Le Premier ministre irakien Mustafa al-Kadhimi est confronté à une réalité pressante qui risque de plonger le pays dans une nouvelle montée de fièvre sectaire. Il a besoin de volonté politique et de moyens pour isoler et neutraliser des dizaines de milices pro-iraniennes rebelles.
Deux événements qui ont eu lieu samedi ont révélé les capacités restreintes du gouvernement fédéral et de ses forces de sécurité et militaires à affronter les défis qui attendent l’Irak.
Le premier a été l'incendie à Bagdad du siège central du Parti démocratique du Kurdistan par des loyalistes des Unités de mobilisation populaire (UMP). Le second a été l'horrible exécution d'au moins huit personnes dans la province de Salahuddin, apparemment par une milice pro-iranienne. Quatre autres victimes sont portées disparues. Les enlèvements et les exécutions à Salahuddin auraient eu lieu en représailles au meurtre, quelques jours plus tôt, d'un membre d'une milice pro-iranienne, dans une attaque imputée à Daech.
Ce massacre a attiré l'attention sur la présence de milices pro-iraniennes dans les provinces sunnites libérées, et sur leur refus de permettre à des dizaines de milliers de personnes déplacées - pour la plupart sunnites - de rentrer chez elles. Cette affaire souligne les limites de la marge de manœuvre du gouvernement fédéral de Bagdad, qui ne peut exercer son autorité sur un certain nombre de provinces dans lesquelles les UMP sont entrées pour les débarrasser des terroristes de Daech, entre 2014 et 2017.
Depuis leur formation en 2014 pour aider l'armée irakienne à combattre Daech, certaines de ces milices ont été intégrées au sein des forces de sécurité de l'État, tandis que d'autres continuent à fonctionner hors de tout contrôle gouvernemental. Certaines de ces milices, parmi la quarantaine qui sont actives en Irak, ont été accusées d'avoir commis des atrocités contre les sunnites dans les provinces libérées. La plupart font allégeance au Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) iranien. Elles étaient dirigées par le général iranien Qassem Soleimani jusqu'à son assassinat en janvier lors d'une frappe aérienne américaine.
Des milices pro-iraniennes hors de tout contrôle
Le massacre de Salahuddin a incité al-Kadhimi à se rendre dans la province pour tenter de calmer les chefs tribaux en colère. « Le terrorisme et tous les actes criminels seront poursuivis conformément à la loi », a-t-il déclaré. Il faudra cependant voir si ses forces de sécurité seront en mesure d’éliminer les miliciens affiliés à Asa’ib Ahl Al-Haq, l’un des groupes actuellement les plus durs sur le terrain, qui a des liens directs et étroits avec l’Iran.
Asa’ib Ahl Al-Haq et Kata’ib Hezbollah sont en grande partie responsables de la déstabilisation de l’Irak, en particulier après le meurtre de Soleimani. Les deux groupes ont été accusés d'avoir ciblé la « zone verte » à Bagdad avec des roquettes katiousha visant l'ambassade américaine. Le gouvernement a été si inefficace dans la protection des sièges diplomatiques et gouvernementaux que le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a menacé le mois dernier de fermer l'ambassade américaine si les attaques ne cessaient pas.
Ces deux groupes militants ont suspendu leurs attaques pour le moment. Mais poussés par l'Iran, ils continuent à constituer une menace pour la présence américaine alors que Washington augmente sa pression diplomatique et économique sur Téhéran.
L'attaque contre le siège du Parti démocratique du Kurdistan à Bagdad se serait produite après que l'ancien ministre des Affaires étrangères Hoshyar Zebari ait demandé à al-Kadhimi de purger l'Irak des Unités de mobilisation populaire. Les observateurs estiment toutefois que sa vraie motivation serait en réalité l’accord conclu il y a deux semaines entre le gouvernement fédéral et l’autorité d’Irbil pour gérer en commun le district de Sinjar, mettant ainsi fin à la présence des milices et permettant à des milliers de réfugiés, principalement Yézidis, de rentrer chez eux.
Les milices pro-iraniennes sont en effet présentes au Sinjar depuis 2015, et interdisent aux résidents déplacés de revenir dans la région, qu’ils utilisent comme une porte d'entrée vers la Syrie.
Le démantèlement des milices s'avère être une mission impossible pour le gouvernement de Bagdad. Le mois dernier, la plus haute autorité religieuse d’Irak, l’ayatollah Ali al-Sistani, a appelé au démantèlement de toutes les milices, six ans après avoir exhorté ses partisans à les former en réponse à la menace de Daech. Mais, tout comme son homonyme au Liban, Kata’ib Hezbollah est devenu un État au sein de l’État, avec son programme aligné sur celui de Téhéran.
Le défi pour al-Kadhimi est aujourd’hui le manque de confiance qui règne entre ses propres hauts responsables. Au fil des ans, et en particulier sous le gouvernement de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, des militants pro-iraniens ont été autorisés à s’infiltrer dans l'armée et au sein des forces de sécurité, tout en détenant en outre des ministères clés du gouvernement. Al-Kadhimi a peut-être la volonté politique d’éliminer du gouvernement les loyalistes iraniens, mais a-t-il les moyens de le faire?
Le démantèlement des milices s'avère être une mission impossible pour le gouvernement de Bagdad.
Tout affrontement futur entre les forces gouvernementales et les milices sera sanglant, confus et imprévisible. Echouer à extraire les milices des provinces sunnites attiserait les flammes de la violence sectaire. L'ironie est qu'une majorité d'Irakiens, même dans les provinces chiites, en ont assez de l'ingérence iranienne. La corruption généralisée et l'exploitation abusive des ressources de l'État peuvent être imputées aux politiciens et militants pro-iraniens.
Alors qu'al-Kadhimi réfléchit à ses options, les États-Unis se trouvent également dans une position peu enviable. D'une part, le président Donald Trump veut mettre fin à la coûteuse aventure militaire de Washington en Irak, mais par ailleurs, ne veut pas abandonner le pays aux Iraniens. Cela résume l’impasse dans laquelle se trouve l’Irak aujourd’hui, car en définitive, ces milices ne sont que des bombes à retardement qui menacent de détruire ce qui reste encore de l’État irakien.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
Twitter : @plato010
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com