Après Erbil, plus question d'apaiser les États agresseurs comme l'Iran

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Téhéran se sent soudain libre de lancer ses propres attaques (Photo, AN).
Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Téhéran se sent soudain libre de lancer ses propres attaques (Photo, AN).
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Publié le Mardi 15 mars 2022

Après Erbil, plus question d'apaiser les États agresseurs comme l'Iran

Après Erbil, plus question d'apaiser les États agresseurs comme l'Iran
  • Pas moins de 12 missiles balistiques ont été lancés dimanche contre des sites proches du consulat américain à Erbil
  • Le fait qu'une attaque d'une telle ampleur ait été lancée depuis l'Iran témoigne d'un nouveau degré d'audace

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Téhéran se sent soudain libre de lancer ses propres attaques contre les États-Unis, les adversaires de l'Iran en Irak et peut-être Israël. Pas moins de 12 missiles balistiques ont été lancés dimanche contre des sites proches du consulat américain à Erbil.
Habituellement, Téhéran organise de telles provocations par l'intermédiaire de ses mandataires afin de rendre son déni plausible. Le fait qu'une attaque d'une telle ampleur ait été lancée depuis l'Iran témoigne d'un nouveau degré d'audace.
Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a déclaré que cette agression contre Erbil était une atteinte à la sécurité nationale irakienne, et le président Barham Saleh l'a dénoncée comme un « crime terroriste » destiné à saper leur récent rapprochement politique. « Nous devons nous opposer fermement aux tentatives de plonger le pays dans le chaos », a affirmé Saleh.
L'ambassadeur américain en Irak a exigé que l'Iran « soit tenu pour responsable », mais d'autres, dont le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ont semblé vouloir minimiser l'attaque et ont vaguement évoqué la consultation des alliés. C'est précisément cet apaisement et cette inaction de l'Occident qui ont permis aux problèmes posés par l'Iran, la Russie et la Corée du Nord de se transformer en menaces existentielles.
Moscou et Téhéran pensent que la communauté internationale n'est pas suffisamment résolue à les empêcher de mettre en péril la souveraineté d'États plus faibles et de piétiner les principes du droit international. Puisque nous sommes collectivement incapables d'étouffer ces menaces stratégiques dans l'œuf, les dirigeants du monde discutent aujourd'hui avec inquiétude des circonstances dans lesquelles Vladimir Poutine pourrait effectivement utiliser des armes nucléaires ou chimiques.

« Dans la foulée de la tragédie ukrainienne, le monde occidental redécouvre que les valeurs qu'il chérit − la souveraineté, l'intégrité territoriale et les libertés civiles − ne peuvent survivre que si les États sont fermement prêts et déterminés à les protéger. »
Baria Alamuddin

Ces derniers jours, des diplomates informés ont fait savoir qu'un nouvel accord sur le nucléaire iranien était prêt à être signé. Cependant, la Russie a fait échouer ces plans en ajoutant de nouvelles exigences visant à augmenter la pression sur l'Occident. L'Iran tient absolument à ce que cet accord soit signé afin que les milliards de dollars de fonds gelés puissent être réaffectés à ses activités de guerre dans la région. Ces tirs de roquettes sur Erbil sont le signe que Téhéran refuse d'être ignoré, dans la seule langue que les ayatollahs comprennent vraiment.
Les principaux journaux iraniens ont critiqué les médias partisans de Khamenei pour leur ton excessivement pro-russe, faisant remarquer que Moscou n'a jamais eu à cœur les intérêts de l'Iran et qu'elle a participé aux frappes de missiles israéliennes contre des cibles iraniennes. Téhéran a souvent demandé le feu vert de son allié russe pour ses provocations militaires. En intensifiant les enjeux de cette manière apparemment non coordonnée avec l'attaque contre Erbil, Téhéran pourrait provoquer l'ire d'un dirigeant russe qui n'est manifestement pas de bonne humeur.
Il est révélateur que cette attaque ait été mise en scène en Irak, où les mandataires de Téhéran sont soumis à une forte pression après avoir essuyé une défaite cuisante aux élections d'octobre. Les alliés de l'Iran ont passé les six derniers mois à faire obstacle à la formation d'un gouvernement, mais l'Iran semble finalement voué à l'échec dans ses demandes de sièges dans un cabinet dont il n'a pas le droit de faire partie.
L'ancien chef de milice Moqtada al-Sadr, dont la faction a remporté le plus grand nombre de voix en octobre, s'est distingué en cherchant à écarter les rigides partisans sectaires de l'Iran et à tendre la main à un gouvernement d'unité, malgré les efforts ridiculement inefficaces du commandant de la force Al-Qods, Esmail Ghaani. L'attaque d'Erbil vise à perturber l'évolution de la situation et à faire comprendre que les mandataires de l'Iran ne se laisseront pas faire sans réagir.
Les Gardiens de la révolution iraniens ont déclaré que l'attaque était dirigée contre des cibles israéliennes à Erbil, en représailles à la mort récente de deux de leurs officiers dans une frappe aérienne à Damas. Pour Israël, qui a alors mis ses forces en état d'alerte, c'est un moment sensible. Moscou a fermé les yeux sur les centaines de tirs de roquettes israéliens sur des cibles alliées à l'Iran en Syrie. Tel Aviv craint toutefois que cela perdure, d'autant plus que le gouvernement israélien subit une pression intense de la part de ses citoyens − dont un grand nombre sont originaires d'Ukraine et de Russie − pour adopter une position plus ferme à l'égard de Poutine. Par conséquent, l'Iran pourrait avoir l'impression d'avoir une plus grande marge de manœuvre pour provoquer Israël, en particulier à un moment où l'explosion de violence entre Israël et l'Iran serait redoutable.

« Les théocrates terroristes de Téhéran ne l'ont pas encore compris, mais tout ce qu'ils défendent est contraire à ce nouveau consensus mondial émergent. »
Baria Alamuddin

Cela amène à se demander dans quel monde nous voulons vivre : un monde de nations souveraines qui respectent le droit des autres à l'existence, ou une jungle dans laquelle les forts dévorent les faibles.  Au lieu de répondre à cette attaque en se précipitant pour apaiser l'Iran et en faisant pression sur toutes les parties pour qu'elles signent l'accord nucléaire, nous devrions remettre en question les prémisses de cet accord − qui fait fi de l'énorme programme de missiles balistiques de l'Iran, ne tient pas compte de la prolifération des armées paramilitaires proches de l'Iran dans toute la région, et permet à Téhéran de reprendre l'enrichissement de l'uranium et d'autres activités nucléaires à double usage dans un délai relativement court.
Dans la foulée de la tragédie ukrainienne, le monde occidental redécouvre que les valeurs qu'il chérit − la souveraineté, l'intégrité territoriale et les libertés civiles − ne peuvent survivre que si les États sont fermement prêts et déterminés à les protéger. La crise ukrainienne montre en outre à quel point le monde est économiquement vulnérable aux menaces pesant sur la sécurité énergétique. Ces questions sont tout aussi pertinentes en Irak, pays producteur de pétrole, et dans la région du Golfe au sens large.
Les théocrates terroristes de Téhéran ne l'ont pas encore compris, mais tout ce qu'ils défendent est contraire à ce nouveau consensus mondial émergent. La réponse du président américain Joe Biden devrait indiquer que les règles du jeu ont fondamentalement changé et que ce que Téhéran pouvait faire il y a seulement quelques semaines ne peut plus être toléré.
Oui, le monde occidental est actuellement distrait par l’enfer qui fait rage en Europe de l'Est ; mais si les dirigeants occidentaux croient vraiment aux principes qu'ils affirment contre Poutine, ils doivent rapidement porter leur attention sur le cancer maléfique du régime des ayatollahs, qu'on a déjà laissé se disséminer dans une trop grande partie du Moyen-Orient.

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com