L'anniversaire des émeutes de la rue qui ont secoué le Liban l'année dernière coïncident avec le retour de Saad Hariri sur le devant de la scène, de nouveau nommé chef de gouvernement, sur un fond de réformes structurelles exigées par les partenaires internationaux du Liban.
La deuxième vague du mouvement contestataire arabe, qui s'est étendue à l'Irak, s'inscrit en effet dans la logique de demande citoyenne en réaction aux dysfonctionnements de la démocratie intercommunautaire autophage. Elle est instituée dans les deux pays soumis à la tutelle iranienne par le biais des partis-milices qui ont la mainmise sur la vie politique.
Par demande citoyenne, nous déclarons aspirer à l'égalité formelle fondamentale, dans les droits, indépendamment des appartenances, que cette appartenance soit ethnique, religieuse, clanique, sociale, ou dans les structures de rapports économiques.
La notion de citoyenneté diffère largement dans ce sens d'une autre modalité de la reconnaissance. La reconnaissance identitaire par son aspect universel puise son référent sémantique dans l'idée de dignité humaine, l'idée directrice de l'humanisme moderne.
La reconnaissance de la dignité est ainsi la base profonde de la citoyenneté, qui, tout en étant ajustée à un contexte national déterminé, renvoie à une conception universelle de l'homme capable et responsable. Jürgen Habermas souligne dans cet ordre d'idées la concomitance évidente entre les idéaux abstraits, formels des droits de l'homme et le système de représentation politique propre à l'état-nation moderne.
Ce rapport organique évoqué se traduit par la notion de «citoyenneté constitutionnelle» pensée par Habermas dans le sens d'une réflexion subtile sur les transformations récentes de l'État-nation.
Le souci théorique ici est de dépasser la querelle inextricable entre les tenants du discours universaliste des droits de l'homme – qui fustigent les identités nationales comme négation arbitraire de la communauté de destin humaine– et les adeptes de la pensée nationaliste qui conçoivent la nation comme cadre politique unique d'effectivité de l'idéal de l'autonomie transposée au niveau de l'esprit d'un peuple ou une communauté organique liée par les déterminants culturels.
Il y a lieu de démontrer ici que la notion même d'autonomie, principe distinctif de la modernité, a été l'objet de deux appréhensions différentes : soit la liberté subjective comme volonté consciente et autodéterminée, soit l'authenticité comme différence spécifique revendiquée et assumée.
Or, si le principe de la liberté subjective tend nécessairement vers l'universel formulé dans des normes éthiques ou juridiques, l'idéal d'authenticité s'accommode plutôt avec l'esprit d'équité, de discrimination positive, d'identités singulières.
Dans le contexte occidental, les politiques de reconnaissance s'inscrivent dans la logique des droits humains et ont pour fonction essentielle la correction concrète des dysfonctionnements de la justice distributive dans sa conception d'égalité formelle, et, de ce fait, elles ne menacent en rien les piliers de la citoyenneté dans une nation solidaire et bien ordonnée.
Le schéma est substantiellement différent dans le contexte arabe, où l'idée de citoyenneté est fragile, sans ancrage historique et conceptuel solide. Les politiques de reconnaissance dans un tel contexte ne peuvent que conduire à la corrosion du lien social organisé.
Il va sans dire que les totalitarismes idéologiques qui ont longuement présidé à la destinée de plusieurs pays arabes sont les principaux responsables de l'effritement des réseaux de solidarité sociale, en démolissant les liens communautaires traditionnels, et en bloquant les dynamiques citoyennes modernes.
Les arrangements constitutionnels ultérieurs, imposés souvent par les puissances extérieures ou maintenus à leur gré, visent à étendre le champ d'autonomie et de liberté de décision au-delà des mécanismes de gouvernance citoyenne, accusés de masquer les impératifs d'égalité effective et réelle. L'État selon cette approche ne peut transcender les différences et antagonismes sociaux, et devra donc se soumettre aux exigences de partage communautaire équitable des positions de pouvoir.
C'est là où le bât blesse : les identités communautaires n'ont rien d'entités naturelles, primordiales, elles résultent plutôt de procédés d'assignation statutaire construits et manipulables. Elles ne peuvent nullement garantir un socle politique ordonné et stable. De ce fait, elles ne sont jamais des substituts fonctionnels de l'état national ou un adjuvant efficace à l'entité politique commune. Les cas irakien et libyen sont une illustration claire de cette configuration, le " mal libanais " en est une autre démonstration.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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