Le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis (EAU), cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, s’est rendu à Damas la semaine dernière pour rencontrer Bachar al-Assad, signe supplémentaire que certains pays arabes espèrent que le dictateur syrien pourra changer de comportement.
Cette visite s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par les EAU pour soutenir la Syrie et se réconcilier avec le régime de M. Al-Assad. Cependant, il est déjà prouvé que le dirigeant syrien n’est ni disposé à changer de comportement ni capable de le faire car cela signerait la fin de son règne. Aucune tentative de le persuader du contraire n’a abouti, et aucune autre ne le fera, pour la simple raison que sa manière de gouverner – autoritaire, centralisée et brutale, exactement comme son père, Hafez – est pour lui le seul moyen de survivre. Bachar al-Assad ne peut pas partager le pouvoir, car cela conduirait à sa perte.
Les attitudes des pays arabes envers la Syrie sont partagées. Alors que les EAU se dirigent vers une normalisation des relations dans le but d’aider les Syriens et de contenir l’Iran, le Qatar a catégoriquement rejeté une telle approche, et son ministre des Affaires étrangères a déclaré que M. Al-Assad devrait être tenu responsable des crimes commis par son régime. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane, soutient que le Royaume n’a pas l’intention de s’engager auprès du régime, bien qu’il «comprenne» les efforts déployés par d’autres pays pour tenter de faire progresser le processus politique et de briser le statu quo inacceptable. La Jordanie, quant à elle, ressent le besoin d’amadouer ce voisin brutal après que le régime a déployé des troupes dans le sud-ouest du pays. Il représente également un grand danger pour le royaume hachémite en raison de la contrebande d’armes et de drogues. La Jordanie considère Bachar al-Assad comme un «fait établi» – mais vu que le comportement de M. Al-Assad ne changera jamais, il n’y aura pas de paix, ni maintenant ni à l’avenir.
Les Émiratis parlent de creuser un fossé entre Bachar al-Assad et l’Iran et de garantir son retour dans le giron arabe, mais leur évaluation relève plus de vœux pieux que de la réalité. Les Russes entretiennent depuis longtemps des relations avec le régime de M. Al-Assad. Ils ont des bases en Syrie depuis le début des années 1970 et ils ont sauvé Bachar al-Assad en 2015 lorsqu’il a failli perdre la guerre civile. Si eux ne réussissent pas à semer la discorde entre Damas et Téhéran, je doute fort que les Arabes – en qui M. Al-Assad n’a aucune confiance – puissent le faire.
Les Israéliens, en revanche, ont une approche réaliste de M. Al-Assad. Ils précisent qu’ils n’ont pas de problème avec lui, mais plutôt avec l’Iran. Cependant, c’est finalement Bachar al-Assad qui permet à l’Iran d’utiliser la Syrie comme territoire de transit pour faire parvenir des armes au Hezbollah. Israël savait bien qu’au bout d’une semaine de combats en 2006, 80 % de l’arsenal du Hezbollah avait été détruit, et ce n’est que quand M. Al-Assad a ouvert les frontières et que l’approvisionnement en armes a commencé que le Hezbollah a pu continuer la guerre. Le cauchemar d’Israël est désormais le «projet de haute précision» du Hezbollah qui consiste à équiper certains de ses cent cinquante mille missiles d’un GPS sophistiqué et d’une précision de cinq à dix mètres – ce qui fait des aéroports, des usines de dessalement, des centrales électriques et d’autres infrastructures israéliennes, des cibles faciles.
«Bachar al-Assad ne peut pas partager le pouvoir, car cela conduirait à sa perte.»
Dania Koleilat Khatib
Frapper des cibles au Liban, ou même des positions du Hezbollah en Syrie, n’arrêtera pas le flux d’armes, tant qu’elles pourront transiter par la Syrie. Quelle que soit l’efficacité ou la précision des services de renseignements israéliens, ils ne peuvent pas détecter toutes les livraisons d’armes. De plus, Israël ne peut agir unilatéralement contre la Syrie sans la bénédiction des Russes, et l’État hébreu est parfaitement conscient de l’importance de la Syrie pour la Russie – du moins son ancien Premier ministre l’était. C’est pour cette raison que Benjamin Netanyahou entretenait de bonnes relations avec Vladimir Poutine et que son successeur, Naftali Bennett, espère les maintenir.
Bachar al-Assad cherche maintenant à ouvrir des voies de dialogue avec Israël, mais l’État hébreu ne semble pas prendre le dictateur syrien au sérieux. En ce qui concerne les Israéliens, «Al-Assad a trop souvent crié au loup», me confie un responsable américain. En 2007, la Turquie a tenté de négocier la normalisation des relations entre la Syrie et Israël, mais M. Al-Assad a fait preuve de réticence au dernier moment. Les Israéliens savent que Bachar al-Assad ne changera pas de comportement et ne perdront donc pas leur temps à mener des discussions futiles.
Le plan émirati vise à normaliser les relations petit à petit, ce qui signifie que les Émirats feront un pas vers M. Al-Assad à chaque fois qu’il fera une concession, et vice versa. Mais Bachar al-Assad obtiendra d’eux ce qu’il voudra, puis il trouvera une excuse pour entraver le processus. Cette tactique est déjà visible dans le comportement de sa délégation au Comité constitutionnel syrien; cette dernière continue de trouver des raisons de bloquer les négociations et de ne pas s’engager du tout. En même temps, la délégation veut donner l’impression qu’elle mène des négociations, alors qu’en réalité, elle n’a aucune intention de transiger sur quoi que ce soit, et elle ne témoigne jamais de bonne volonté.
Les ouvertures arabes précédentes n’ont produit aucun résultat. Les Émiratis ont rouvert leur ambassade en 2018 et ont prêté main forte au régime, mais leur soutien n’a entraîné aucun changement de comportement. Refaire la même chose encore et toujours, tout en s’attendant à des résultats différents, relève de la folie. Tout comme s’ouvrir à M. Al-Assad dans l’espoir de percevoir un changement au niveau du comportement.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheure affiliée à l’Institut Issam Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com