L’une des tâches les plus ingrates, au sein des Nations unies, consiste à mendier auprès des donateurs internationaux. Dans ce domaine, peu de chefs d’institutions doivent relever un plus grand défi que le commissaire général de l’Office de secours et de travaux des nations unies (Unrwa), un organisme créé spécifiquement et uniquement pour répondre aux besoins des réfugiés palestiniens après la Nakba (exode palestinien, NDLR) de 1948.
En 2021, l’Unrwa reste actif dans cinq zones: la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il est au service de 5,7 millions de réfugiés, soit 21% de la population mondiale des réfugiés. La question se pose: combien de membres du Congrès américain ou de parlementaires européens sont au courant de cette situation?
Philippe Lazzarini est le quinzième commissaire général de l’Unrwa. Il a repris son rôle de mendiant, à Londres cette fois; il a l’air fatigué et désespéré. S’il sollicite l’aide des donateurs avec autant d’insistance que ses prédécesseurs, il a toutefois perdu tout espoir de sauver l’agence. L’Unrwa fait face à «une véritable menace existentielle», pour reprendre les propos de Lazzarini. Il ne sait même pas s’il sera en mesure de payer les salaires à la fin du mois.
Cet organisme vaut-il vraiment la peine d’être sauvé? Faut-il le laisser disparaître, soixante et onze ans plus tard? Sous le mandat de Donald Trump, les États-Unis ont tristement mis fin au financement, bien que la majeure partie de cet argent soit de nouveau allouée à l’agence. Même des donateurs historiquement généreux comme le Royaume-Uni ont réduit leurs financements. La contribution de Londres est passée de 92,7 millions de dollars (1 dollar = 0,86 euro) en 2018 à seulement 39,1 millions de dollars en 2021.
En organisant une conférence de soutien à l’Unrwa la semaine prochaine à Bruxelles, la Suède et la Jordanie jouent leur dernière carte. Il semble que ce soit davantage un moyen de cautériser la plaie que de remédier au problème.
La meilleure façon de voir les choses est peut-être de se demander comment ces pays hôtes s’en tireraient s’ils devaient reprendre le rôle de l’Unrwa. Certes, cet organisme remplit une fonction humanitaire vitale, mais il agit également comme une force stabilisatrice dans chacun des cinq pays où il se trouve. Il ne s’agit pas d’un organisme classique des Nations unies, mais d’un fournisseur de services semblable à un État. Qui dirigerait les quelque sept cents écoles et prendrait en charge les cinq cent cinquante mille enfants?
Commençons par Gaza. Comment réagiront les donateurs lorsque le Hamas devra reprendre le rôle éducatif de l’Unrwa en assurant la scolarisation de trois cent mille élèves? Il est fort peu probable que le groupe islamiste adhère aux valeurs de l’agence ou applique, par exemple, le programme des droits de l’homme, de la résolution des conflits et de la tolérance que l’Unrwa a mis en place depuis 2000. Par ailleurs, qui nourrirait le million de réfugiés à Gaza qui dépendent de l’aide alimentaire de l’Unrwa?
Dans le cas de la Cisjordanie, l’Autorité palestinienne traverse également une crise financière. Si l’Unrwa venait à disparaître, il serait difficile d’imaginer comment elle pourrait y faire face. Est-ce qu’Israël veut véritablement risquer le chaos à sa porte? Certains politiciens israéliens le souhaitent peut-être, mais les plus sages veulent préserver un certain calme parce qu’ils sont conscients qu’un service d’éducation et de santé fonctionnel pour les réfugiés est une chose importante.
À Gaza, l’Unrwa connaît le fardeau supplémentaire des bombardements israéliens périodiques qui rasent certaines zones, y compris celles des camps de réfugiés. On se contente de faire abstraction de ces avertissements. Lorsqu’il y a un conflit, l’organisme est mis de côté, mais c’est ensuite à lui qu’incombe la tâche de recoller les morceaux une fois que les bombes et les obus ont cessé de tomber.
En outre, Israël, en tant que puissance occupante à Gaza et en Cisjordanie, est directement responsable du bien-être de 5,3 millions de Palestiniens. Si l’Autorité palestinienne et l’Unrwa s’effondraient simultanément, ce serait à Israël de combler les lacunes.
Sans doute les donateurs aimeraient-ils voir les services d’éducation et de santé destinés aux réfugiés transférés au régime syrien, qui, en plus d’être en faillite, est responsable de la destruction de zones entières des camps de l’Unrwa au cours des dix dernières années? Les réfugiés palestiniens doivent-ils être laissés à la merci d’un régime qui a pris des écoles et des hôpitaux pour cibles? Dans ce pays, l’Unrwa souffre de la réticence des donateurs à financer le redressement et la reconstruction.
Sans l’Unrwa, qu’adviendrait-il des deux cent dix mille réfugiés palestiniens qui luttent pour survivre au Liban? Le gouvernement libanais n’est même pas en mesure d’assurer l’approvisionnement du pays en électricité; il est sur le point de s’effondrer. Les autorités libanaises ont déjà imposé des restrictions inhumaines aux réfugiés palestiniens en les empêchant, par exemple, d’exercer un grand nombre de métiers. Un rapport publié cette année montre que, au Liban, les réfugiés palestiniens ont trois fois plus de chance de succomber à la Covid-19.
L’Unrwa doit justifier chaque centime dépensé et tout propos publié. Des groupes antipalestiniens attaquent l’agence dès que quelque chose ne va pas, ce qui fait de l’Unrwa l’organisme le plus surveillé de la planète. Ces mêmes groupes essaient systématiquement de salir sa réputation. Beaucoup de ces organisations veulent simplement que les réfugiés disparaissent, qu’ils soient réintégrés dans les populations des pays d’accueil et que soit ainsi effacée leur identité palestinienne.
La polémique récente autours des manuels scolaires est une insulte anti-Unrwa caractéristique. Des groupes antipalestiniens avancent que ces manuels constituent une incitation à la haine et à l’antisémitisme. Ce serait choquant si c’était vrai; mais l’Unrwa ne dispose pas de manuels. Cela vaut la peine d’être répété, parce que les mensonges ont fait le tour du monde des centaines de fois: l’Unrwa ne dispose pas de manuels. En réalité, cet organisme n’a pas le droit d’en avoir, selon les directives de l’ONU, puisqu’il doit utiliser les manuels et les programmes scolaires des pays d’accueil. Il ne peut pas non plus les modifier, car il est question de souveraineté nationale. De surcroît, les affirmations loufoques de groupes antipalestiniens au sujet des manuels de l’Autorité palestinienne ont été largement démenties par un récent rapport universitaire financé par l’Union européenne, qui a conclu que, dans l’ensemble, les manuels étaient conformes aux normes de l’Unesco.
Les commissaires généraux ne devraient plus jouer le rôle de mendiants, mais de leaders sur le terrain afin de construire un avenir pour ces millions de réfugiés palestiniens.
Chris Doyle
Certes, il faudrait mettre un terme à l’existence de l’Unrwa. Il est scandaleux de constater que, sept décennies plus tard, cet organisme est toujours opérationnel et nécessaire. Son existence représente un acte d’accusation accablant contre l’échec absolu de la communauté internationale à résoudre la question de la Palestine et, en particulier, son mépris pour les droits légitimes et inaliénables des réfugiés palestiniens.
Cependant, dans la mesure où le règlement du conflit est, pour le moment, complètement utopique et que le processus de paix a été remplacé par un processus d’annexion, la communauté internationale des donateurs se doit de se montrer généreuse et de trouver un moyen pour que cet organisme de première classe puisse aller de l’avant sans avoir à mendier chaque année. Ce n’est pas un modèle durable. Les commissaires généraux ne devraient plus jouer le rôle de mendiants, mais de leaders sur le terrain afin de construire un avenir pour ces millions de réfugiés palestiniens qui, sans eux, ne pourraient en avoir.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com