Une nation déchirée par les mandataires maléfiques de l'Iran

Diviser pour mieux régner, c'est le jeu auquel se livre la milice des Hachd al-Chaabi en Irak; un jeu qui sert uniquement les intérêts de l'Iran. (Photo d'archive AFP)
Diviser pour mieux régner, c'est le jeu auquel se livre la milice des Hachd al-Chaabi en Irak; un jeu qui sert uniquement les intérêts de l'Iran. (Photo d'archive AFP)
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Publié le Mardi 07 juin 2022

Une nation déchirée par les mandataires maléfiques de l'Iran

Une nation déchirée par les mandataires maléfiques de l'Iran
  • L'Iran manipule les communautés confessionnelles pour servir ses propres intérêts
  • L'Iran ne se soucie guère du fait que la division sociale en Irak et la fragilisation de ses institutions démocratiques finissent par faire basculer le pays dans une guerre civile

En vue de dominer la province irakienne de Ninive, cette région aux multiples ethnies, les Hachd al-Chaabi, groupe paramilitaire financé par l'Iran, adoptent la stratégie du «diviser pour mieux régner».

Un nouveau rapport réalisé par l'International Crisis Group prévient que les activités de ces mandataires iraniens menacent de déclencher une guerre régionale avec la Turquie. En effet, les tensions sont exacerbées en raison de la menace d'Ankara de mener une nouvelle incursion militaire dans le nord de la Syrie.

Entre 2015 et 2017, Daech a été évincé de cette région ethniquement complexe. À l'époque, les Hachd al-Chaabi ont soutenu plusieurs milices locales, ce qui a fait dramatiquement exploser les tensions civiles. En Irak, chaque secte et ethnie locale imaginable possède désormais sa propre faction au sein du Hachd, que ce soient les Yézidis, les Shabaks, les Turkmènes chiites, les sunnites, les Kurdes ou les chrétiens assyriens et chaldéens. Ces factions s'en prennent à la population locale et elles se disputent le monopole de l'économie locale et du commerce de contrebande transfrontalier.

On assiste toutefois à un jeu de pouvoir plus étendu et régionalisé. Ainsi, la Turquie cherche à nouer des liens avec le Parti démocratique kurde (PDK) installé dans le Kurdistan irakien. Elle essaye parallèlement d'éliminer le Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK, groupe interdit) ainsi que les Unités de résistance de Sinjar, affiliées à ce dernier en Irak. Les Hachd se sont même servis de certains groupes des Unités de résistance de Sinjar pour former le «80e bataillon»; dans le même temps, des factions des Hachd ont orchestré des attaques provocatrices contre des postes militaires turcs dans le nord de l'Irak. De son côté, la Turquie a assassiné des Kurdes affiliés aux Hachd, notamment des commandants du 80e bataillon.

Cette région est certes profondément traumatisée. Lorsque Daech a déclenché sa campagne génocidaire en 2014, les minorités ont connu un sort effroyable. Les Yézidis ont été massacrés en masse. Les femmes capturées ont été réduites à l'esclavage sexuel et à une servitude cruelle. Si certaines esclaves ont eu la chance d’être réintégrées dans leurs communautés, elles ont souvent été contraintes de faire le choix impensable de laisser derrière elles des enfants issus de mariages forcés avec des membres de Daech.

Il faut des générations pour guérir de traumatismes aussi dévastateurs. Chaque fois que je rencontre la militante yézidie et lauréate du prix Nobel de la paix, Nadia Murad, son regard triste et profond me bouleverse. Ses yeux relatent avec éloquence les épreuves bouleversantes qu'elle a vécues et qui la marqueront à jamais.

Au départ, nombreuses ont été les communautés de la ville de Ninive à voir dans les Hachd des sauveurs qui allaient libérer leurs territoires. Les citoyens se sont toutefois rendu compte avec amertume que l'Iran est le seul à bénéficier de la politique des Hachd: diviser pour mieux régner. Dans le même esprit, les communautés chiites dans le sud de l'Irak se sont progressivement retournées contre ce mouvement prédateur, qui prétend les défendre.

L'Iran manipule les communautés confessionnelles pour servir ses propres intérêts: les milices «chrétiennes» organisent des cérémonies pour honorer les imams chiites, et les populations chiites, quant à elles, se mobilisent pour élire des politiciens favorables aux Hachd pour occuper des sièges réservés aux groupes minoritaires au Parlement. Dans le quartier chrétien de Bartella, on a même donné le nom de l'imam Khomeini à une école financée par l'Iran! Il est difficile de déterminer quels programmes idéologiques ces institutions enseignent aux enfants.

Une rivalité féroce oppose par ailleurs les petites milices minoritaires qui cherchent à se faire inscrire sur la liste des employés des Hachd que l'État irakien finance. Cette situation génère une dynamique périlleuse: ces groupes rivalisent pour promouvoir le programme agressif et expansionniste de l'Iran. Les milices alliées aux Hachd récoltent des millions de dollars (1 dollar = 0,93 euro) à partir de postes de contrôle illégaux et de «l'argent de protection» qu'elles extorquent aux entreprises de la région.

Des communautés agricoles chrétiennes et yézidies sont dépossédées de leurs terres, ce qui les plonge dans la misère. Les bureaux économiques appartenant aux Hachd pullulent à Mossoul où les différentes factions se disputent le contrôle des secteurs économiques ainsi que le monopole des fonds de reconstruction.

Pour contrer cette corruption éhontée, les Premiers ministres irakiens ont cherché à renvoyer les milices les plus corrompues. Ces factions ont toutefois défié les ordres de Bagdad. Elles ont rassemblé des partisans qui ont semé le chaos et rallié des personnalités de premier plan, telles que l'ambassadeur d'Iran et des figures de proue des Hachd. Ils défendent tous leur cause.

Les factions des Hachd se battent pour s'implanter de façon irréversible dans tout l'Irak. Mais dans le même temps, ces groupes peinent à atténuer les conséquences de leur défaite aux élections d'octobre dernier. Ces entités parasites sont convaincues que si elles contrôlent la société dans toutes ses composantes, elles ne seront jamais évincées. Elles espèrent contraindre les partis rivaux à leur accorder des ministères au sein du gouvernement et des positions influentes dans l'ensemble du système de gouvernance irakien.

Lorsque le Hezbollah dispose des moyens de précipiter le Liban dans une guerre avec Israël, ou que les Hachd contrôlent des pans entiers de l'économie irakienne, il y a peu d'espoir pour la survie de ces États en tant que nations cohérentes.

Baria Alamuddin

En contrôlant les principaux postes-frontières, ces groupes sont en mesure de s'emparer du gouvernement irakien, de régir le commerce régional et de détourner les recettes douanières qui devraient alimenter les caisses de l'État. Le même scénario s'applique au Hezbollah au Liban.

L'ensemble de la région est inondé d'armes, de drogues, d'argent blanchi et de produits de contrefaçon que ces militants colportent. Les mafias d'Al-Assad, en l'occurrence le Hezbollah et les Hachd, s'entendent pour noyer la Jordanie, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et d'autres pays arabes sous des tonnes de stupéfiants. Ce que le monde ne reconnaît pas, c'est qu'il ne s'agit pas d'activités éparses et diverses, mais d'une stratégie plus étendue que mènent l'Iran et ses mandataires pour contrôler la région et plonger les États rivaux dans le chaos civil.

Les États arabes ont donc l'obligation de riposter par une stratégie globale et ambitieuse au plus haut niveau pour contrecarrer cette menace qui pèse sur toute la région. Ils doivent faire respecter les résultats des élections qui ont eu lieu en Irak et au Liban et permettre aux institutions gouvernementales d'étendre leurs pouvoirs sur l'ensemble de ces pays. Ainsi, les factions paramilitaires incontrôlables ne parviendront pas à exploiter le vide existant. Le gouvernement irakien ne doit ménager aucun effort pour mettre un terme aux lavages de cerveau culturels, sociaux et idéologiques entrepris par ces forces paramilitaires.

Une nation ne peut être véritablement souveraine que si elle détient l'usage de la force sur l'ensemble de son territoire. Lorsque le Hezbollah dispose des moyens de précipiter le Liban dans une guerre avec Israël, ou que les Hachd contrôlent des pans entiers de l'économie irakienne, il y a peu d'espoir que ces États survivent en tant que nations cohérentes.

Les très vives tensions qui opposent la mosaïque complexe d'ethnies et de sectes qui peuplent la ville de Ninive à l’échelle locale se répercutent dans tout l'Irak: là, Téhéran dresse les factions sunnites, kurdes et chiites les unes contre les autres.

L'Iran ne se soucie guère du fait que la division sociale en Irak et la fragilisation de ses institutions démocratiques finissent par faire basculer le pays dans une guerre civile et l'effondrement du système.

Il est même possible que Téhéran mise sur cette issue fatale; l’Iran estime probablement qu'il pourrait exploiter ce chaos pour aider ses mandataires à effacer définitivement l'identité arabe de ces États sinistrés et à établir sa suprématie sur les décombres.

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com