L’Europe est préoccupée par les menaces qui compromettent sa sécurité; c'est ce que j'ai ressenti au cours de ma dernière visite à Bruxelles. Deux dilemmes liés à la sécurité tourmentent ce continent: les menaces liées au changement climatique, aux ressources énergétiques et à la Covid-19, et celles, plus classiques, que représentent la Russie et la Chine.
Il y a quelques années, un groupe d'experts européens a écrit ce qui suit : «La sécurité au sein de l'Union européenne [UE] constitue un problème grandissant et complexe; la menace d'éclatement plane sur la zone euro, qui affronte à la fois le terrorisme, l'insécurité ainsi que la précarité des approvisionnements en nourriture et en eau douce; ces derniers atteignent des niveaux critiques.»
Les auteurs Antonina Engelbrekt, Anna Michalski, Niklas Nilsson et Lars Oxelheim ont étudié ces défis sécuritaires multiples ainsi que les incidences des événements internationaux sur la sécurité de l'UE dans leur ouvrage de référence, The European Union: Facing the Challenge of Multiple Security Threats («L'Union européenne : relever le défi posé par les multiples menaces sécuritaires»). Ils ont observé, en particulier, les migrations, les relations tendues avec la Russie et l'évolution des relations entre l’UE et les États-Unis.
Depuis la publication de ce livre, en 2018, les malheurs de l'UE en matière de sécurité se sont intensifiés sur plus d’un front. Cela est en partie imputable aux nouvelles politiques environnementales adoptées par l'Europe en vertu desquelles elle renonce progressivement à utiliser les sources d'énergie conventionnelles telles que les énergies nucléaires et le charbon. L'Europe pâtit donc désormais de fortes pénuries dans la mesure où la production des énergies alternatives ne permet pas à combler le déficit.
Dans la même veine, les dangers sécuritaires ont eux aussi pris une dimension plus importante, alors que l'Europe envisage d'acquérir une «autonomie stratégique», ce qui suppose de restreindre le rôle de l'Otan. Trouver des substituts au filet de sécurité fourni par les États-Unis et l'Otan constitue toutefois un processus long. Mais l'Europe doit agir sans tarder.
Il lui faudra également du temps pour devenir entièrement indépendante en matière d'énergie. Les pays européens dépendent de plus en plus d'un petit nombre de fournisseurs d'énergie. Cette situation les a amenés à annoncer à de nombreuses reprises l'adoption de nouvelles stratégies destinées à élargir la palette des fournisseurs et à recourir davantage aux énergies renouvelables; des efforts supplémentaires doivent toutefois être consentis pour favoriser la production d'énergies propres.
Certes, l'Europe déploie des efforts considérables dans le but de diversifier ses sources d'énergie. Cependant, la crise qui sévit actuellement démontre que l'Europe continue de dépendre des importations. La moyenne de la dépendance de l'UE à l'égard des importations d'énergie est supérieure à 60% et peut atteindre 90% dans certains pays européens. Le pétrole représente 66% des sources d'énergie importées par l'Union européenne. Il est suivi par le gaz (27%). Si l'Allemagne, première consommatrice d'énergie en Europe, a abandonné le nucléaire et le charbon, elle dépend de plus en plus des importations, puisque le développement des énergies renouvelables n'évolue pas au même rythme que la demande.
Si la dépendance énergétique de l'UE compromet la stabilité des approvisionnements et celle des prix des produits énergétiques, elle restreint également la marge de manœuvre de l'Europe dans la gestion de dossiers importants qui relèvent de la politique étrangère et elle sème la discorde entre ses pays membres.
La France a pris la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne au mois de janvier 2022; la semaine dernière, le président français, Emmanuel Macron, a énoncé ses priorités pour les six mois à venir. Dans un discours prononcé à Strasbourg, il a de nouveau plaidé pour une Union européenne plus autonome et plus souveraine et a exhorté l'Europe à mettre en place son propre cadre de sécurité au lieu de se contenter de réagir aux crises internationales.
«Ces prochaines semaines doivent nous permettre de faire aboutir une proposition européenne bâtissant un nouvel ordre de sécurité et de stabilité. Nous devons le construire entre Européens, puis le partager avec nos alliés dans le cadre de l'Otan, puis […] le proposer à la négociation à la Russie», a déclaré M. Macron. Il s'est engagé à aller de l'avant avec l'élaboration d'une force intergouvernementale d'intervention rapide qui permettra à l'Europe de défendre ses frontières extérieures et de «lutter contre l'immigration irrégulière».
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a repris les revendications d'autonomie en matière de sécurité avancées par M. Macron. Il a affirmé: «Il s’agit de faire des propositions visant à bâtir un nouvel ordre de sécurité et de stabilité qui soit conforme à nos intérêts collectifs de sécurité.» En visite à Berlin jeudi dernier, M. Le Drian a adouci le ton en faisant référence à l'Otan de manière positive: «Il s'agit là de nourrir une voie transatlantique collective et unie de dialogue dans laquelle les Européens assument toutes leurs responsabilités et tiennent toute leur place avec leurs alliés de l'Otan sur un sujet qui concerne directement leur propre sécurité», a-t-il expliqué.
Le conflit au sujet de l'Ukraine et des approvisionnements en gaz place actuellement l'UE et la Russie au pied du mur. Cette situation fait apparaître les dilemmes – habituels et nouveaux – auxquels l'Europe se trouve confrontée en matière de sécurité; elle encourage de nombreux pays à repenser les possibilités qui s'offrent à eux dans ce domaine, à commencer par la restauration des alliances et des partenariats traditionnels affaiblis en raison de la négligence, des différends politiques et d’une rhétorique incendiaire. Il convient par exemple de tempérer, ne serait-ce que temporairement, le discours qui appelle à une autonomie stratégique de peur qu'il ne fragilise le filet de sécurité dont dispose l'Europe, à savoir l'Otan et les États-Unis. Dans le même contexte, les discours qui porte sur les répercussions du Brexit ne devraient pas dissuader le Royaume-Uni et l'Union européenne de coordonner leurs efforts en matière de sécurité.
Les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont confrontés à quelques-unes des préoccupations qui tourmentent l'Europe au niveau de la sécurité et le partenariat entre ces deux entités leur permettrait d'y remédier avec une plus grande d'efficacité.
Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont confrontés à quelques-unes des préoccupations qui tourmentent l'Europe au niveau de la sécurité et le partenariat entre ces deux entités leur permettrait d'y remédier avec une plus grande efficacité. Les deux parties se soucient, par exemple, de la sécurisation de l'approvisionnement en produits énergétiques. Le Golfe abrite près de la moitié des réserves de pétrole, la moitié de la production et des exportations mondiales de pétrole et une part importante de gaz.
Les pays du Golfe offrent à l'Europe la possibilité de surmonter les pénuries et la hausse des prix actuelles. En revanche, si les livraisons de produits énergétiques à partir du Golfe sont interrompues, comme menacent de le faire l'Iran et ses mandataires dans la région, les livraisons et les prix des produits énergétiques en pâtiront partout dans le monde, y compris en Europe. Une telle éventualité ne peut que compliquer la situation.
Combattre le terrorisme, la traite des êtres humains, l'immigration irrégulière et les cyberattaques figure en tête des priorités de l'Europe et des pays du Golfe. Une action conjointe pourrait profiter aux deux régions. Dans la même optique, une coopération plus poussée permettrait aux deux parties de répondre aux crises régionales qui les touchent, notamment en ce qui concerne les conflits qui sévissent en Palestine, en Syrie, au Liban, en Libye, en Irak, au Yémen et en Afghanistan. La sécurité en mer Rouge suscite en outre une inquiétude croissante de la part des deux parties; elles se doivent de concerter leurs efforts afin de sécuriser les passages maritimes ainsi que les voies de navigation et de contrer la contrebande d'armes, le trafic d'êtres humains, le crime organisé.
L'Europe et ses partenaires historiques que sont les pays du Golfe poursuivent parfois des objectifs distincts. Néanmoins, grâce à un dialogue régulier, les deux parties parviendront à faire converger leurs priorités et à se rapprocher sur les questions d'intérêt commun.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et un chroniqueur régulier d’Arab News.
Twitter: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com