Ankara vise l'apaisement avec les EAU

Recep Tayyip Erdogan et le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyan passent devant une garde d'honneur, à Ankara, en Turquie, le 24 novembre 2021 (Photo, Reuters).
Recep Tayyip Erdogan et le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyan passent devant une garde d'honneur, à Ankara, en Turquie, le 24 novembre 2021 (Photo, Reuters).
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Publié le Lundi 21 février 2022

Ankara vise l'apaisement avec les EAU

Ankara vise l'apaisement avec les EAU
  • Il existe désormais un énorme potentiel de coopération entre la Turquie et les Émirats Arabes Unis
  • Les accords d'Abraham annoncent un avenir qui pourrait provoquer un changement majeur au Moyen-Orient

Il semble que la Turquie ait pris de bonnes mesures pour rétablir ses relations avec les Émirats arabes unis. Leurs relations se sont dégradées lorsqu' Ankara a commencé à soutenir ouvertement les Frères musulmans dans divers pays du Moyen-Orient en ignorant les avertissements polis des Emiratis.
Après le coup d'État militaire manqué de 2016, le discours s'est considérablement durci côté turc. Le ministre de l'Intérieur Suleyman Soylu déclarait sans ambages que le complot du 15 juillet avait été exécuté sur les instructions des États-Unis et des EAU.
Dans le cadre de la guerre en Libye, la Turquie et les Emirats ont combattu dans des camps opposés. La participation de ces derniers à un exercice militaire majeur organisé par la Grèce a également suscité un concert de critiques dans l'opinion publique turque.
La Turquie s'est opposée pour des raisons qui restent inexplicables à la tentative de normalisation des relations entre Israël et les EAU, Bahreïn, le Soudan et le Maroc. Critiquant sévèrement cette initiative américaine, Ankara a rejeté les accords d'Abraham tout en maintenant des relations avec Israël et les Emirats. Il s'agit d'un exemple rare de pays critiquant l'établissement de relations diplomatiques entre deux pays tiers
Ankara a également critiqué la réouverture en 2018 de l'ambassade des Émirats arabes unis à Damas. Un utilisateur pro-gouvernemental des réseaux sociaux, s'adressant aux EAU, écrivait : «Ce changement rapide est intervenu immédiatement après le retrait des États-Unis de Syrie, abandonnant les groupes que vous financiez et après le succès de la Turquie en Syrie», sans préciser quel était le succès de la Turquie en Syrie.
Toutes ces critiques se sont maintenant apaisées et, heureusement, il y a eu un changement radical.
Il existe désormais un énorme potentiel de coopération entre la Turquie et les Émirats arabes unis et il était grand temps qu'ils le remarquent. Ce sont deux États aux tendances modérées en matière de politique étrangère, à l'exception du fort penchant de la Turquie en faveur des Frères musulmans. Le parti au pouvoir en Turquie, le Parti de la justice et du développement, connu sous le nom d'AKP, a des affinités idéologiques avec le mouvement.
Plusieurs facteurs ont facilité la normalisation des relations. Les deux parties avaient atteint la limite des politiques antagonistes l'une envers l'autre avant de se rendre compte que des relations tendues ne servaient pas leurs intérêts nationaux. La crise libyenne a également joué le rôle de catalyseur, car elles se battaient pour une cause indéfinie à l'issue incertaine.
Les accords d'Abraham annoncent un avenir qui pourrait provoquer un changement majeur au Moyen-Orient. On ne sait pas encore dans quelle mesure ils seront couronnés de succès, mais au moins ils pourraient permettre de désamorcer les tensions dans la région.
Remodeler le Moyen-Orient est un objectif ambitieux, mais la Turquie et les Émirats arabes unis peuvent contribuer à ces efforts dans la limite de leurs propres possibilités. En tant que pays le plus isolé de la région, la Turquie pourrait profiter de cette occasion pour améliorer ses relations tendues avec les autres pays.
Des avancées diplomatiques ont souvent lieu lorsque les relations sont au plus bas. C'est ce qui est advenu entre la Turquie et les Émirats arabes unis. Les accusations inutiles de la Turquie à l'encontre des dirigeants des EAU resteront dans les archives - et, espérons-le, ne seront plus ressorties.
Les partis politiques d'opposition en Turquie ont salué les efforts déployés pour améliorer les relations, mais ils n'ont pas manqué l'occasion de souligner l'empressement du parti au pouvoir à utiliser un discours peu poli à l'égard des dirigeants des EAU.
Le dégel actuel entre la Turquie et les EAU a commencé par une visite à Ankara du prince héritier d'Abu Dhabi, le cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyan, en novembre dernier. Le prince héritier a annoncé que les EAU allaient créer un fonds de 10 milliards de dollars destiné à être utilisé en Turquie. Ce montant peut paraître important, mais dans le contexte des immenses besoins en devises de la Turquie, il est négligeable.


 
«Remodeler le Moyen-Orient est un objectif ambitieux, mais la Turquie et les Émirats arabes unis peuvent contribuer à ces efforts dans la limite de leurs propres possibilités.»
Yasar Yakis

Les Émirats arabes unis sont un pays généreux, mais ils ne gaspillent pas leur argent. Ils investissent après avoir réalisé des études de faisabilité méticuleusement examinées. Par conséquent, ces fonds seront probablement utilisés dans des domaines où les deux parties en tireront profit.
Treize accords ont été signés au cours de la visite, couvrant plusieurs domaines, notamment l'industrie de la défense, la santé, le changement climatique, la technologie, le commerce et les transports.
Ali Babacan, ancien vice-premier ministre et membre fondateur de l'AKP, et qui a maintenant créé son propre parti politique, a déclaré que le président turc Recep Tayyip Erdogan avait fait un revirement complet dans sa politique envers les EAU. Il s'est ouvertement demandé pourquoi Erdogan tenterait de rétablir les relations avec les EAU si Abu Dhabi était derrière le coup d'État militaire manqué de 2016. Il s'est également demandé si Erdogan allait s'excuser pour cette accusation. S'il s'agit uniquement d'une question d'argent, il devrait le dire ouvertement.
Les questions de Babacan resteront sans réponse, mais la Turquie et les Émirats arabes unis s'habitueront à la nouvelle réalité.

Yasar Yakis est ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur de l’AKP, parti au pouvoir.

Twitter : @yakis_yasar

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com