Théoriquement, l'Europe et les États-Unis se trouvent dans des camps opposés lorsqu'il s'agit de l'occupation israélienne de la Palestine. Si le gouvernement américain a pleinement accepté le tragique statu quo engendré par 53 ans d'occupation militaire israélienne, l'UE continue de préconiser une solution négociée fondée sur le respect du droit international.
En pratique, en revanche, le résultat demeure essentiellement le même, en dépit du clivage apparent entre Washington et Bruxelles. Les États-Unis et l'Europe sont les principaux partenaires commerciaux, fournisseurs d'armes et défenseurs politiques d'Israël.
En effet, l'une des raisons qui ont permis de maintenir si longtemps l'illusion d'une Europe impartiale n’est autre que la direction palestinienne. Abandonnée politiquement et financièrement par Washington, l'Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas s'est tournée vers l'UE comme son seul sauveur possible. « L'Europe croit en la solution des deux États », a déclaré le Premier ministre de l'AP, Mohammed Shtayyeh, lors d'une discussion vidéo avec la Commission des affaires étrangères du Parlement européen la semaine dernière.
En continuant à défendre la vieille solution des deux États, l'Europe est en mesure de combler le vide énorme créé par l'absence de Washington.
M. Shtayyeh a exhorté les dirigeants européens à « reconnaître l'État de Palestine afin que nous, et vous, brisions le statu quo ». Cependant, 139 pays ont déjà reconnu l'État de Palestine. Si cette reconnaissance est une indication claire que le monde reste fermement pro-palestinien, elle entraîne peu de changements concrets. Il est nécessaire de déployer un effort concerté pour tenir Israël responsable de ses actes d'occupation violents, ainsi que pour prendre des mesures concrètes afin de soutenir la lutte des Palestiniens. À cet égard, l'Union Européenne a non seulement échoué, mais elle fait en réalité le contraire : Financer Israël, équiper son armée et faire taire ses détracteurs.
A entendre M. Shtayyeh, on a l'impression que le plus haut responsable palestinien s'adressait à une conférence de pays arabes, musulmans ou socialistes. « Je demande à votre parlement et aux honorables pays membres que l'Europe n'attende pas que le président américain avance des idées... Nous avons besoin d'une tierce partie qui puisse vraiment réparer le déséquilibre dans la relation entre un peuple occupé et un pays occupant, en l'occurrence Israël », déclare-t-il.
Mais l'UE est-elle qualifiée pour être cette tierce partie ? Non. Depuis des décennies, les gouvernements européens font partie intégrale de l'alliance israélo-américaine. Même si l'administration américaine a récemment pris un tournant décisif en faveur d'Israël, il ne faut pas confondre le parti pris historique de l'Europe en faveur d'Israël avec la solidarité pro-palestinienne.
En juin, plus de mille parlementaires européens représentant divers partis politiques ont publié une déclaration dans laquelle ils exprimaient leurs « graves préoccupations » au sujet du plan de paix de Donald Trump et de la proposition d'annexion par Israël de près d'un tiers de la Cisjordanie. Le Parti démocrate américain, dont certains membres sont traditionnellement de fervents partisans d'Israël, a également critiqué le plan. En effet, dans l'esprit des membres du parti, l'annexion rendrait impossible la solution des deux États. Cependant, au moment où les démocrates ont clairement indiqué qu'une administration Joe Biden, s'il gagnait les élections du mois prochain, ne renverserait aucune des actions entreprises par Trump, les gouvernements européens ont également affirmé qu'ils ne prendraient aucune mesure pour dissuader Israël, et encore moins pour le punir de ses violations répétées du droit international.
Les Palestiniens ordinaires n'ont obtenu de l'Europe que de belles paroles. Si l'Union Européenne a fait don de grandes sommes d'argent, celles-ci ont été en grande partie empochées par les partisans d'Abbas au nom de la « construction de l'État » et d'autres fantasmes. Il est révélateur qu'une grande partie de l'infrastructure de l'État palestinien imaginaire qui a été subventionnée par l'Europe ces dernières années ait été détruite, démolie ou confisquée par l'armée israélienne au cours de ses diverses guerres et raids. Pourtant, l'UE n'a pas sanctionné Israël à la suite de ces événements et l'Autorité Palestinienne continue de demander davantage de fonds pour financer un État inexistant.
Outre le fait que l'UE n'a pas tenu Israël responsable de la poursuite de son occupation et des violations des droits de l'homme, elle finance également Tel-Aviv. Selon le site d’information Defense News, un quart des 7,2 milliards de dollars (6 milliards d’euros) d'exportations militaires d'Israël en 2019 ont été destinés à des pays européens. De plus, l'UE est le plus grand partenaire commercial d'Israël, et représente un tiers de son commerce total. Ce chiffre inclut le bloc qui importe des produits fabriqués dans les colonies israéliennes illégales.
Par ailleurs, l'UE s'efforce d'intégrer Israël dans le mode de vie européen par le biais de concours culturels et musicaux, de compétitions sportives et de toute une série d'autres moyens. Bien que l'UE dispose d'outils puissants qui peuvent être exploités pour exiger des concessions politiques et faire respecter le droit international, elle choisit de ne pas faire grand-chose.
Les Palestiniens ordinaires n'ont obtenu de l'Europe que de belles paroles.
À titre de comparaison, l'UE a lancé un ultimatum aux dirigeants palestiniens ce mois-ci, en conditionnant son aide aux relations financières de l'AP avec Israël. En mai, Abbas a pris la mesure extraordinaire de considérer tous les accords avec Israël et les États-Unis comme nuls et non avenus. Cela signifie effectivement que l'AP ne sera plus responsable du statu quo étouffant créé par les accords d'Oslo, qui ont été violés à plusieurs reprises par Tel-Aviv et Washington. Couper les liens avec Israël signifie également que l'AP refuse d'accepter près de 150 millions de dollars par mois de recettes fiscales que Tel-Aviv collecte en son nom (de la Palestine). Cette mesure prise par les Palestiniens, bien que tardive, était nécessaire. Au lieu de soutenir la décision d'Abbas, l'UE l'a critiquée, refusant de fournir une aide supplémentaire aux Palestiniens tant qu'il ne restaurerait pas les liens avec Israël et n'accepterait pas l'argent des impôts. Selon le site d’information Axios, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et même la Norvège étaient pourtant derrière cette initiative.
Continuer à brandir la solution irréalisable de deux États, tout en armant, finançant et faisant davantage d'affaires avec Israël, est la définition même de l'hypocrisie. En vérité, l'Europe devrait être tenue responsable, au même titre que les États-Unis, de soutenir et d'encourager l'occupation israélienne de la Palestine. Cependant, alors que Washington affiche ouvertement sa position en faveur d'Israël, l'UE a mené un jeu plus intelligent : Vendre aux Palestiniens des mots vides et vendre à Israël des armes mortelles.
Ramzy Baroud est journaliste et rédacteur en chef du Palestine Chronicle. Il est l'auteur de cinq livres, dont le dernier en date est ‘’Ces Chaînes Seront Brisées : Histoires Palestiniennes de Lutte et de défi dans les Prisons Israéliennes’’ (Clarity Press, Atlanta).
Twitter: @RamzyBaroud
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.
Ce texte est la traduction d’une tribune parue sur Arabnews.com