Lors d’un briefing devant le Conseil de sécurité de l’ONU, la secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Rosemary DiCarlo, a averti que l’absence de solution aurait des répercussions négatives sur la sécurité
Après quatre mois environ de discussions de haut niveau entre les deux chambres parlementaires libyennes – la Chambre des représentants et le Haut Conseil d’État – pour établir un cadre constitutionnel propice pour une deuxième tentative d’élections nationales, le dossier libyen est une fois de plus marqué par un nouvel échec.
Les négociations, qui se sont tenues en Égypte et ont été organisées par la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU, Stephanie Williams, n’ont pas abouti à un consensus par rapport à ce qu’elle a qualifié de «mesures régissant la période de transition qui aboutit aux élections». La responsabilité a finalement été confiée aux dirigeants des deux chambres, Aguila Saleh et Khaled al-Mishri, pour résoudre leurs différends avant la fin du mandat de la conseillère.
Ironiquement, ce n’est pas la première fois que l’ONU parie sur une entente entre ces deux organes quant à la mise en place d’un cadre juridique pour des élections – qui les mèneraient presque certainement à la faillite. Leur perte totale de crédibilité auprès de la population depuis près de dix ans signifie simplement qu’aucun d’entre eux ne sera vraisemblablement réélu. Ce serait ridicule de penser qu’ils accepteraient quoi que ce soit qui ressemble, même de loin, à une élection.
L’insistance continue de l’ONU à compter sur des «négociations» entre ces organes pour produire des résultats positifs est l’exemple parfait de ce qu’Einstein décrit comme la définition même de la folie – «faire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent».
Ce dernier échec couronne une phase tumultueuse après décembre, lorsque le Parlement libyen voyou a retiré sa confiance au gouvernement d’unité nationale basé à Tripoli et formé sa propre autorité intérimaire, le gouvernement de stabilité nationale, dirigé par Fathi Bashagha, un ancien ministre de l’Intérieur.
À son tour, le chef du gouvernement d’unité nationale, Abdel Hamid Dbeibah, a refusé de céder l’autorité au gouvernement de M. Bashagha qui bénéficie toujours d’un soutien important dans certaines parties de l’ouest de la Libye. Son refus a ainsi créé des divisions, des allégeances et des alliances perceptibles à travers le pays, ajoutant de nouvelles complexités à une phase de transition qui semble impossible.
Pour leur part, l’ONU et un certain nombre de bailleurs de fonds occidentaux ont résisté à apporter leur soutien au gouvernement de M. Bashagha, choisissant plutôt de s’en tenir à un processus politique défectueux et très incohérent plutôt que de trouver des solutions de rechange plus pratiques pour mettre fin à la décennie perdue de la Libye. Là encore, la communauté internationale s’est contentée de parler du bout des lèvres des malheurs de la Libye, compte tenu du bilan des médiations ratées et des accusations à Casablanca, au Caire, à Paris, à Bruxelles et même à Berlin.
Même après l’échec des pourparlers du Caire, la majeure partie de l’attention portée par le monde à la Libye demeure figée sur la forte baisse de la production de pétrole brut du pays, qui a chuté de près de 88% – environ un million de barils de moins par jour – par rapport à l’année dernière.
«Ni le gouvernement de stabilité nationale ni le gouvernement d’unité nationale n’est en mesure de gérer efficacement la transition libyenne.»- Hafed al-Ghwell
Cette indifférence collective alimente une réalité paralysante dans un pays troublé où la baisse des exportations de pétrole n’est qu’un symptôme. Une obsession de dix ans avec des délais stricts, des menaces dépourvues de sanctions contre les fauteurs de troubles, des processus ouverts et une série d’envoyés spéciaux n’a pas conduit à une résolution permanente de l’impasse en Libye. Pour l’instant, l’impasse reste heureusement politique. Les négociations du Caire n’ont abouti qu’à des accords sur les deux tiers les moins conflictuels des 200 articles du projet de Constitution et se sont effondrées quand il a été question du dernier tiers qui comprend une base constitutionnelle pour les élections. Même pour les observateurs les moins perspicaces, établir un cadre constitutionnel pour un vote national à une date encore indéterminée après seulement quatre mois de discussions n’a jamais été un objectif réaliste dès le départ.
De même, la pression presque immédiate pour une nouvelle autorité intérimaire après l’échec des pourparlers ne servira pas de panacée aux maux qui affectent le processus politique libyen. Après tout, une prétendue réunification de ses gouvernements parallèles s’est effondrée en moins d’un an, ce qui aurait dû anéantir tout espoir que «quelconque» gouvernement national «réussisse» réellement.
Prenez, par exemple, l’émergence fulgurante du mouvement Bashagha. C’est «différent», puisque c’est la première fois que la Chambre des représentants décide d’usurper le Forum de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU et de devenir un faiseur de rois à part entière. Le gouvernement de stabilité nationale reste en grande partie une itération d’une série de gouvernements défaillants depuis 2014. En fait, la plupart des acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de la Libye conviennent que ni le gouvernement de stabilité nationale ni le gouvernement d’unité nationale n’a la capacité de gérer efficacement la transition libyenne et de briser le cycle des autorités intérimaires successives.
De manière assez tragique, avec l’attention du monde focalisée sur l’Ukraine, il y a peu de volonté politique ou diplomatique de remanier les priorités pour reporter le scrutin et faire face aux obstacles bien connus à la transition en Libye. Pire encore, la complexité frustrante de la dynamique politique de la Libye, désormais mêlée à une mosaïque alambiquée d’intérêts et d’engagements extérieurs, est qu’aucun acteur ne peut matériellement modifier le discours et la trajectoire du processus libyen sans entraver la poursuite d’intérêts personnels extrêmement étroits. Beaucoup ont essayé et échoué au fil des ans; les acteurs, tant nationaux qu’étrangers, se sont simplement alignés et réalignés en fonction de l’évolution de l’équilibre des pouvoirs afin d’anticiper toute modification du statu quo ou de résoudre les problèmes fondamentaux qui entravent la gestion prudente d'un processus politique très fragile.
Curieusement, dans un pays aussi fragmenté, la plupart des acteurs semblent être d’accord que leur «ennemi» commun est toute intervention crédible qui peut réunir les Libyens tout en créant un environnement propice à la tenue d’élections nationales sûres et incontestablement légitimes. À cette fin, il n’est pas surprenant que même par l’intermédiaire d’un conseiller spécial respecté, bien connu et très compétent de l’ONU, l’énigme libyenne reste un gâchis non résolu qui ne fait que reproduire les erreurs du passé.
Lors d’un briefing devant le Conseil de sécurité de l’ONU, la secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Rosemary DiCarlo, a averti que l’absence de solution aurait des répercussions négatives sur la sécurité. En outre, au-delà de l’extrême polarisation et de l’urgence de résoudre cette impasse politique, l’inaction prolongée a également des coûts socioéconomiques importants qui aggravent les malheurs communs aux Libyens moyens pris au piège entre des institutions parallèles.
Par exemple, malgré les prix élevés du pétrole brut, le pays ravagé par la guerre perd environ 80 millions de dollars (1 dollar = 0,95 euro) par jour en revenus pétroliers en raison de fermetures prolongées provoquées par les querelles entre l’est et l’ouest, plutôt que de se concentrer sur les maladies typiques réversibles de l’infrastructure pétrolière libyenne. Plus d’une décennie d’ «interventions», d’escarmouches et de conflits tous azimuts n’ont pas réussi à pousser la Libye de manière significative vers un règlement acceptable, mieux que le gâchis intransigeant auquel nous assistons aujourd’hui. Il y a beaucoup de blâme à répartir, notamment en raison d’une décennie de calomnies internes et de conflit d’intérêts entre des acteurs externes opportunistes cherchant à décider de l’avenir politique de la Libye.
Cependant, le pire «cancer» qui touche la Libye est un tiercé gagnant au niveau de la façon dont ses feuilles de route éternelles ne sont pas pragmatiques, conçues par les architectes les moins crédibles et, par conséquent, aucune intervention, aucun plan «inclusif» très médiatisé, unilatéralisme ou résultats négociés ne peuvent vraisemblablement inverser cette impasse purulente dans laquelle se trouve le pays.
Au lieu de cela, des acteurs prometteurs vêtus d’idéalisme ont été accueillis puis anéantis par une triste réalité que les plus grandes ambitions n’ont pas réussi à défaire, les conduisant à régresser dans un établissement antithétique à la démocratisation de la Libye ou même simplement à une forme de stabilité crédible.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal non résident au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies. Il est également conseiller principal au sein du cabinet de conseil économique international Maxwell Stamp et de la société de conseil en risques géopolitiques Oxford Analytica, membre du groupe Strategic Advisory Solutions International à Washington DC et ancien conseiller du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com