De Paris à Beyrouth, l'extrémisme vise la victoire aux urnes

L’actuel président français et candidat centriste à la réélection, Emmanuel Macron, dimanche 10 avril 2022 à Paris (Photo, AP).
L’actuel président français et candidat centriste à la réélection, Emmanuel Macron, dimanche 10 avril 2022 à Paris (Photo, AP).
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Publié le Mardi 12 avril 2022

De Paris à Beyrouth, l'extrémisme vise la victoire aux urnes

De Paris à Beyrouth, l'extrémisme vise la victoire aux urnes
  • Le Rassemblement national de Mme Le Pen mène ses campagnes avec de l’argent emprunté à la Russie
  • Le désenchantement public est tel au Liban et en France que des proportions importantes de la société sont peu susceptibles de voter

Au lendemain de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, beaucoup pensaient qu’elle précipiterait l’effondrement du soutien à l’extrême droite alignée sur le Kremlin dans le monde occidental.
Cependant, malgré le soutien massif de l’Europe à l’Ukraine, deux des plus proches alliés européens de Vladimir Poutine ‒ la Hongrie et la Serbie ‒ ont remporté des victoires faciles lors des récentes élections. Compte tenu de l’emprise du président Viktor Orban sur les médias et les institutions hongroises, ce n’était pas un grand choc, mais cela pourrait indiquer que l’opposition de l’opinion publique européenne à l’invasion de la Russie est moins forte qu’on ne le pensait au départ. Cela pourrait susciter de nouveaux défis à mesure que l’impact des millions de réfugiés et de l’inflation alimentée par le conflit se font sentir. M. Orban a même décrit le président ukrainien Volodymyr Zelensky comme étant son «adversaire».
Le second tour de l’élection présidentielle française, qui opposera Emmanuel Macron à Marine Le Pen le 24 avril, risque d’être très serré. Pourquoi est-ce important? Parce que Mme Le Pen est le joli visage de l’extrême droite xénophobe, pro-Moscou, populiste et néofasciste.
M. Macron souffre d’une très faible cote de popularité dans un pays où les présidents se voient rarement accorder un second mandat. Il n’est pas sans défaut, mais il est exactement le dirigeant dont la France et l’Europe ont besoin en ce moment. Dans un continent qui manque cruellement de leaders visionnaires, Macron est un centriste qui croit en une position affirmée sur la scène mondiale. Il est l’un des rares dirigeants occidentaux qui continuent à dialoguer avec Poutine pour tenter de trouver une issue pragmatique en Ukraine, et l’un des rares à avoir cherché à s’engager dans le marasme du Liban.
Par ailleurs, le Rassemblement national de Mme Le Pen mène des campagnes politiques avec de l’argent emprunté à la Russie et ce n’est que depuis l’invasion de l’Ukraine qu’elle tente de prendre ses distances avec M. Poutine, alors qu’elle se vantait auparavant de leur proximité. Face à un Macron distrait, absent de la campagne jusqu’à la semaine dernière, Mme Le Pen sourit gentiment et aborde avec les électeurs leurs préoccupations concernant le coût de la vie, occultant son idéologie anti-immigrés, islamophobe, anti-UE et anti-Otan.
Une masse critique de dirigeants aussi perturbateurs que M. Orban et Mme Le Pen serait un désastre pour les efforts de l’UE visant à présenter un front uni face à Poutine; ils pourraient soit chercher à quitter ou à démanteler le bloc, soit se faire expulser.
Au Liban, le Hezbollah continue de dominer un paysage électoral fragmenté, dans une situation où une pléthore de candidats de l’opposition se présentent les uns contre les autres et risquent donc de perdre face aux mêmes vieux visages corrompus. Parmi les plus de mille candidats, on compte plus de femmes et de jeunes que jamais auparavant. Il existe plus de cent listes électorales, dont un «conseil national pour mettre fin à l’occupation iranienne» composé de personnalités de la société civile chrétienne et musulmane.
L’enjeu est de taille, puisque le nouveau Parlement doit élire un successeur au président Michel Aoun. La plupart des Libanais souhaitent vivement que ce soit quelqu’un d’autre que Gebran Bassil. L’iftar organisé la semaine dernière par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en compagnie de deux personnalités aux ambitions présidentielles, Gebran Bassil et Sleiman Frangié, semble être une tentative de neutraliser les luttes intestines entre ces rivaux acharnés afin de maximiser les gains parlementaires, tout en garantissant le rôle de M. Nasrallah en tant que faiseur de rois chiite pour la présidence maronite chrétienne.
Jamais la situation n’a paru aussi sombre. Le vice-Premier ministre, Saadé al-Chami, a averti la semaine dernière que le Liban était en faillite et que les classes politiques vivaient dans le déni. La monnaie a perdu 90% de sa valeur et la dette nationale a explosé pour atteindre 100 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro), soit plus du double du PIB.
Les pertes du secteur bancaire sont estimées à plus de 70 milliards de dollars. Les élections pourraient même être reportées pour plusieurs raisons, notamment parce que la compagnie nationale d’électricité ne peut pas garantir une alimentation ininterrompue des centres de vote et de dépouillement.

La victoire de Mme Le Pen serait une catastrophe pour l’unité européenne à ce moment critique de l’histoire

Baria Alamuddin


La majorité des Libanais se considèrent comme étant victimes de facteurs régionaux et mondiaux. Téhéran entrave le progrès tant que les négociations nucléaires restent dans l’impasse, l’Iran et ses alliés attaquent des cibles occidentales et du Golfe, et les finances nationales sont secouées par la flambée des prix des denrées alimentaires liée au conflit ukrainien.
La plupart de ces défis pourraient être surmontés si les citoyens s’unissaient pour faire en sorte que le Hezbollah et ses alliés perdent le vote de manière décisive, bien que l’expérience irakienne démontre que même lorsque les alliés de Téhéran sont battus à plates coutures lors des élections, il n’est pas facile de les forcer à renoncer à leur influence politique.
Le problème dans ces États arabes qui se disent démocratiques, ainsi que dans une grande partie de l’Europe et aussi en Russie, c’est qu’une masse critique de citoyens se plie aux exigences de politiciens populistes corrompus qui jouent sur leurs peurs et préjugés de base, tout en les submergeant dans un déluge de mensonges et de propagande et en pillant des milliards de dollars de la richesse des citoyens. En France, berceau de la civilisation sophistiquée, il n’est pas improbable que la moitié des électeurs apportent leur soutien à une personne largement considérée comme néofasciste, tandis qu’en Russie, une majorité convaincante de citoyens semble soutenir une guerre illégale et menée de manière incompétente.
Même les guerres culturelles menées par le Hezbollah et l’extrême droite occidentale pour galvaniser le soutien populaire contre les soi-disant «valeurs libérales» sont remarquablement similaires. Le Hezbollah a également joué la carte de la religion sectaire de manière plus agressive qu’auparavant, suscitant des craintes de conflit dans le cadre du statu quo précaire du Liban.
Tous les Libanais se porteront beaucoup mieux si le Hezbollah est éliminé électoralement, mais il est presque certain que le Hezbollah et ses acolytes gagneront suffisamment de voix pour obtenir leur «tiers de blocage» talismanique et la capacité de paralyser et de saboter le système politique.
Le désenchantement public est tel au Liban et en France que des proportions importantes de la société sont peu susceptibles de voter, donnant ainsi l’avantage aux extrémistes. De nombreux Libanais n’ont même pas les moyens de faire le plein pour se rendre dans les bureaux de vote.
La victoire de Mme Le Pen serait une catastrophe pour l’unité européenne à ce moment critique de l’histoire, et le Liban ne peut pas survivre à quatre années supplémentaires du consensus raté dominé par le Hezbollah. Les conséquences seraient un nouvel exode massif de citoyens, le refus du Fonds monétaire international d’empêcher un nouvel effondrement économique, et probablement un conflit civil qui pourrait dégénérer en une guerre régionalisée.
Ces deux élections ne sont rien d’autre qu’une guerre entre le bien et le mal, entre des personnalités compétentes et consciencieuses qui croient en une gouvernance démocratique et responsable, et des extrémistes enragés qui cherchent à replonger le monde dans l’âge sombre culturel et politique.
Les électeurs doivent comprendre ce qui est en jeu avant qu’il ne soit trop tard.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État. Son nouveau livre, Militia State: The Rise of Al-Hashd Al-Shaabi and the Eclipse of the Iraqi Nation State, est paru aux éditions Nomad Publishing.

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com