La rencontre entre le nouveau dirigeant de la République arabe syrienne, Ahmad al-Charaa, et le roi Abdallah de Jordanie à Amman la semaine dernière a marqué un tournant dans l'évolution des relations entre les deux nations. Alors que la Syrie est en pleine transition, le soutien et la coopération de la Jordanie voisine revêtent une importance nouvelle.
La Jordanie, qui joue depuis longtemps un rôle important dans la diplomatie et la sécurité régionales, a réaffirmé son engagement à aider la Syrie à se redresser et à se réintégrer. Le renforcement de cette relation est non seulement vital pour la reconstruction de la Syrie, mais aussi pour la stabilité régionale, la croissance économique et la coopération en matière de sécurité.
Pendant plus d'une décennie, Amman a géré les retombées du conflit syrien, qui a profondément affecté les deux nations. La Jordanie, qui partage une frontière de 375 km avec la Syrie, a subi de plein fouet les conséquences de la guerre, qu'il s'agisse de l'afflux massif de réfugiés, des menaces accrues en matière de sécurité ou des perturbations du commerce.
La rencontre du roi Abdallah avec les nouveaux dirigeants syriens témoigne d'une volonté renouvelée de s'engager auprès de Damas et de soutenir sa réintégration dans le monde arabe. Le roi Abdallah a souligné la nécessité pour la Syrie de restaurer sa souveraineté et sa stabilité. Ce soutien de la Jordanie a du poids, car il souligne la stratégie plus large d'Amman qui consiste à soutenir la stabilité régionale tout en veillant à ce que la Syrie ne devienne pas un terrain propice aux éléments extrémistes ou à la criminalité organisée.
La reprise de liens bilatéraux solides n'est pas seulement un geste diplomatique, elle reflète également une reconnaissance plus profonde du fait que le redressement de la Syrie est dans l'intérêt de la Jordanie. Les deux nations sont inextricablement liées par la géographie, l'économie et les questions de sécurité, ce qui rend leur coopération essentielle pour relever les défis immédiats et assurer la stabilité à long terme.
L'une des préoccupations les plus pressantes des deux pays est la sécurité des frontières. Au cours de la dernière décennie, la frontière syro-jordanienne est devenue un point névralgique pour la contrebande d'armes, le trafic de drogue et les mouvements de groupes extrémistes.
Le trafic de captagon, une puissante amphétamine qui a inondé les marchés régionaux, est un problème majeur. Les forces de sécurité jordaniennes ont intercepté d'importantes cargaisons en provenance de Syrie. Conscientes de l'urgence de la situation, les deux nations se sont engagées en janvier à renforcer la sécurité de leurs frontières par l'échange de renseignements, des patrouilles militaires conjointes et une surveillance accrue.
Au-delà de la lutte contre les stupéfiants, la Syrie et la Jordanie sont également préoccupées par les groupes extrémistes qui tentent de se regrouper et de prendre pied dans les régions frontalières. La Jordanie se méfie depuis longtemps de Daech et d'autres factions qui exploitent l'instabilité en Syrie pour lancer des attaques. Pour y remédier, les deux pays peuvent s'efforcer de renforcer la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, en veillant à ce que les réseaux militants soient démantelés avant qu'ils ne constituent une menace régionale plus large.
En outre, le conflit syrien a gravement perturbé les liens économiques entre les deux pays, entraînant des pertes commerciales de plusieurs milliards de dollars. Avant la guerre, la Jordanie servait de centre pour le transit des marchandises syriennes, tandis que les exportations syriennes – allant du textile aux produits agricoles – constituaient un produit de base sur les marchés jordaniens. La guerre a bouleversé ces flux économiques, obligeant les entreprises des deux côtés à chercher d'autres marchés, souvent moins rentables.
Aujourd'hui, alors que la Syrie se lance dans la reconstruction, la coopération économique avec la Jordanie est très probablement sur le point de s'accélérer. La réouverture des passages frontaliers et des routes commerciales ne profitera pas seulement à l'économie syrienne meurtrie, mais offrira également à la Jordanie de nouvelles opportunités d'investissement et de commerce. En d'autres termes, l'assouplissement des restrictions commerciales et l'harmonisation des procédures douanières permettront aux deux pays de retrouver l'élan économique perdu.
Les projets d'infrastructure présentent également un potentiel important. Le réseau de transport bien développé de la Jordanie pourrait servir d'artère vitale pour les marchandises syriennes qui atteignent les marchés internationaux. De même, la main-d'œuvre syrienne – qui constituait autrefois un élément clé de la main-d'œuvre jordanienne – pourrait à nouveau jouer un rôle dans les secteurs jordaniens de la construction et de l'agriculture. L'augmentation des échanges et des investissements aidera les deux pays à se remettre de la stagnation économique imposée par des années d'instabilité.
Il est important de noter que l'infrastructure énergétique de la Syrie a subi d'immenses dommages pendant la guerre, laissant de nombreuses régions en manque cruel d'électricité et de carburant. La Jordanie, qui a développé son secteur énergétique ces dernières années, pourrait devenir un fournisseur clé pour la Syrie. Les pourparlers de la semaine dernière entre Amman et Damas ont exploré la possibilité que la Jordanie fournisse de l'électricité et du gaz à la Syrie, ce qui apporterait un soulagement immédiat aux industries et aux ménages syriens tout en renforçant les liens économiques entre les deux gouvernements.
Au-delà de l'énergie, les efforts de reconstruction constituent une autre voie de coopération. Les entreprises jordaniennes, notamment dans le domaine de la construction et de l'ingénierie, disposent de l'expertise nécessaire aux efforts de reconstruction de la Syrie. Faciliter les investissements jordaniens dans les projets d'infrastructure syriens contribuerait non seulement au redressement de la Syrie, mais créerait également des incitations économiques pour une collaboration durable.
En outre, la Jordanie a été l'une des principales destinations des réfugiés syriens, le pays accueillant environ 1,3 million d'entre eux. Bien que la Jordanie ait fourni un abri, une éducation et des soins de santé à ces personnes déplacées, la pression sur son économie et ses ressources a été immense. Le retour des réfugiés syriens est une question sensible, qui nécessite une coordination minutieuse entre les deux gouvernements et la communauté internationale.
La rencontre du roi Abdallah avec les nouveaux dirigeants syriens témoigne d'une volonté renouvelée de dialogue avec Damas.
Majid Rafizadeh
Il est primordial de garantir un rapatriement sûr et volontaire. De nombreux réfugiés hésitent encore à rentrer chez eux en raison de préoccupations liées à la sécurité, aux opportunités économiques et à la stabilité politique. C'est pourquoi la Jordanie et la Syrie peuvent collaborer pour créer les conditions susceptibles d'encourager les rapatriés, notamment en reconstruisant les logements, en offrant des possibilités d'emploi et en garantissant des protections juridiques. Les organisations internationales peuvent également jouer un rôle en soutenant les efforts de réintégration, en veillant à ce que les réfugiés aient accès à l'éducation, aux soins de santé et aux services sociaux.
Enfin, le renforcement des relations syro-jordaniennes va au-delà des préoccupations bilatérales. Il a des implications plus larges pour la stabilité du Moyen-Orient, en particulier à une époque de changements d'alliances et de réalignements régionaux. L'engagement de la Jordanie auprès de la Syrie pourrait ouvrir la voie à la réintégration de Damas dans le giron diplomatique arabe, en favorisant un engagement constructif avec les pays voisins.
En conclusion, pour la Jordanie, une Syrie stable est essentielle à sa sécurité et à son bien-être économique à long terme. Pour la Syrie, le soutien de la Jordanie offre un pont vers la communauté internationale et une voie vers la reconstruction de son économie et de ses infrastructures en ruine. Les avantages mutuels de la coopération sont évidents et les deux pays ont des raisons impérieuses de maintenir leur partenariat renouvelé.
Alors que le nouveau gouvernement syrien cherche à stabiliser le pays et à rétablir son rôle dans la région, le soutien de la Jordanie sera indispensable. En travaillant ensemble sur la sécurité, le commerce, l'énergie et les initiatives humanitaires, la Syrie et la Jordanie peuvent non seulement renforcer leurs propres intérêts nationaux, mais aussi contribuer à un Moyen-Orient plus stable et plus prospère. Le chemin à parcourir nécessitera de la finesse diplomatique et une coopération pratique, mais si les deux nations s'engagent de manière soutenue, leur partenariat pourrait servir de modèle pour la résilience et le redressement de la région.
Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
X: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com