Le chroniqueur polémiste Eric Zemmour, candidat déclaré aux prochaines élections présidentielles françaises continue d'occuper le devant de la scène médiatique dans son pays, malgré le rejet massif dont il est objet au sein de la classe politique.
La percée indéniable de Zemmour dans l'échiquier politique français nécessite cependant un effort d'évaluation objective et sereine, pour cerner les tenants et aboutissants de ce phénomène médiatique et électoral qui suscite de nos jours un grand intérêt dépassant largement la France elle-même.
Certes le discours de l'extrême droite n'est pas nouveau en France, qui a connu dans le passé la montée des courants les plux radicaux de la droite pétainiste, du mouvement d'action française au début du vingtième siècle au Front national de Jean- Marie Le Pen (Rassemblement National aujourd'hui).
Si les idées de nationalisme étroit, d'assimilationisme intégral, et de souverainisme absolu, sont des traits constants du discours de l'extrême droite, ce qui change avec Zemmour c'est l'irruption de l'idéologie identitaire à base culturaliste et historiciste dans le lexique conceptuel du radicalisme nationaliste.
Il y a lieu de mentionner ici que le champ politique français issu de la révolution de 1789 a été structuré sur la référence républicaine, qui a été en contradiction notoire avec le libéralisme individualiste dans sa conception de liberté négative, entendue comme autonomie subjective par rapport à la puissance publique. Pour les républicains français (de droite et de gauche), l'Etat comme traduction de la volonté générale (au sens rousseauiste du terme) est le cadre positif de la liberté conçue comme citoyenneté active et pleine adhésion à la collectivité solidaire qu'est la nation.
La ligne de partage entre la droite et la gauche, ne concerne donc nullement les fondements structurels de l'action politique, mais uniquement les politiques économiques ou sociales. Le progressisme comme vertu cardinale constitue un trait commun entre les différents courants du républicanisme français.
C'est ainsi qu'on disait en Europe que la France n'a pas de tradition libérale, les droites "légitimiste" et "bonapartiste" (selon la typologie célèbre de René Rémon) étaient antilibérales, et le gaullisme qui a accaparé la scène politique depuis la fin de la guerre mondiale était une synthèse républicaine souple et harmonieuse entre trois tendances conservatrice, libertaire et sociale.
La théorie du "grand remplacement" est invoquée par Zemmour sans retenue ni nuance pour combattre "la nouvelle colonisation arabo-islamique de la France"
Seyid Ould Bah
Malgré les deux tentatives réussies de rassembler les gaullistes (le Rassemblement pour la République créé par Chirac en 1976 et l'Union pour un mouvement populaire fondé par Sarkozy en 2002), la droite française n'a pas résisté toutefois à la fragmentation et au morcellement.
Les trois tendances énumérées, se sont constituées en pôles distincts : le courant conservateur dont le dernier leader était l'ancien premier ministre et candidat de la droite aux dernières élections présidentielles François Fillon, le courant libertaire qui s'est approprié la couleur centriste et s'est constitué comme parti autonome, la tendance sociale qui est devenue l'assise politique de l'actuel président Macron.
L'extrême droite qui s'est effondrée après la deuxième guerre, s'est vu renaître de ses cendres dès le milieu des années 1980, et s'est incrusté définitivement dans le champ politique depuis 2002, et devient même avec le nouveau parti de Marine le Pen (le Rassemblement national) la première force politique de la France.
Ce qui change aujourd'hui avec la montée de Zemmour est une transformation profonde du discours de la droite radicale, qui était auparavant axé sur la demande sociale traduite dans dans un registre nationaliste et souverainiste, qui s'oppose frontalement aux politiques d'immigration et au projet de l'union européenne.
L'actuelle transformation du discours de la droite radicale, réinvestit le nationalisme extrémiste dans le sens d'un assimilationisme plus rigide et étroit, en redéfinissant l'identité nationale dans un sens nativiste et culturaliste fort, qui met en relief les caractéristiques religieux, linguistiques et historiques, et même les déterminants de race et de genre (est français exclusivement l'homme blanc mâle et chrétien).
Au lieu de l'immigré, le musulman est fustigé comme danger pour la cohésion sociale, le récit national est préservé, défendu dans son intégralité en assumant ses pages les plus sombres (esclavage, colonisation, racisme...).
La théorie du "grand remplacement" de Roland Camus (condamné pour provocation à la haine raciale) est invoquée par Zemmour sans retenue ni nuance pour combattre "la nouvelle colonisation arabo-islamique de la France", en période de déclin démographique de l'Occident.
N'en déplaise aux analystes de la scène politique française qui tendent à réduire l'effet Zemmour à une simple bulle médiatique, il s'agit plutôt d'une nouvelle donne qui nécessite le suivi et l'attention.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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