L’Iran fait face à une vague d’assassinats et de sabotages choquants contre ses meilleurs scientifiques, ses commandants militaires, ses installations stratégiques et ses infrastructures vitales. Comme on pouvait s’y attendre, le régime iranien accuse Israël d’être à l’origine de ces attaques et Tel-Aviv revendique ouvertement la responsabilité d’un certain nombre d’entre elles. Afin d’atteindre un certain équilibre et de dissuader de mener de nouvelles attaques, Téhéran organise des contre-attaques indirectes au moyen de mandataires ou d’agents de renseignement. Par ailleurs, ses services de sécurité et de renseignement procèdent à des examens approfondis pour contrecarrer les assassinats potentiels, mais les résultats restent à ce jour décevants.
Le nombre croissant de ces assassinats professionnels hautement organisés reflète un changement radical dans la stratégie d’Israël, qui ne cible plus uniquement les installations nucléaires et les scientifiques iraniens, mais inclut les commandants du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI). On remarque que les attaques ressemblent davantage à des frappes chirurgicales méticuleusement planifiées. Celles-ci ne sont plus simplement conçues pour limiter les ambitions nucléaires, les capacités de défense ou les politiques hostiles de l’Iran dans la région, mais plutôt pour causer le plus grand dommage possible à la réputation et à la légitimité du régime dans son propre pays, en mettant l’accent sur son incompétence.
L’Iran est incapable de contrer ce défi sécuritaire, étant donné qu'Israël a réussi à infiltrer ses services de sécurité, de renseignement et militaires. Par ailleurs, l’État hébreu réussit à établir un certain nombre de réseaux d’espionnage et à recruter des agents de renseignement formés, y compris des membres du CGRI et des services de renseignement, pour commettre des assassinats et des attaques de sabotage. Ces réseaux ont été impliqués dans le meurtre en 2020 du scientifique nucléaire Mohsen Fakhrizadeh, le vol et la contrebande des archives nucléaires iraniennes en 2016, l’assassinat le mois dernier de l’officier du CGRI Hassan Sayyad Khodaei et d’autres attaques. En conséquence, il y a de plus en plus de spéculations selon lesquelles l’Iran serait devenu un refuge pour les espions du Mossad.
Le fait que Hassan Sayyad Khodaei ait été abattu au cœur de Téhéran, à quelques kilomètres seulement de la maison du Guide suprême, Ali Khamenei, du ministère des Affaires étrangères et d’autres lieux sensibles et fortement sécurisés, reflète la gravité de la menace posée par Israël aux dirigeants iraniens. L’Iran semble incapable de défendre ses plus hauts dirigeants, non seulement dans les banlieues, mais aussi à Téhéran.
Sans la fragilité de l’infrastructure de sécurité et le manque d’expertise du régime – ce qui est particulièrement gênant à un moment où ce dernier prétend être solide, puissant et compétent – Israël n’aurait pu connaître un tel succès. Des dizaines d’unités iraniennes de sécurité et de renseignement n’ont pas réussi à empêcher les agents de renseignement israéliens de s’infiltrer au cœur même de Téhéran et de cibler ses sources les plus précieuses, humainement et matériellement. Il semblerait que ces structures de sécurité soient victimes de corruption et qu’elles aient atteint des niveaux de complexité excessifs les rendant incapables de s’acquitter de leurs responsabilités en termes de protection de la sécurité nationale iranienne.
En outre, certains membres du personnel, y compris des membres du CGRI et les groupes qui leur sont affiliés, sont devenus la proie des agences de renseignement étrangères et en sont même devenus les outils. Le régime craint que ces personnes bien informées aient transmis les données qui ont conduit à la récente série d’assassinats, ternissant l’image invincible du CGRI et sapant ainsi sa crédibilité auprès du peuple iranien.
Le climat politique intérieur de l’Iran est propice aux ingérences , la société du pays étant en proie à la paranoïa, à la faiblesse et à la vulnérabilité. Cela se reflète dans l’obsession du régime sur la sécurité intérieure – c’est-à-dire la sécurité et la survie du régime, plutôt que celle du peuple iranien, dont le bien-être intéresse peu les dirigeants iraniens. L’incapacité du régime à renforcer l’État et la société, à défendre les personnes vulnérables et à offrir à la population justice et développement – valeurs et objectifs qu’il prétend être ses priorités –, a créé un ressentiment massif et un terrain fertile pour la subversion.
Les dirigeants iraniens n’accordent aucune valeur au bien-être et à la sécurité matérielle ou morale du peuple. L’unique préoccupation du régime est d’assurer la survie de l’élite théocratique et de resserrer son emprise déjà obstructive sur le pouvoir absolu. Au moment où le régime utilise un langage religieux et tente de déguiser sa quête de pouvoir totalitaire en une activité spirituelle et idéologique, le seul véritable objectif est de maintenir le pouvoir absolu pour son propre bien afin de resserrer son emprise impitoyable sur le pays et ses richesses, alors même que la pauvreté devient incontrôlable et que la société s’effondre.
En conséquence, le fossé entre le régime et le peuple iranien s’est creusé, le sentiment d’aliénation et de ressentiment public s’est inévitablement accru et le climat intérieur est devenu propice à l’infiltration, ce qui explique la facilité avec laquelle Israël peut avoir accès au pays.
Dans le même temps, le régime iranien s’est lancé dans une vaste confrontation avec les peuples de la région dans le but de consolider son influence, en déployant des forces et des combattants dans plusieurs pays. Ces derniers sont devenus des proies pour les services de renseignement. Israël en a même ciblé plusieurs, notamment en fournissant une assistance en matière de renseignement aux Américains lors de l’assassinat en 2020 du commandant de la Force Qods, Qassem Soleimani, à Bagdad.
Ainsi, cette opération audacieuse a offert à Israël l’occasion de recruter davantage d’agents potentiels pour ses services de renseignement, dont le Mossad. Cela explique comment il a pu former le noyau des cellules d’assassinats et de terreur qui se sont désormais infiltrées dans la société et l’État iraniens. Ironiquement, le régime iranien semble incapable de se protéger au niveau national, alors que ses éléments sont déployés dans plusieurs pays et tentent de protéger les régimes et groupes alliés.
Le régime iranien tente de contenir les assassinats et les sabotages, que ce soit en dissimulant des informations ou en intensifiant les efforts de sécurité afin de démasquer les personnes impliquées dans la collaboration avec des entités externes. Le régime a déjà procédé à l’arrestation de dizaines de ses propres employés civils et militaires, ainsi que des membres du personnel d’installations vitales. Bien qu’il ait mené des contre-attaques indirectes à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël, il n’a encore kidnappé aucun agent de renseignement israélien. En outre, plusieurs de ses plans pour répondre aux assassinats israéliens, notamment l’attaque contre des Israéliens déjouée la semaine dernière en Turquie, ont échoué, démontrant à tout le monde que, malgré toutes ses fanfaronnades, le régime est très loin d’être invulnérable.
À la suite de cet échec, le régime a décidé de limoger Hossein Taeb, le chef du renseignement du CGRI. Le général de brigade Mohammed Kazemi a été nommé à sa place. La raison de ce changement est parfaitement connue, compte tenu de l’échec de l’Iran à mettre un terme aux opérations israéliennes.
Néanmoins, les évolutions actuelles laissent présager plus d’assassinats mutuels et de sabotages dans un avenir proche, en particulier dans le cadre de conflits régionaux ouverts et à grande échelle, où chaque partie voit la possibilité d’infliger des dommages à l’autre. Les dirigeants iraniens se sentent insultés et humiliés. Le régime est soumis à d’intenses pressions internes pour réagir.
«L’Iran semble incapable de défendre ses plus hauts dirigeants, non seulement dans les banlieues, mais aussi à Téhéran.» - Dr Mohammed al-Sulami
Pour conclure, en vertu du droit international, les assassinats et les représailles sont des actes illégaux injustifiables. Cependant, en raison de ses propres actions, l'Iran a peu de partisans de son côté dans cette bataille. Au cours des quatre dernières décennies, le régime iranien a mis en place une politique hostile consistant à s’immiscer dans les affaires des pays voisins et à ne pas respecter leur souveraineté. Il s’est infiltré dans leurs sociétés et il a tenté de saper leur sécurité et leur stabilité. Le régime a également eu recours à des assassinats contre ses propres citoyens, ciblant des dissidents à la fois à l’étranger et au sein du pays. Il a fait des ravages dans plusieurs pays du Moyen-Orient, les plongeant dans de graves conflits internes et déclenchant des catastrophes humanitaires sans précédent dans la région.
Cette politique semble s’être retournée de manière spectaculaire contre l’Iran. Le régime est dans une position délicate où ses faiblesses internes éclatent au grand jour et sa force s’érode petit à petit.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.