Le conflit syrien se poursuit, loin des gros titres. Les bombardements d'Idlib s'intensifient, alors que les tensions restent vives, notamment en raison de l'effondrement économique du pays. Le processus politique et diplomatique n’a pas bougé d’un iota, immobilisé dans le bourbier du laisser-aller international.
Dans ce contexte, l'envoyé spécial de l'ONU, Geir Pedersen, a commencé à sonder le terrain au mois de décembre dernier, en vue de relancer de nouvelles négociations, pas à pas. Au lieu de tenter une approche par le haut pour résoudre toute la crise, il a proposé une série d'étapes graduelles visant à calmer la situation. Un processus évolutif dans lequel une décision prise par l'une des parties correspond à une étape convenue par une autre. Cela sera-t-il efficace?
Les approches progressives ne sont pas nouvelles dans la résolution des conflits. Elles peuvent être valables. En améliorant la situation sur le terrain au niveau économique, et en instaurant un certain degré de confiance entre les parties en conflit, de nouvelles opportunités politiques et diplomatiques peuvent surgir.
Pour que cela fonctionne, il est primordial d'établir, dès le départ, quel en est l’objectif, et de s'assurer que toutes les parties se sentent impliquées dans l’accord. C'est bien d'avancer, mais dans quelle direction? À moins qu'il n'y ait un objectif clair, le processus pourrait aggraver la situation, enracinant des forces qui devraient être affaiblies et retirées du jeu. C'est là un échec évident des accords d'Oslo, qui prévoyaient un processus transitoire de redéploiement israélien dans les Territoires occupés, mais sans aucun objectif final de fin de l'occupation israélienne ou de création d’un État palestinien viable. Au final, Israël a pu manipuler l’objectif initial des accords pour rendre l'occupation encore plus facile et moins chère à gérer, en retirant ses forces des villes palestiniennes et les entourant de points de contrôle et d'autres entraves.
El Syrie, la plupart des acteurs internationaux ont arrêté d’appeler au départ du régime du président Assad. Leurs actions se sont résumées à des mots, du moins sur papier, avec le vote de la résolution 2254 du Conseil de sécurité, qui envisageait «un processus politique dirigé par la Syrie», sous l’égide de l'ONU. Un processus qui prévoyait d’établir «une gouvernance crédible, inclusive et non sectaire» dans le cadre d'une nouvelle Constitution conduisant à «des élections libres et équitables administrées sous la supervision des Nations unies, en vertu des normes internationales les plus élevées de transparence et de responsabilité, avec tous les Syriens, notamment les membres de la diaspora, susceptibles d’y participer».
L’élément clé de la résolution 2254 est que la Russie l'a votée et que le régime syrien l'a acceptée à contrecœur. Mais elle a été adoptée il y a six ans et ne semble pas du tout réaliste aujourd’hui. Au mieux, Bachar al-Assad pourrait faire semblant d'accepter cette résolution comme un objectif final, mais avec la ferme intention de faire dérailler le processus avant qu'il ne se rapproche d'un résultat démocratique.
L'opposition syrienne à l’étranger condamne toute démarche «étapes par étapes». Et les principaux acteurs de cette opposition, en particulier la communauté des donateurs, ont depuis longtemps abandonné ces groupes, qui n'ont que peu ou pas d'influence sur le terrain. La réalité est qu’il y aura essentiellement une négociation entre les principaux donateurs et le régime syrien, ainsi que les parties qui l’appuient.
«La réalité est qu’il y aura essentiellement une négociation entre les principaux donateurs et le régime syrien, ainsi que les parties qui l’appuient»
Chris Doyle
La Syrie a cruellement besoin des fonds des donateurs de la communauté internationale. Son économie a été saccagée par la guerre, la corruption, ainsi qu’une combinaison de sanctions américaines et européennes. Le régime syrien ne peut pas subvenir aux besoins de ses citoyens, notamment les services de base et les denrées alimentaires comme le pain. La Russie n'a pas les fonds pour reconstruire la Syrie, et encourage donc le régime à trouver un compromis avec les donateurs. Moscou veut que les puissances donatrices fournissent le soutien à une reprise rapide, tout en sachant que des programmes de reconstruction plus importants ne sont pas envisagés.
Actuellement, les donateurs se concentrent presque uniquement sur l’aide humanitaire. En clair, la distribution des colis alimentaires est assurée alors que la reconstruction des écoles ne l’est pas. La vision à court terme à ce niveau est flagrante. Il n'est pas dans l'intérêt des donateurs que le système éducatif syrien échoue, mais ils ne feront rien si un projet implique le ministère syrien de l'Éducation. Ils peuvent fournir une aide alimentaire, mais aideront-ils à reconstruire des canaux d'irrigation, par exemple, qui permettraient aux agriculteurs de faire pousser des cultures? Une fois de plus, la communauté internationale refuse de financer des projets où il existe une implication officielle de l'État syrien. Aider les petites entreprises contribuerait pourtant à la croissance de l'économie et à la création d'emplois, sans trop profiter aux proches du régime.
Pire encore, les choix des donateurs renforcent en pratique le régime syrien de diverses manières. Le régime insiste sur le fait que toutes les transactions se fassent en monnaie locale au taux officiel de la livre syrienne, qui est bien inférieur au taux du marché noir. Un rapport publié en 2021 a démontré qu’un tel système ferait que deux tiers des fonds d’aide humanitaire seraient engloutis par les écarts de taux de change, et que le régime y aurait tiré un profit d'environ 100 millions de dollars (environ 88,2 millions d’euros). L'aide internationale est désormais la principale source de devises fortes du régime.
Celle-ci est en outre largement incontrôlée. Personne ne fait de suivi et d'évaluation de l'aide alimentaire. Les colis sont distribués. Qui vérifie qui en sont les bénéficiaires et quelles entreprises sont impliquées dans les transactions des marchés? Les proches du régime bénéficient du système, les zones loyalistes recevant la plus grande part de l'aide. Dans le cas de projets de redressement rapide, le suivi et l'évaluation sont en revanche généralement intégrés.
Pour effectuer un suivi et une évaluation indépendants, les agences ont besoin d'un accès régulier officiel aux régions dans lesquelles ils distribuent l’aide humanitaire. Les autorités syriennes sont actuellement en mesure d'utiliser le système des visas pour bloquer l'entrée dans le pays quand cela leur convient. Cela devrait changer.
Pedersen peut-il concocter une forme d'arrangement acceptable pour un redressement économique rapide? Les donateurs sont divisés, dans la mesure où tout système doit donner la priorité au peuple syrien, et non au régime. La position de États-Unis est de ne pas faire obstacle à tout programme de redressement rapide. Ils ont annoncé en novembre un assouplissement des restrictions pour permettre aux ONG de s'engager dans cette voie, sans toutefois les y pousser. La France s'y oppose résolument, tandis que la Norvège et la Suisse sont intéressés par cette perspective.
L'autre ingrédient pour la réussite d’un programme de reconstruction est un certain degré d'allégement des sanctions, non pas pour les personnalités et les institutions du régime, mais pour ouvrir la voie au commerce et à la création d’un environnement permettant aux banques de faciliter les investissements en Syrie, sans les risques que cela implique actuellement.
De tels mécanismes devront être soigneusement établis pour s'assurer que le régime syrien n'aspire pas des milliards de dollars d'aide, bien que de toute manière, il soit impossible d'empêcher au moins une petite partie de cette manne de se retrouver entre les mains des proches du régime.
De nombreux Syriens seront naturellement opposés à l'idée que le régime, avec son bilan, obtienne le soutien des donateurs internationaux. Mais cela ne doit pas masquer la réalité de la situation actuelle: le régime et ses proches volent la communauté des donateurs par millions, tandis que le peuple syrien ne reçoit rien. Ce sont des décisions difficiles à prendre, sans réponses faciles. Mais laisser la situation pourrir ne peut pas être la voie à suivre, avec tant de personnes au bord de la famine.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, (CAABU) basé à Londres.
Twitter: @Doylech
Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com