Certes, la pandémie de coronavirus reste le principal sujet de préoccupation en Europe. Pourtant, cette semaine, l'attention s'est également tournée vers la politique étrangère. Outre la visite du secrétaire d'État américain, Mike Pompeo, le sommet du Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi portera essentiellement sur les affaires extérieures. La Chine et la Russie seront les principaux sujets à l'ordre du jour.
Un autre point pressant occupe Mike Pompeo ainsi que les présidents et les Premiers ministres des 27 États membres de l'Union européenne (UE): le conflit maritime gréco-turc qui s'envenime. Cependant, au-delà de ce défi «local», des questions plus globales sont en jeu. Ainsi M. Pompeo met-il de nouveau en garde contre l’expansionnisme de Moscou et de Pékin, tout en rappelant aux dirigeants de l'UE le problème de l'Iran.
Pour Pompeo, ces trois «acteurs malveillants» représentent de plus en plus des menaces susceptibles de s’additionner. Malgré les importantes divergences qui les opposent, les trois pays coopèrent davantage sur le plan militaire. Ainsi, à la fin de décembre 2019, ils ont entamé des manœuvres navales conjointes dans le cadre de la «Ceinture de sécurité maritime». À l'époque, le commandant de la marine iranienne, Hossein Khanzadi, a déclaré que l'opération était «un message au monde» et qu’elle indiquait l’«expansion remarquable de la coopération» et montrait que les trois pays étaient arrivés «à un point stratégique significatif dans leurs relations».
Ce n’est pas un hasard si Téhéran a choisi ce moment pour faire du charme à Moscou et à Pékin, alors que le pays subit la pression des sanctions internationales. Ce rapprochement intervient également à un moment où la Russie et la Chine ont considérablement resserré leurs liens sous la présidence russe de Vladimir Poutine et chinoise de Xi Jinping, tandis que leurs relations avec les États-Unis sous Donald Trump se sont refroidies.
Si l’UE a toujours préconisé un partenariat stratégique avec la Chine, ces relations ont pourtant subi des revers depuis le début de la pandémie.
Andrew Hammond
Pompeo reste contrarié de voir que plusieurs pays européens n'ont pas suivi la ligne plus agressive de Trump à l’égard de l'Iran. Cependant, cette semaine, il a davantage concentré son attention sur la Chine et la Russie. Il considère que les deux pays représentent un défi croissant pour les intérêts de Washington en Europe et il cherche à limiter leur influence économique et politique sur le continent.
Il y a quelques semaines seulement, Pompeo s'est rendu en Pologne, où stationnent 1 000 soldats supplémentaires en tant que remparts contre Moscou dans le cadre du redéploiement des États-Unis vers l'est. Il se préoccupe également de voir la dépendance des pays européens à l'énergie russe. Il fait donc pression contre le gazoduc Nord Stream 2.
Pékin a également été dans la ligne de mire de Pompeo lors de ses escales, de la Grèce à l'Italie et à la Croatie, cette semaine. En effet, en novembre dernier, Xi Jinping a passé trois jours en Grèce alors qu'Athènes a rejoint le sommet «16+1», qui rassemble chaque année la Chine et les dirigeants de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale, dont la Croatie.
Entre-temps, en Italie, Pompeo a dénoncé les violations des droits de l'homme en Chine lors d'une discussion au Vatican. Le secrétaire d'État américain a ainsi exhorté l'Église à se prononcer au sujet de la persécution religieuse. Cependant, l'agenda de Pompeo en Italie est beaucoup plus ambitieux, car Rome a signé l'année dernière un protocole d'accord avec Pékin sur son initiative «Ceinture et route». L'Italie est loin d'être le seul État d'Europe à s'engager dans cette voie. D'autres pays, dont la Croatie et la Grèce, ont suivi son exemple. Pourtant, la décision de Rome, premier État du G7 à adopter l'initiative, a provoqué une véritable onde de choc.
Du côté de l'UE, l'ordre du jour du sommet du Conseil européen de cette semaine ne se limite pas à la question de la Turquie et de la Grèce. Il porte également sur l'avenir des relations de l'UE avec la Chine et la Russie. En ce qui concerne Moscou, l'empoisonnement du leader de l'opposition, Alexeï Navalny, a encore refroidi les relations, et voilà qu’une pression croissante est exercée sur les dirigeants européens, dont la chancelière allemande, Angela Merkel, pour qu'ils reconsidèrent le projet de gazoduc Nord Stream 2.
Par ailleurs, l'Europe a proposé une médiation au sujet de la Biélorussie, qui est membre à part entière de deux alliances dominées par Moscou et que l’UE et l’Otan utilisent comme contrepartie. En effet, l’UE a fait savoir à Poutine que le gouvernement d'Alexandre Loukachenko devait cesser de recourir à la violence contre les manifestants pacifiques et qu’il devait dialoguer avec l'opposition. La situation reste cependant précaire, et Poutine a affirmé qu'il était «inacceptable» que l'UE exerce une pression extérieure sur l'administration de Loukachenko.
Si l’UE a toujours préconisé un partenariat stratégique avec la Chine, ces relations ont pourtant subi des revers depuis le début de la pandémie.
Outre les préoccupations de l'Europe concernant la gestion transparente de l'épidémie de coronavirus par Pékin, une série d’autres problèmes se pose, notamment la répression à Hong Kong.
Le nouveau refroidissement dans les relations a même porté le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, à considérer que la Chine n'est pas seulement une partenaire économique mais une «rivale systémique qui cherche à promouvoir un modèle de gouvernance alternatif».
Les relations Turquie-Grèce viennent compléter le tableau. Bruxelles, tout comme Pompeo, continue de prôner le dialogue. Ainsi, la Grèce, soutenue par la France, a contesté les explorations gazières turques en Méditerranée. De son côté, la Turquie a envoyé des navires de forage avec une escorte militaire pour explorer son plateau continental à la recherche de pétrole, en revendiquant ses droits d'exploitation des ressources.
C'est dans ce paysage économique et politique troublé et changeant que les puissances mondiales se bousculent pour prendre position. Une seule certitude existe: l'attention internationale portée à l’Europe ne fera qu’augmenter, compte tenu des intérêts géopolitiques croissants exprimés par Washington, Pékin et Moscou.
Andrew Hammond est un associé LSE IDEAS à la London School of Economics.
NDLR : Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.