Une dernière chance pour Hariri et pour tout le Liban

Avec Saad Hariri nommé pour un quatrième mandat en tant que Premier ministre libanais par une très faible majorité des votes parlementaires, de nombreux observateurs affirment que ce sera la dernière occasion que la nation sera prête à lui accorder. Ceci sera une dernière chance non seulement pour Hariri mais aussi pour tout le Liban.

S'il veut réussir cette fois-ci, Hariri doit tirer les leçons des erreurs de son ancien mandat de Premier ministre, lorsqu'il a été contraint d’accepter compromis après compromis face au Hezbollah et aux efforts incessants de ce dernier de faire du Liban un état-satellite brisé et creux, dominé par Téhéran, entraînant la nation dans la réalité misérable et appauvrie dans laquelle elle se trouve aujourd'hui.

Hariri insiste sur le fait que son gouvernement sera technocratique, et il ne doit y avoir aucun recul par rapport à ce principe. Il est question d'un gouvernement de salut national, capable d'obtenir un sauvetage financier du FMI et d'autres grands donateurs en adoptant les mesures nécessaires pour restaurer l'économie sur une base solide. Cela ne se réalisera pas avant de s'assurer de réponses crédibles sur l'explosion du port de Beyrouth survenue en août; de lutter contre la pandémie du coronavirus; de mettre le Liban sur la voie d’un nouveau système politique dans lequel les plus puissants (5%) ne profiteront pas, par corruption, de la totalité de la richesse des 95% restants. Au-delà des exigences financières, il doit s'agir de restaurer l’identité et la souveraineté du Liban, en entretenant des relations à égale distance avec une multitude d’interlocuteurs étrangers, mais sans être redevable à personne.

Certains segments du mouvement de protestation considèrent la candidature de Hariri comme une trahison. C'est compréhensible. La vision des manifestants d’un système de gouvernement radicalement différent est absolument correcte et ils ne doivent pas perdre de vue cet objectif. Mais les conditions n’existent tout simplement pas à l’heure actuelle pour de telles convictions. Ils devraient voir le mandat du Premier ministre Hariri comme l’occasion d’une véritable transition. Au lieu de s'opposer à Hariri, ils devraient exercer une pression intense sur lui pour qu'il remodèle fondamentalement le Liban et abandonne ce modèle de gouvernement corrompu et  sectaire.

La plupart d’entre nous détestent tout ce que représentent Hassan Nasrallah et le président Michel Aoun, mais pour l’instant, ils n’ont pas le choix. La menace la plus immédiate est l’effondrement total des institutions libanaises et le glissement dans la guerre sectaire, dont l’expérience passée montre qu’elle nécessiterait plus de 15 années sanglantes pour en sortir. La situation actuelle au Liban est inconcevablement sombre, mais nous nous souvenons à quel point elle peut être pire.

Autour de la candidature de Hariri, nous avons été témoins de certains exemples les plus grotesques de machination et de marchandage politique parmi les chefs de factions maronites: Gebran Bassil, Sleiman Frangieh, Samy Gemayel et Samir Geagea qui croient toujours, d’une manière narcissique, qu’il n’existe pas d’objectif plus élevé que de se positionner pour la présidence. Ce que Aoun et Bassil auront posé comme priorité, lors des discussions avec Hariri, n’est un secret pour personne. Ces clans kleptocratiques sont des vestiges de l’époque de la guerre civile, partageant la responsabilité de bon nombre des chapitres les plus sombres de l’histoire du pays. Étant donné qu’ils sont sur le point d’être emportés par les transformations qui engloutissent le Liban, ne peuvent-ils pas se racheter pour l’éternité en partant avec une once de dignité?

Tous les Libanais patriotes - chiites, chrétiens, druzes et sunnites - devraient prier pour que Hariri réussisse, comme si leur vie en dépendait. Car leur vie pourrait réellement en dépendre!

Baria Alamuddin

Le Hezbollah reconnaît également qu'il existe peu d'alternatives crédibles à Hariri. Mais s’il sabote la candidature de Hariri avec des demandes personnelles afin de conserver son emprise sur les principales institutions de l’État, alors le Hezbollah coulera également avec ce navire en perdition. Le Hezbollah est certainement aussi conscient que quiconque de la situation instable à laquelle la région est confrontée au sens large; s’il ne sécurise pas sa base libanaise, il finira par être sidéré par le cours des événements. Pour le moins, la nomination de Hariri a mis à l'écart l’administration intérimaire complice et désespérée de Hassan Diab sous les yeux duquel les banques libanaises ont été vidées de leurs fonds et l'économie a plongé vers de nouveaux gouffres.

Hariri entretient d'excellentes relations avec la communauté internationale et le monde arabe, y compris avec des personnalités telles que le président français Emmanuel Macron. Le moment est venu de recourir à cet appui, de convaincre les donateurs et les diplomates que le Liban est capable de surmonter la crise et mérite d'être sauvé, et de définir une vision de ce que le Liban peut accomplir lorsqu'il aura survécu.

Pour les décideurs arabes ou occidentaux qui nous lisent peut-être et qui prévoyaient d'attendre que quelque chose de mieux émerge à Beyrouth, Hariri reste le meilleur que vous puissiez obtenir en ce moment. Partout, j'entends du pessimisme sur les perspectives libanaises, mais un tel pessimisme risque de devenir une prophétie auto-réalisatrice. C'est peut-être la dernière opportunité de sauver le Liban. Veuillez ne pas avoir sur la conscience le fait que vous n’ayez pas réussi à saisir cette occasion. En effet, c'est Hariri qui a présidé la conférence des donateurs à Paris en 2018; les fonds promis, supérieurs à 11 milliards de dollars, attendent toujours une administration compétente à qui on peut faire confiance pour les mettre à profit de manière responsable.

Là où d'autres politiciens ont transformé la dissimulation de leurs immenses fortunes en une forme d'art, Hariri a réclamé l’examen de ses livres de comptes. En effet, il s’est inclus dans la demande des manifestants  « kullun yaani kullun » qui signifie « on réclame leur départ tous, sans aucune exception ». Il reconnaît qu'il est potentiellement une figure de transition en un temps rare et fragile; car, si son dernier mandat de Premier ministre échoue, il y aura une foule de détracteurs qui répèteront « On vous avait prévenus »!  Cependant, si Hariri réussit contre toute attente, il méritera tout autant que son père d'être inclus dans le panthéon des grands hommes d'État libanais.

 Hariri m'a dit plus d'une fois « je suis un homme patient ». Ce n’est pas le moment d’être un homme patient. Nous sommes sur le point de perdre notre pays. C'est le moment pour Hariri de se réinventer en révolutionnaire qui balaie les mauvaises attitudes de l’ancien système pour mener un changement radical à une vitesse vertigineuse. Il a sans doute besoin de bien plus que les maigres six mois qui lui ont été alloués, d'autant plus qu'il doit accomplir bien davantage au cours de cette période que ne l’a fait une succession d'administrations corrompues et clientélistes au cours des 40 années écoulées depuis la fin de la guerre civile.

En fin de compte, Hariri doit réussir car l'échec, dans son cas, n'est pas une option. L’échec aujourd’hui - alors que la plupart des ménages ne peuvent pas se nourrir, au milieu d’une pandémie, de chômage, avec le tissu social de toute une nation sur le fil du rasoir - serait trop horrible à envisager.

Tous les Libanais patriotes - chiites, chrétiens, druzes et sunnites - devraient prier pour que Hariri réussisse, comme si leur vie en dépendait. Car leur vie pourrait réellement en dépendre!

•          Baria Alamuddin est une journaliste et radiodiffuseur primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'États

Les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com