Les élections sont un contrat entre le peuple d'une nation et les classes dirigeantes. Le peuple a son mot à dire et donne mandat pour gouverner à ceux qu'il choisit. Cependant, dans certains États, ce contrat social fondamental a été rompu de façon irréparable.
Lors des élections d'octobre 2021, le peuple irakien a clairement affirmé qu’il ne voulait PAS que certains partis le représentent. La coalition paramilitaire soutenue par l'Iran et affiliée à Al-Hashd al-Shaabi est passée du nombre déjà restreint de 48 sièges sur 329 à seulement 17.
Dans tout autre système parlementaire, cela représenterait un rejet conduisant à une quasi-extinction. Cependant, en Irak, ces factions du Hashd – qui, selon la Constitution, devraient être interdites de faire de la politique en raison de leurs affiliations paramilitaires – ont plutôt harcelé et fait pression sur l'ensemble du système politique, au point de le paralyser, tenant l'Irak en otage jusqu'à ce que les leviers du pouvoir leur soient remis.
En conséquence, le Parlement a échoué pour la troisième fois à élire un président, six mois après les élections, en grande partie parce que des intérêts particuliers ont fait pression sur suffisamment de factions et de députés indépendants pour boycotter les sessions et tout bloquer. Les alliés iraniens du Hashd ont menacé, soudoyé et fait chanter des politiciens en coulisses. Les utilisateurs irakiens des réseaux sociaux se sont moqués des députés lâches qui ont simulé une maladie pour ne pas se rendre au Parlement, dans un sabotage délibéré du processus politique.
L'ancien Premier ministre, Nouri al-Maliki, probablement l'homme le plus détesté d'Irak, a profité de cette impasse pour demander à ce que sa faction prenne part à tout futur gouvernement de «consensus», bien que le chef de la plus grande faction, Moqtada al-Sadr, ait insisté sur l'exclusion de Maliki en raison des nombreuses catastrophes qu'il a infligées à l'Irak, à la demande de l'Iran et des militants sectaires.
Sadr a affirmé aux dirigeants de Maliki et du Hashd: «Je ne parviendrai pas à un consensus avec vous. Ce consensus signifie la fin du pays… Ce que vous décrivez comme une impasse politique vaut mieux que trouver un compromis et partager le gâteau avec vous». Néanmoins, le résultat est susceptible de constituer une impasse indéfinie.
Les factions du Hashd et du Hezbollah se vantent sans cesse de leur «résistance» à l'occupation israélienne des terres palestiniennes, alors qu'elles-mêmes facilitent une occupation iranienne de l'Irak, du Liban, de la Syrie et du Yémen tout aussi pernicieuse et destructrice. Comme en Irak, au Liban, le système politique a été bloqué à plusieurs reprises jusqu'à ce que le Hezbollah et ses alliés arrivent à leurs fins.
À un peu plus d'un mois des élections législatives libanaises, cela me fait de la peine de dire que le Hezbollah reste le parti électoral le mieux organisé sur le terrain, profitant des récentes agitations politiques pour attirer les vainqueurs probables dans son camp. Structurellement, le Hezbollah ne peut remporter qu'une minorité de sièges; il s'agit donc globalement de savoir pour lui comment exploiter son influence politique pour contrecarrer la volonté populaire en ayant recours au «tiers de blocage» et à des accords louches en coulisses.
Le Hezbollah puise également dans ses immenses réserves financières pour soudoyer les électeurs avec de la nourriture, de l'argent et des aides sociales, ainsi que de vagues promesses d'électricité et de carburant bon marché en provenance d'Iran, qui, si jamais elles se matérialisaient, coûteraient probablement au Liban bien plus que de l'argent.
La situation est très incertaine dans les zones sunnites après le retrait de Saad Hariri, mais aussi dans les circonscriptions chrétiennes, car l'effondrement du soutien au parti du Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun et de son gendre Gebran Bassil en raison de leur alliance avec le «Hizb-al-Shaitan» offre des opportunités à d'autres factions et figures connues. On a également constaté une augmentation appréciable du nombre de candidatures féminines.
«Les factions du Hashd et du Hezbollah se vantent sans cesse de leur «résistance» à l'occupation israélienne des terres palestiniennes, alors qu'elles-mêmes facilitent une occupation iranienne de l'Irak, du Liban, de la Syrie et du Yémen tout aussi pernicieuse et destructrice»
Baria Alamuddin
Comble de l’ironie, Michel Aoun a rassuré les électeurs, leur promettant qu'il resterait président jusqu'à ce qu'il ait extirpé tous les fonctionnaires corrompus du pouvoir. Hourra! Cependant, sa liste de politiciens «sales» doit être extrêmement longue, et il est probable qu'il sauve des parents proches et des alliés jusqu'à la fin de son mandat.
Le Liban que nous connaissons et aimons est en train de mourir debout, alors que les plus brillants et les meilleurs partent en masse, fuyant la faim, la pauvreté et le chômage. Il y a un désir de changement et nous devons utiliser les élections comme un outil crucial à cette fin.
Au Liban et en Irak, les alliés de l'Iran gagnent encore du terrain parce qu'un nombre important de députés, pour leur propre intérêt personnel corrompu, sont prêts à brader leur nation et leurs compatriotes. Et cela n'est possible que parce qu’il existe un nombre substantiel de citoyens qui votent naïvement ou négligemment pour de tels traîtres.
Dans l'état actuel des choses, ces systèmes politiques sont devenus complètement corrompus et sont à peine récupérables sans une action radicale. Les citoyens doivent se demander s'ils se contentent d'être une colonie pour un autre État occupant, ou s'ils désirent être libres, indépendants et souverains. Comme le soulignait récemment le journaliste Ali Hamadeh, «il n'y a pas de réforme sans souveraineté, et pas de souveraineté sans réforme».
Sir William Patey, ambassadeur britannique à Bagdad en 2005-2006, a déclaré la semaine dernière avoir averti le gouvernement britannique que l'Irak «se dirigeait vers la guerre civile à moins que nous ne traitions avec les milices», en particulier après qu’il fut permis à Maliki de «dépouiller l'armée irakienne». Il s'exprimait lors d'un événement pour le lancement de mon nouveau livre sur les factions paramilitaires irakiennes, Militia State, qui soutient que la présence de ces entités est contraire à l'existence de tout type de système démocratique ou représentatif. Malheureusement, les conseils de Sir William sont restés lettre morte et ces milices ont été autorisées à consolider leur position, au point de devenir plus fortes que l'État.
Tout comme des factions par essence rivales se sont réunies dans le cadre de l'Alliance du 14-Mars pour faire face à la domination syrienne et iranienne, il faut de nouvelles alliances ayant de larges assises qui peuvent diverger largement dans leurs politiques mais restent unies dans leur rejet absolu de la domination iranienne sur leurs systèmes politiques.
Comme je le soutiens dans mon livre, lorsqu'une petite minorité rejetée par la population agissant dans l'intérêt d'un État étranger hostile est autorisée à plusieurs reprises à dominer les gouvernements, il n’y a plus de démocratie. Lorsque les paramilitaires utilisent la violence pour forcer la main du gouvernement et assassinent des rivaux, des militants et des journalistes, il n’y a plus de démocratie. Et lorsque les gouvernements peuvent être pris en otage pendant des mois jusqu'à ce que des éléments discrédités obtiennent des positions supérieures, cette farce n'a absolument rien à voir avec la démocratie.
Dans ces États, y compris l'Iran lui-même, les aspirations du peuple continueront d'être contrecarrées jusqu'à ce que les citoyens exercent avec fermeté leurs droits démocratiques et descendent en masse dans les rues pour chasser ces criminels des couloirs du pouvoir une fois pour toutes.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État. Son nouveau livre, «Militia State - The Rise of Al-Hashd Al-Shaabi and the Eclipse of the Iraqi Nation State», a été édité par Nomad Publishing.
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com