Apaiser les tensions dans le Caucase du Sud

Le Premier ministre de l’Arménie, Nikol Pashinyan (à droite), s’entretient avec le président chypriote, Nicos Anastasiadis (à gauche) lors du sommet du Partenariat oriental, à Bruxelles, le 15 décembre 2021. (AFP)
Le Premier ministre de l’Arménie, Nikol Pashinyan (à droite), s’entretient avec le président chypriote, Nicos Anastasiadis (à gauche) lors du sommet du Partenariat oriental, à Bruxelles, le 15 décembre 2021. (AFP)
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Publié le Vendredi 24 décembre 2021

Apaiser les tensions dans le Caucase du Sud

Apaiser les tensions dans le Caucase du Sud
  • Il faudra attendre quelque temps encore avant d’avoir une réponse exhaustive à la question azéri-arménienne
  • L’accord sur la remise en état des infrastructures de transport aidera la Turquie à avoir un accès direct à l’Azerbaïdjan

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a invité le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, et le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, à une réunion en marge du sommet du Partenariat oriental de l’Union européenne qui s’est tenu la semaine dernière à Bruxelles.

Un autre sommet trilatéral prévu avant le 10 novembre – 1er anniversaire de l’Accord de cessez-le-feu sur le Haut-Karabakh – entre le président russe, Vladimir Poutine, Aliyev et Pashinyan, n’a pu se concrétiser.

Le 26 novembre, alors que les préparatifs de la réunion de Bruxelles étaient en cours, Poutine a convié en dernière minute les dirigeants arménien et azerbaïdjanais à un sommet trilatéral à Sotchi afin de conserver son influence sur la question azéri-arménienne.

Il faudra attendre quelque temps encore avant d’avoir une réponse exhaustive à la question azéri-arménienne. Bien que la réunion de Bruxelles ne soit pas censée résoudre tous les problèmes en suspens, elle a permis de réaliser des progrès concrets. Par ailleurs, les engagements pris par Aliyev et Pashinyan pour résoudre le différend constituent l’une des avancées les plus importantes.

Une autre réalisation considérable réside dans l’établissement de liens de communication directs entre les ministres de la Défense de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie par l’intermédiaire de Charles Michel. Reste à voir s’ils se solderont par des résultats concrets.

Le troisième résultat notable est un accord sur la question difficile de la réactivation des infrastructures de transport tombées en désuétude au fil des décennies dans une région du Caucase connue sous le nom de «couloir de Zangezur» et qui servait auparavant de lien entre les deux républiques soviétiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie.

Poutine a tenté en vain de persuader Pashinyan de réactiver ce couloir de transport. Il a échoué là où l’Union européenne s’est révélée plus efficace. Cette dernière a peut-être mis sur la table des incitations plus attrayantes pour pousser le leader arménien à accepter. L’Union européenne (UE) dispose d’énormes fonds alloués à la promotion d’un Partenariat oriental. Plus de 2,3 milliards d’euros ont déjà été mis de côté pour un plan d’investissement économique régional, mais un autre programme à plus long terme devrait mobiliser 17 milliards d’euros d’investissements publics et privés.

Ces fonds seront répartis entre six pays de l’ancien bloc soviétique – l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine –, mais l’Arménie pourrait obtenir une part disproportionnée, pour plusieurs raisons: elle a perdu une guerre et a besoin d’être restaurée, elle dispose d’une grande diaspora dans les pays de l’UE et son revenu par habitant est le plus bas parmi les pays du Partenariat oriental.

 

L’accord négocié par l’Union européenne fait face à deux risques: d’abord, il pourrait être source de rivalité entre l’Union européenne et la Russie, Poutine et Michel essayant chacun d’être le principal intermédiaire. L’autre rivalité est peut-être plus sensible, puisqu’elle oppose le président arménien Armen Sarkissian et Pashinyan.

Yasar Yakis

 

L’Azerbaïdjan est un pays riche en pétrole, mais il a besoin de davantage de soutien administratif. En réalité, il s’est porté volontaire pour couvrir les frais de la réactivation du chemin de fer de Zangezur, un projet qui vise à moderniser le réseau déjà existant. La raison pour laquelle l’Azerbaïdjan est prêt à assumer la charge financière réside dans le fait qu’il va annexer, au fond, son propre territoire à l’une de ses provinces.

L’UE a promis de mettre en place une mission d’experts afin de soutenir la démarcation des frontières dans les zones contestées entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Cependant, la Russie ne voudrait pas être mise à l’écart sur cette question importante, parce que ces frontières contestées se situent dans une zone que Moscou considère toujours comme son propre terrain. Il existe plus d’informations contextuelles sur ce sujet dans les archives russes.

L’apaisement des tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie a également affecté les relations turco-arméniennes. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a annoncé que les deux pays avaient décidé de reprendre les vols commerciaux, suspendus depuis des décennies. En 2009, une tentative pour ouvrir le passage frontalier entre les deux nations avait échoué en raison de l’opposition de l’Azerbaïdjan.

Cavusoglu a déclaré que toutes les mesures seraient cette fois prises en consultation avec l’Azerbaïdjan afin d’éviter toute objection. La Turquie a nommé Serdar Turgut, l’ancien envoyé turc à Washington, pour superviser les négociations. L’Arménie a annoncé qu’elle désignerait également un coordonnateur.

L’accord sur la remise en état des infrastructures de transport aidera en outre la Turquie à disposer d’un accès direct à l’Azerbaïdjan. Le pays n’avait d’accès direct qu’au Nakhitchevan, mais pas à l’Azerbaïdjan. S’il est restauré, le chemin de fer deviendra l’un des axes de l’initiative chinoise «la ceinture et la route» et il reliera également la Turquie aux républiques turques d’Asie centrale.

Ce début timide est susceptible de rouvrir la frontière entre la Turquie et l’Arménie à un stade ultérieur, de relancer l’économie locale et de favoriser d’autres possibilités à l’avenir.

Cependant, l’accord négocié par l’Union européenne se heurte à deux risques: d’abord, il pourrait être une source de rivalité entre l’UE et la Russie, Poutine et Michel essayant chacun d’être le principal intermédiaire.

L’autre rivalité est peut-être plus sensible, puisqu’elle oppose le président arménien, Armen Sarkissian, et Pashinyan. Tous deux désirent jouer le rôle principal et il existe des nuances entre leurs approches. Ainsi, apaiser les tensions entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie peut également faire l’objet d’une rivalité interne au sein de l’Arménie.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et il est membre fondateur du parti AKP actuellement au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com