ANKARA: Une nouvelle enquête démontre que l’opinion publique turque est davantage orientée vers les organisations internationales telles que l’Otan, ce qui reflète une position positive sur la candidature du pays à l’Union européenne.
L’enquête, intitulée «Perceptions turques de l’Union européenne», a été menée par le German Marshall Fund of the United States. L’étude sur le terrain a été réalisée en mars par Infakto Research Workshop, basé à Istanbul, dans 29 provinces de Turquie, au moyen d’entretiens en face à face avec 2180 personnes.
L’enquête révèle que 48% des personnes interrogées ont exprimé leur confiance dans l’UE, contre 40% l’année dernière, alors que 39% ont fait part de leur soutien à l’Otan, contre 32% en 2021.
Candidate à l’adhésion à l’UE depuis vingt-trois ans et membre puissant de l’Otan, la Turquie, qui dépend de plus en plus de la Russie sur le plan économique et militaire, tente aujourd’hui de trouver sa place dans les architectures politiques et sécuritaires européennes en mutation.
La position ferme de l’Otan sur le conflit ukrainien a également fait pencher l’opinion publique en faveur de l’alliance, la considérant comme un pilier essentiel de la sécurité de la Turquie.
Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d’Ankara du German Marshall Fund, indique que la confiance relativement plus élevée de la jeune génération en Turquie dans les institutions internationales est le reflet de leur mécontentement vis-à-vis de la situation en Turquie.
Les défis économiques tels que l’inflation élevée, l’érosion des revenus réels et le chômage, la baisse de la qualité de l’éducation et l’environnement politique polarisé exaspèrent les jeunes qui se tournent de plus en plus vers l’étranger pour trouver une issue», explique-t-il à Arab News.
Le soutien à l’adhésion de la Turquie à l’UE est élevé (58%) et il l’est encore plus dans la catégorie des 18-24 ans (73%). Toutefois, la confiance dans le fait que la Turquie deviendra membre de l’UE reste faible, les attentes moyennes concernant le délai d’adhésion se situant entre dix et quinze ans.
«En termes de realpolitik, le conflit ukrainien et la crise des réfugiés syriens ont certainement attiré l’attention de nombreux décideurs politiques de l’UE sur l’importance géostratégique de la Turquie», souligne Paul T. Levin, directeur de l’Institut d’études turques de l’université de Stockholm.
«Cependant, cela se produit dans un contexte de profond mécontentement vis-à-vis de la politique étrangère du régime actuel et à son piètre bilan démocratique. Les deux parties sont en quelque sorte réunies par la géographie et les événements et s’efforcent de trouver des moyens de coexister et de collaborer malgré de sérieuses divergences de valeurs et un processus d’adhésion à l’UE défectueux qui met l’accent sur ces divergences.»
L’enquête révèle aussi des tendances concernant d’autres régions et acteurs mondiaux et a montré que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a obligé la Turquie à repenser sa relation avec la Russie et l’Occident.
Parmi les personnes interrogées, 38% souhaitent que la Turquie joue un rôle plus actif au Moyen-Orient, dans les Balkans et en Afrique du Nord, tandis que 59% préfèrent qu’Ankara s’occupe d’abord de ses problèmes intérieurs.
Un tiers des participants pensent que la Turquie devrait coopérer plus étroitement avec les pays de l’UE sur les questions internationales.
Galip Dalay, chercheur au Centre d’études appliquées sur la Turquie de l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité, explique à Arab News que le soutien accru de l’opinion publique à la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’UE et à l’Otan reflète la poursuite de la démocratisation dans le pays et une plus grande ouverture à l’échelle mondiale.
En ce qui concerne le conflit ukrainien, 44% des personnes interrogées estiment que la Turquie devrait servir de médiateur entre les parties, tandis que 40% jugent qu’Ankara devrait rester neutre.
«L’enquête montre clairement que l’opinion publique turque ne veut pas que son pays soit impliqué dans la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine. La politique du gouvernement turc consistant à rester en dehors du conflit et à tenter une médiation bénéficie d’un fort soutien public», selon M. Unluhisarcikli, du German Marshall Fund.
De plus, l’enquête révèle que 58% des personnes interrogées considèrent les États-Unis comme leur plus grande menace, suivis de la Russie (31%, contre 19% l’année dernière) et d’Israël (29%, contre 24% en 2021).
«L’invasion de l’Ukraine par la Russie a considérablement réduit le soutien à la coopération avec la Russie et augmenté les tendances unilatéralistes plutôt que d’augmenter le soutien à la coopération avec les États-Unis ou l’UE, parce que le sentiment pro-russe en Turquie a toujours été une autre manifestation de son opposition à l’Occident», ajoute M. Unluhisarcikli.
Interrogés sur la manière dont le conflit en Syrie devrait être résolu, 50% des participants considèrent que l’intégrité territoriale de la Syrie devrait être maintenue et le régime d’Assad remplacé. En revanche, 21% préfèrent que la Syrie revienne à son statut d’avant la guerre civile, sous la direction d’Assad, et 17% pensent que l’opposition syrienne devrait avoir son propre territoire.
«D’après l’enquête, environ la moitié de l’opinion publique turque pense qu’Assad devrait partir et que l’intégrité territoriale de la Syrie devrait être maintenue. Il s’agit également la politique officielle de la Turquie. Ceux qui soutiennent le retour au statu quo d’avant-guerre sous la direction d’Assad représentent moins de 25%», précise M. Unluhisarcikli.
«Je ne pense donc pas que l’opinion publique turque s’attende à un changement de la politique syrienne. Cependant, on constate une tendance croissante à attendre de la Turquie qu’elle résolve ses propres problèmes plutôt que de jouer un rôle actif dans le voisinage», poursuit-il.
Par ailleurs, 51% des personnes interrogées estiment que la Turquie et l’UE ont des intérêts contradictoires dans la guerre civile syrienne.
Avec les risques mondiaux croissants autour de la Turquie, qui est voisine de plusieurs zones de conflit, M. Dalay indique que le peuple turc sera enclin à adopter une attitude prudente pour minimiser les défis potentiels.
«En dépit de l’approche modérée de l’opinion publique turque à l’égard du conflit syrien, je ne m’attends pas à un processus de normalisation rapide avec le régime d’Assad, hormis quelques engagements bilatéraux au niveau du renseignement et de la sécurité», dit-il.
Pour M. Dalay, la baisse du soutien à la Russie et le renforcement de la confiance dans Bruxelles ne signifient pas que Washington a plus d’influence sur Ankara.
«La raison est simple, affirme-t-il. L’UE est considérée comme une affaire intérieure pour la Turquie, grâce à son rôle dans l’amélioration des normes démocratiques du pays. En revanche, la relation avec les États-Unis est souvent considérée comme une question de politique étrangère et de sécurité, les deux parties ayant connu de graves crises au cours des dernières années. Par conséquent, l’attitude prudente de la Turquie à l’égard de Washington est principalement liée aux conséquences des derniers coups diplomatiques.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com