Lorsque les Iraniens se sont révoltés en 1979, un grand nombre d’entre eux pensaient établir un système de gouvernance démocratique. La révolution en Iran n'a jamais eu pour but de créer une dictature théocratique dans la perspective d’un gouvernement inclusif et laïc.
La révolution semblait également être un rejet des politiques économiques visant les intérêts personnels du pouvoir politique précédent, comme de la répression brutale de la dissidence. La plupart des factions et des groupes d'opposition activement impliqués dans la révolution, comme le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), envisageaient pour le pays un avenir démocratique.
Cependant, malgré le soutien de la grande majorité des citoyens iraniens, ils n'ont en fin de compte pas été en mesure d'empêcher l'ayatollah Khomeini de prendre le contrôle de la révolution pour établir un système de gouvernement clérical absolu, avec lui-même à sa tête en tant que Guide suprême. Aujourd'hui, le successeur de Khomeini, Ali Khamenei, semble coordonner les tentatives visant à éviter une nouvelle poussée de gouvernance démocratique en assimilant l'opposition à la dictature théocratique au pouvoir politique précédent, qui avait été rejeté par pratiquement tous les Iraniens il y a plus de quatre décennies.
La série de soulèvements observés dans tout le pays ces dernières années a révélé la profondeur du soutien populaire à un changement de régime. À titre d’exemple, fin 2017, une manifestation a commencé dans la ville de Mashhad contre l'état de l'économie iranienne, avant de se propager rapidement et de prendre un accent de plus en plus politique. Début janvier 2018, le mouvement avait englobé un grand nombre de villes et villages, chacun d'entre eux offrant un exutoire à des slogans inhabituellement provocateurs. On a pu ainsi entendre dans les rues «mort au dictateur», «partisans de la ligne dure et réformateurs, c’est fini» et «Notre ennemi se trouve ici». Au plus fort de ce soulèvement, Khamenei a prononcé un discours, reconnaissant que le CNRI avait joué un rôle de premier plan dans la diffusion de tels slogans et pour encourager les manifestations.
La peur d'une telle résistance organisée a poussé le régime à réprimer le prochain grand soulèvement d’une manière sévère, ce que le pays n’avait pas connu depuis les années 1980, lorsque le système luttait encore pour affermir l’organisation de son pouvoir. Alors que des manifestations éclataient spontanément dans près de 200 localités en novembre 2019, les autorités ont ouvert le feu sur des foules de manifestants, tuant plus de 1 500 personnes, avant de lancer une campagne de torture systématique qui a ensuite été relatée en détail dans un rapport d'Amnesty International intitulé «L’humanité piétinée».
«Aujourd'hui, les Iraniens étant sous le choc des crises sociales, comme l'augmentation des prix des denrées alimentaires, les schémas de troubles publics semblent plus évidents que jamais»
Dr Majid Rafizadeh
Amnesty a déclaré que les autorités iraniennes «avaient mené une campagne de répression massive ayant conduit à l'arrestation de plus de 7 000 hommes, femmes et enfants». L’organisation des droits de l’homme a enquêté depuis sur les actions des autorités iraniennes et a conclu qu'elles avaient commis d'autres violations graves et généralisées des droits humains. Compte tenu de la gravité des violations perpétrées et de l'impunité systématique qui prévaut en Iran, Amnesty International renouvelle son appel aux États membres du Conseil des droits humains des Nations unies pour qu'ils mènent une enquête conduite par l'ONU sur les violations commises, «pour déterminer les responsables et que de tels événements ne se reproduisent pas».
Dans la période comprise entre les deux soulèvements, Téhéran a également braqué ses regards directement sur le CNRI. En juin 2018, un diplomate iranien, agissant sur ordre du Conseil suprême de la sécurité nationale du régime, a fourni à deux agents irano-belges un puissant engin explosif, leur enjoignant de le faire exploser le plus près possible de la scène parisienne où Mariam Radjavi, la représentante du CNRI désignée à la tête d'un futur gouvernement de transition, s'adresserait à environ 100 000 expatriés iraniens.
Cet attentat à la bombe a été déjoué par les forces de l'ordre européennes, mais il a largement contribué à révéler l’ampleur des préoccupations de Téhéran concernant la dissidence et l’organisation de l'opposition. Cependant, au cours des quatre années suivantes, le régime a cherché à minimiser publiquement cette préoccupation.
Plusieurs soulèvements ont éclaté depuis les tueries en masse du régime de novembre 2019, dont l'une a commencé deux mois plus tard. Aujourd'hui, alors que les Iraniens sont sous le choc des crises sociales avec l'augmentation des prix des denrées alimentaires, les schémas de troubles publics semblent plus évidents que jamais. La réalité est qu'il existe une autre solution viable appelant à des élections justes, à une gouvernance laïque et à des garanties pour les droits de tous les citoyens. La solution d’un Iran qui regarde vers l'avant et non vers l'arrière, les Iraniens étant les premiers à avoir admis cette réalité.
Téhéran voudrait faire croire à ses adversaires que le résultat d'un changement de régime serait un retour au pouvoir politique précédent ou risquerait de faire sombrer le pays dans les querelles entre factions. Mais si la communauté internationale devait y prêter attention, elle reconnaîtrait sans aucun doute que les divers intervenants, géographiquement et démographiquement, réclament tous la liberté et la démocratie.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com