Le 31 décembre, des bombardiers russes ont lancé une offensive sur le nord-ouest de la Syrie. Lors du présent mois, plus de quarante autres frappes similaires ont été signalées. La première remonte au 1er janvier. Aucune trêve n'a été acceptée dans la période des fêtes. Les trois millions de civils syriens qui attendent sous une pluie de bombes ignorent s'ils vont mourir de faim, dans les bombardements, ou s'ils vont succomber à la dernière vague de Covid-19.
En dépit de cette situation morose, les médias ont accordé très peu d'attention à la Syrie au cours des douze derniers mois. Les moins curieux ont probablement cru que la situation s'améliorait peu à peu et que le pays sortait de sa torpeur, au terme d'une décennie parsemée de crises et de guerres.
La vérité est tout autre. Les bombes russes ne sont pas seules à jouer les trouble-fête. Le régime poursuit ses attaques contre la population syrienne. Israël a effectué près de trente frappes sur la Syrie en 2021. Résultat: cent trente morts, dont deux lors d'une offensive, au mois de décembre, qui visait le port de Lattaquié. La Turquie s'accroche au territoire qu'elle occupe dans le nord du pays, où elle est accusée de renvoyer de force des réfugiés syriens au mépris du droit international.
Mais le front de ce conflit a peu changé. Les autorités continuent de contrôler des zones dispersées. Si le régime détient la plus grande partie du pays, Idlib reste sous la coupe de plusieurs groupes d'opposition et d'extrémistes. De leur côté, les forces dirigées par les Kurdes occupent la majeure partie de l'est et du nord-est de la Syrie.
Les massacres et les destructions se poursuivent, même si, dans ce pays décimé, il ne reste plus grand-chose à détruire. Le nombre de victimes en 2021 nous donne un faux espoir: il s’agit du chiffre le plus bas depuis 2011. L'Observatoire syrien des droits de l'homme a recensé 3 882 morts l'an dernier, parmi lesquels 1 558 civils. Le bilan officiel des victimes du conflit (plus de 500 000 morts à ce jour) est désormais obsolète et inexact. En effet, les Nations unies ont cessé de s'en préoccuper depuis bien longtemps.
L'attitude des Nations unies fait écho à celle des grandes puissances internationales, qui se soucient peu de ce que pensent la majorité des Syriens. Le processus de Genève mené sous l'égide de l'ONU afin d’élaborer une nouvelle constitution poursuit sa joyeuse mascarade.
Les pouvoirs militaires, sur le terrain (Russie, Turquie et Iran), se soucient fort peu du confort des civils. Elles ne défendent que leurs propres intérêts. Il est évident que l'administration Biden poursuit la politique suivante en Syrie: rester les bras croisés tant que Bachar al-Assad est au pouvoir et réduire l'influence de l'Iran. Les sanctions américaines continuent de peser sur les Syriens en les empêchant de mener librement des affaires et des échanges commerciaux. Mais elles ne parviennent pas à exercer la moindre pression sur le régime. Les donateurs continuent à alimenter en monnaie forte les régions contrôlées par le régime. Ce dernier exige en effet à toutes les agences d'utiliser le taux de change officiel, et non celui du marché noir.
Le régime syrien lui-même se montre arrogant. Il se croit vainqueur et ignore joyeusement les cendres éparpillées autour de lui. L’élection organisée au mois de mai de l'année dernière, ou plutôt le nouveau couronnement de Bachar al-Assad, lui a accordé 95,1% des voix. Le jour du scrutin, le plus fort message a été transmis: en compagnie de son épouse, Al-Assad ne s’est pas rendu dans l'un de ses palais présidentiels pour voter ni dans l'une des régions qui lui sont fidèles. Ils ont pris le chemin de Douma, une ville qui a souffert des bombardements les plus meurtriers qu’a jamais subis une zone urbaine et qu’on associe pour toujours à l'opposition.
C'est à Douma, en effet, que le régime a accusé Damas d’utiliser des armes chimiques en 2018. Y a-t-il un message plus symbolique que celui-là? Avec ses alliés, Al-Assad souhaite annoncer au monde entier l'échec de tous les efforts destinés à provoquer un changement démocratique comme le prévoit la résolution 2254 du Conseil de sécurité des nations unies.
Al-Assad ne s'est probablement pas trompé en pensant que le temps jouerait en sa faveur et que la région, voire le monde entier, renouerait des liens avec son régime. Nombre de puissances régionales ont reconnu la victoire d'Al-Assad et elles ont choisi de se réconcilier avec Damas. Oman a pris la première initiative parmi les États du Golfe. La semaine dernière, Bahreïn a nommé un ambassadeur à Damas et le ministre émirati des Affaires étrangères s'est rendu dans la capitale syrienne au mois de novembre. La Jordanie a rouvert le passage de Nassib à la Syrie en septembre. Qui peut prédire quels pays emprunteront la même voie en 2022?
Avec ses alliés, Al-Assad souhaite annoncer au monde entier que tous les efforts destinés à provoquer un changement démocratique ont abouti à l’échec.
Chris Doyle
Le retour officiel de la Syrie dans le giron de la Ligue arabe semble être une question de temps, même si cette décision dérangera Washington. Faire partie de la Ligue arabe revêt une grande importance pour le régime syrien, qui se vante depuis toujours de son identité panarabe. En rouvrant d'autres ambassades à Damas, le message suivant sera plus percutant: la Syrie sort de l'ornière. Au mois de mai 2021, la Syrie est devenue membre du conseil exécutif de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ce qui constitue la plus belle victoire qu'elle a remportée sur ce front. Les frappes contre les hôpitaux et les cliniques n'ont pas fait obstacle à cette décision.
Mais comment donc soulager la douleur des Syriens? Ils sont encore nombreux à essayer de traverser la Méditerranée. La dernière catastrophe en date a coûté la vie à onze réfugiés, parmi lesquels huit Palestiniens qui vivaient en Syrie; c'est le 24 décembre qu'ils se sont noyés dans la mer Égée. Les pays d'accueil envisagent d'encourager – voire de contraindre – les réfugiés à rentrer en Syrie.
Mais c'est en Syrie que les conditions de vie sont les plus déplorables. 90% de la population (un chiffre ahurissant) vit actuellement dans une situation de pauvreté aggravée par les crises financières que traversent le Liban et la Turquie. La Syrie connaît par ailleurs une période de sécheresse sans précédent depuis soixante-dix ans: la production d'électricité et la production agricole sont en baisse. Cela peut sembler étrange lorsque l’on considère les images qui nous montrent des inondations provoquées par les pluies d'hiver ou des personnes déplacées qui luttent pour survivre sous leurs tentes dans le nord-ouest de la Syrie.
Un avenir sombre se dessine pour les Syriens. L'année qui vient de commencer est loin d'être réjouissante. Pour la moitié de la population, elle est synonyme d'exil perpétuel; pour les autres, c'est la pauvreté et la famine. En outre, l'éducation constitue désormais un privilège dans la mesure où 2,5 millions d'enfants se trouvent privés de scolarité.
Seule l'élite des mafieux continue à amasser des richesses. Ces derniers contournent facilement les sanctions et profitent grassement de l'économie de guerre qui perdure. Mais, là encore, le régime s'est replié sur lui-même et a réduit ce cercle, notamment avec la mise à l’écart de Rami Makhlouf, ce cousin du président qui est également banquier et trésorier du régime.
Daech attend dans les coulisses et se montre aussi patient que le régime. Il suffit de hausser la barre de la frustration provoquée par la pauvreté pour que les extrémistes se lèchent les babines. Daech a multiplié les attaques dans le nord-est de la Syrie. L'année 2022 s'annonce certainement favorable au groupe extrémiste.
Peu importent les événements qui surviendront cette année: gardez le cap sur l’évolution des événements sur le terrain. Au cours des dix dernières années, ce sont ces éléments qui ont pesé dans la balance – et non les pourparlers de Genève, d'Istanbul ou d'Astana. Il est à craindre que le monde extérieur perde son intérêt pour la Syrie et comprenne de moins en moins les dynamiques en jeu et les moyens de les infléchir. Le monde a beau essayer de dissuader les Syriens de prendre en main l'avenir de leur pays, ce seront eux qui le feront, en fin de compte, pour le meilleur ou pour le pire.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique (Caabu), une organisation située à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.