Face aux actes iraniens de piraterie et d'enlèvement, Washington prône la diplomatie

L'Iran a récemment publié des photos de sa base souterraine de drones, ce qui apparaît comme une démonstration de force. (Source: AFP)
L'Iran a récemment publié des photos de sa base souterraine de drones, ce qui apparaît comme une démonstration de force. (Source: AFP)
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Publié le Jeudi 02 juin 2022

Face aux actes iraniens de piraterie et d'enlèvement, Washington prône la diplomatie

Face aux actes iraniens de piraterie et d'enlèvement, Washington prône la diplomatie
  • Téhéran a menacé la Grèce de recourir à des «mesures punitives» pour le rôle qu’elle a joué dans la confiscation d'une cargaison de pétrole iranien transporté en contrebande
  • Aussi étonnant que cela puisse paraître, les États-Unis n'ont pas prévu de plan B. M. Malley s'obstine à affirmer que «la seule option est la diplomatie»

Téhéran a menacé la Grèce de recourir à des «mesures punitives» pour le rôle qu’elle a joué dans la confiscation d'une cargaison de pétrole iranien transporté en contrebande. Quelques minutes plus tard, les forces du Corps des gardiens de la révolution islamique ont saisi deux pétroliers battant pavillon grec dans le golfe Arabique. 

Les actes de piraterie flagrants survenus la semaine dernière n'ont suscité que des «préoccupations» timides et des appels au calme de la part des gouvernements occidentaux. Ces agissements correspondent pourtant au comportement habituel de l'Iran. En effet, en 2019, un navire qui transportait clandestinement du pétrole pour le compte du régime d'Al-Assad en Syrie a été saisi à Gibraltar, et l'Iran a riposté de manière agressive: il s'est emparé d'un pétrolier britannique, ce qui a donné lieu à des négociations embarrassantes à l’issue desquelles le navire iranien a été autorisé à poursuivre son voyage. 

Le régime des ayatollahs mène des attaques systématiques contre les navires du Golfe. Il lance des frappes de drones et de missiles contre les infrastructures pétrolières et les objectifs civils dans la région. Pourtant, le monde se contente de hausser les épaules. 

L'Iran n'hésite pas à kidnapper des étrangers et des individus qui possèdent la double nationalité pour s’en servir comme une monnaie d'échange lucrative. Parmi ces personnes figure Nazanin Zaghari-Ratcliffe, détenue depuis 2016 pour des motifs fallacieux et libérée au mois de mars dernier. Pendant tout ce temps, Nazanin a subi des traitements inhumains qui se sont prolongés même après sa libération; les Gardiens de la révolution, de manière sadique, l'ont forcée à signer des aveux dérisoires avant de l’autoriser à retourner au Royaume-Uni. 

Entre-temps, il est compréhensible que vous vous demandiez où en est la relance de l'accord nucléaire avec l'Iran. Robert Malley, l'envoyé du président Joe Biden, l'a clairement indiqué la semaine dernière: la reprise de cet accord piétine. 

Au terme d'une année de négociations sinueuses à Vienne, M. Malley s'est dit «peu optimiste» quant à un éventuel accord. Pendant ce temps, l'Iran a continué à placer des équipements perfectionnés sur ses sites nucléaires et à enrichir de l'uranium à des niveaux de pureté record. 

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les États-Unis n'ont pas prévu de plan B. M. Malley s'obstine à affirmer que «la seule option est la diplomatie». Au mois de février dernier, l'administration Biden a affirmé que les avancées nucléaires réalisées par l'Iran empêcheraient tout retour au plan de 2015 si un accord n’est pas conclu «dans les prochaines semaines». Près de quatre mois se sont pourtant écoulés depuis, et la diplomatie n’avance qu’au rythme des vœux pieux et des dérives stratégiques. 

La médiocrité de la stratégie des pays occidentaux a conféré aux ayatollahs un sentiment d'impunité absolue qui leur permet de commettre de flagrantes violations du droit international. 

Baria Alamuddin

Israël s'engouffre désormais dans le vide creusé par les échecs des Américains en matière de stratégie. Le ministère iranien de la Défense a ainsi signalé un «accident» survenu la semaine dernière à Partchine dans une unité de recherche ultrasecrète. Cet accident semble avoir été causé par des drones suicide israéliens. Israël est également responsable du meurtre du membre des Gardiens de la révolution qui se chargeait des assassinats à l'étranger. Ce dernier a été abattu en plein jour dans le centre de Téhéran. Le chef des Gardiens de la révolution, Hossein Salami, a promis de se venger. «Nous répondrons à toutes les actions malveillantes de l'ennemi», a-t-il averti. 

Les agressions perpétrées par Israël servent de prétexte aux ayatollahs pour accélérer le développement de leurs programmes militaires. Le sabotage d'équipements nucléaires qui appartiennent à l’Iran a offert à ce dernier une occasion de dépenser des millions de dollars pour les remplacer par des systèmes plus performants et plus rapides; cette situation a fait accélérer la progression de l'Iran vers l'heure H en matière d'énergie nucléaire. 

Cependant, les «stratèges» américains ont-ils songé au scénario dans lequel un Iran nucléarisé, armé jusqu'aux dents de missiles balistiques, s'engagerait dans une politique agressive de la corde raide? Que se passera-t-il si les mandataires de l'Iran renversent un gouvernement régional et si l'Iran pointe ses armes nucléaires vers Israël et défie le monde d'intervenir? Que se passera-t-il si Téhéran envahit le Bahreïn, l'Azerbaïdjan ou le Koweït? Ou encore si les mandataires de l'Iran entreprennent des opérations de nettoyage sectaire, voire des génocides, contre les sunnites, les chrétiens et les minorités? 

Doté d'armes nucléaires, l'Iran agirait selon son gré. Il reproduirait une version plus poussée du schéma mafieux qu'il applique déjà: davantage d'enlèvements, d'attaques, d’opérations de piraterie, de menaces et de perturbations de la gouvernance des pays de la région. 

Si l'accord sur le nucléaire est compromis, Téhéran se montrera encore plus hostile. Le Liban et l'Irak, où les mandataires de Téhéran refusent de reconnaître leur défaite aux élections, méritent toute notre attention. En effet, cela fait sept mois que l'Irak peine à former un gouvernement. Cette situation risque de perdurer aussi longtemps que les factions soutenues par l'Iran n'auront pas obtenu de siège au gouvernement. Le Liban connaîtra probablement le même sort. Les factions financées par l'Iran n'hésitent pas à faire usage de violence pour préserver leurs énormes pouvoirs politiques, militaires et économiques. 

M. Malley l’a reconnu: outre ses efforts pour atteindre la suprématie nucléaire, l'Iran continue de financer des milices mandataires, poursuit son programme balistique et s'attaque aux intérêts de l'Occident. Le responsable américain a pourtant fait valoir qu'il était «beaucoup plus prudent de négocier» ces dossiers «alors que le programme nucléaire est maîtrisé». 

Mais à quoi devons-nous nous attendre si une percée diplomatique est vouée à l’échec? Mieux vaut ne pas conclure d'accord plutôt que de négocier un accord médiocre qui débloquerait des milliards de dollars iraniens sans permettre de freiner la course de Téhéran vers la bombe. Cependant, cette approche n'est valable que si les États-Unis appliquent une stratégie globale susceptible de contrer les intentions malveillantes de l'Iran; cela était déjà valable lorsque Donald Trump a déchiré l'accord de 2015. L'administration Trump n'était pas en mesure de le faire. Et l'administration Biden ne l'est pas davantage aujourd’hui. 

En attendant, les exportations de pétrole en provenance de Téhéran vers la Chine ont chuté de près d'un tiers, puisque Pékin profite de la guerre en Ukraine pour acheter du pétrole russe à des prix avantageux. De ce fait, l'Iran subira probablement une certaine forme de pression. Tous deux accablés par les sanctions, l'Iran et la Russie se rendent compte que le marché du pétrole à prix réduit qui provient d'États parias est restreint et que le fait de baisser les prix pour attirer les acheteurs peu scrupuleux réduit encore davantage les profits. 

L'Occident est appelé à établir les objectifs fondamentaux. Jamais l'Iran ne devra être autorisé à se doter d'armes nucléaires. Il ne faut pas lui permettre de proférer impunément des menaces à l'encontre d'États pacifiques. Il faut limiter la portée de son programme balistique ainsi que sa capacité à fournir des missiles aux terroristes et aux militants. En outre, Téhéran ne doit pas posséder d’armées paramilitaires transnationales. 

Lorsque j'ai demandé à M. Malley de quelle manière la première grande puissance du monde pourrait permettre à un État aussi médiocre que l'Iran de l'humilier, il a rétorqué d’un ton furieux: «Que souhaitez-vous que nous fassions? Partir en guerre?» 

«Si nécessaire», lui ai-je répondu. La diplomatie n'a aucune chance de porter ses fruits si les États-Unis ne se déclarent pas prêts à recourir à la force pour contrer des théocrates qui ne comprennent que le langage de la force. 

En effet, l'Amérique et ses alliés se sont réveillés de leur torpeur pour relever le défi de l'Ukraine et ils ont apporté une réponse ferme à l'agression menée par la Russie. De la même façon, il leur incombe de se mobiliser d'urgence contre la menace ambitieuse et diversifiée que représente l'Iran. 

La médiocrité de la stratégie des pays occidentaux a conféré aux ayatollahs un sentiment d'impunité absolue qui leur permet de commettre de flagrantes violations du droit international. Les politiques américaines, qui manquent de courage et de perspicacité, sont idéales pour favoriser la percée nucléaire de l'Iran. Elles rassurent par ailleurs Téhéran en lui indiquant qu'il ne subira aucune sanction lorsqu'il détournera des navires, enlèvera des étrangers et attaquera des États pacifiques. 

Si nous ne changeons pas radicalement notre stratégie, nous risquons de payer le tribut de cette complaisance vis-à-vis de théocrates détraqués et présomptueux. 

Baria Alamuddin est une journaliste plusieurs fois primée et une présentatrice qui travaille au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Rédactrice en chef du syndicat des services de médias, elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com