entrevue, il s'est avéré que l'invité parlait parfaitement le farsi. La chaîne a donc essayé de faire croire aux téléspectateurs qu'il s'agissait d'un expert étranger objectif et anglophone afin de rendre ses propos plus crédibles.
Dans le même ordre d'idées toujours, en 2020, la chaîne publique Khabar a présenté le musicien rock britannique Roger Waters comme «analyste politique», en diffusant simultanément les commentaires dans lesquels il avait critiqué le président élu de l'époque, Joe Biden.
Des tels comportements représentent la norme plutôt que l'exception pour la télévision iranienne. Prenons d'ailleurs encore un exemple : un reportage tragique diffusé l'année dernière sur une chaîne d'État montrait des dizaines de citoyens indiens tombant à terre dans une rue, prétendument évanouis à cause de la Covid-19, au pic de la pandémie, alors que 450 Iraniens mouraient quotidiennement à cause du virus. Il a cependant été révélé par la suite que la vidéo avait été filmée lors d'une fuite de gaz toxique dans une usine indienne survenue plus d'un an plus tôt. La diffusion de la vidéo avait apparemment pour but de détourner l'attention de la situation déplorable dans le pays et de faire croire aux téléspectateurs que d'autres pays étaient encore plus touchés par le virus que l'Iran.
Par ailleurs, nombreux sont ceux qui se souviennent du «vendeur de maïs» qui a été interviewé au journal télévisé iranien à la suite d'une explosion qui aurait été entendue dans une région iranienne. Il a affirmé avoir été présent sur les lieux et n'avoir rien entendu. Une semaine plus tard, il a de nouveau été interviewé au journal télévisé, cette fois le visage apparemment couvert de sang. Il a ainsi raconté qu'il se trouvait à bord d'un vol de Mahan Air – la compagnie aérienne utilisée par le Corps des Gardiens de la révolution islamique pour transférer des armes en Syrie – lorsqu'un avion de combat américain s'est approché de lui et l'a blessé alors qu'il rentrait de Damas à Téhéran. Cet incident a eu lieu avant l'explosion qu'il a déclaré ne pas avoir entendue.
La plupart des Iraniens ont complètement abandonné la télévision et la radio d'État pour se tourner vers les chaînes qui diffusent depuis l'étranger.
Le Dr Mohammed al-Sulami
Il se trouve que c'est exactement le même soi-disant vendeur de maïs qui est apparu dans un bulletin d'information en 2019 pour parler des manifestations en Iran contre la hausse des prix de l'essence. Il avait alors pleuré et accusé les «manifestants» d'avoir mis le feu à des appareils électroménagers dans la maison de sa fille qui devait, prétendait-il, se marier sous peu.
Ces maladresses, pour n'en citer que quelques-unes, ont suscité l'indignation des internautes. De nombreux Iraniens ont accusé l'organisme de radiodiffusion de la République islamique d'Iran – une institution directement supervisée par le Bureau du guide suprême – de déformer et de falsifier la vérité, de répandre des mensonges et d'induire les gens en erreur. Du point de vue du régime, il semble que ces mensonges flagrants s'inscrivent tellement dans la norme qu'ils ne méritent ni excuses, ni clarifications.
Depuis 1979 – une période marquée par l'arrivée des antennes et des chaînes satellites, ainsi que l'apparition d'Internet et des plateformes de réseaux sociaux – le régime iranien utilise la télévision, la radio et la presse écrite comme outils de diffusion de sa propagande dans le but de laver le cerveau de la population, de promouvoir ses politiques et de faire passer sa version falsifiée et déformée des événements pour vérité absolue, sans crainte. La télévision d'État iranienne a l'habitude d'avoir recours aux mensonges et à la tromperie pour polir l'image du régime, de faire preuve de révisionnisme, de déformer l'actualité et d’ignorer toute déclaration jugée défavorable au régime ou faisant l'éloge de ses ennemis.
Le guide suprême Ali Khamenei a reconnu, à contrecœur, les piètres performances de la télévision d'État iranienne, et les responsables du régime ont même admis que l'audience de cette dernière était en baisse. Malgré cette constatation, ils refusent d'admettre que les mensonges flagrants, les falsifications, les dénis de vérité et les distorsions de la réalité sont les principales raisons qui poussent les Iraniens à se détourner des médias d'État.
En outre, les performances médiocres et les contenus inintéressants, la négligence des préférences iraniennes et l'absence totale de médias nationaux privés et indépendants ont conduit la plupart des Iraniens à abandonner complètement la télévision et la radio d'État au profit des chaînes qui diffusent depuis l'étranger. Les plateformes de réseaux sociaux ont davantage affaibli le monopole des médias officiels, malgré les mesures de répression imposées par le régime.
Un sondage d'opinion publié en mars 2021 par l'Institut Gamaan, basé aux Pays-Bas, a confirmé que la confiance que le public iranien accorde aux chaînes diffusant depuis l'étranger est bien plus importante que celle qu’il accorde aux chaînes publiques nationales. Selon le sondage, 53% des plus de 20 000 personnes interrogées font confiance aux rapports et aux informations de la chaîne Iran International lancée en 2017.
Vient ensuite la chaîne Manoto, qui a obtenu le soutien de 50% des personnes interrogées. Par contre, bien loin derrière ces deux chaînes, la télévision d'État iranienne ne recueille la confiance que de 14,3% des personnes interrogées, avec près de 74% qui déclarent ne pas lui faire confiance du tout. Par conséquent, ces résultats expliquent pourquoi le régime iranien est furieux contre les chaînes qui diffusent depuis l'étranger et pourquoi il les accuse d'exacerber les problèmes de l'Iran et de répandre des rumeurs pour déclencher des crises et semer le désespoir et la frustration parmi le peuple.
Les Iraniens ont clairement exprimé leur colère envers la télévision iranienne lors des manifestations qui se sont multipliées ces dernières années. Au cours des dernières manifestations qui ont balayé le pays, outre les slogans contre Khamenei et le président Ebrahim Raisi, les manifestants ont pris pour cible les médias d'État, scandant que «la radio et la télévision d'État sont une honte [pour le pays].»
La méfiance et la rancœur à l'égard de la télévision officielle ont pris une telle ampleur que le simple fait d'apparaître sur les chaînes publiques est désormais considéré comme honteux. Hassan Mohaddithi Ghailwaei, un professeur de sociologie iranien qui fait régulièrement des interventions à la télévision, a avoué qu'il était à chaque fois réprimandé par ses étudiants et ses collègues pour sa participation à des programmes produits par une «institution qui n'appartient pas au peuple» et dont le but est «apparemment de répandre des mensonges».
Le professeur a souligné que la radiodiffusion de la République islamique d'Iran était impliquée dans la diffusion systématique de mensonges, surtout en ce qui concerne les questions politiques. «Lorsqu'elle remplace les reportages sur les événements politiques par de la propagande politique, elle est forcément agrémentée et chargée de mensonges», a-t-il ajouté.
Devant tous ces faits, l'on se demande pourquoi les responsables de la télévision d'État iranienne continuent à adopter la même approche, alors que l'accès aux informations exactes n'est plus difficile pour ceux qui cherchent la vérité. Bien qu'ils soient pleinement conscients que leurs mensonges ne trompent plus le peuple iranien, ces médias continuent de diffuser les mêmes tromperies dans le seul but de préserver le soutien d'une minorité de la population iranienne – aveuglément loyale mais en baisse considérable – qui s'accroche encore à sa croyance en ce régime et à ses slogans faux et creux.
Pour conclure, il ne serait pas exagéré de dire que la crainte du régime iranien face à la libre circulation de l'information et à l'ouverture des plateformes de réseaux sociaux l'emporte de loin sur sa crainte de la menace que lui poserait Israël.
Le Dr Mohammed Al-Sulami est le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com