La campagne électorale en France a bien entendu remis sur le devant de la scène la problématique du hijab et de son port par les Françaises de confession musulmane. La scène où Éric Zemmour, candidat classé à l’extrême droite, demande à une femme de retirer son voile, a fait le tour des médias et la question de ce marqueur religieux est bien évidemment revenue dans les débats politiques.
Dans mon livre sur l’intégration des femmes d’origine nord-africaine, je pose bien entendu la question du ressenti que ces managers bien intégrées ont vis-à-vis de ce débat. Quand je leur demande ce qui, selon elles, peut pousser les femmes à se voiler, elles me répondent qu’il s’agit de l’aboutissement d’un cheminement spirituel et religieux, d’un choix librement consenti. Toutefois, quand, plus loin dans l’entretien, je les interroge sur l’augmentation assez récente du nombre de jeunes femmes voilées en France, la réponse est différente. Il s’agirait, selon elles, d’une «réaction» à un rejet de la société française vis-à-vis de ces femmes.
Surpris par ces deux explications, sans lien apparent entre elles, j’ai soumis le résultat de mes recherches à la sociologue Soraya Rachedi, dont les travaux sur le voile brillent par la distance qu’elle parvient à mettre avec l’objet de ses recherches et par la hauteur de vue de son analyse de terrain, en lui demandant comment on pouvait avoir deux explications si diverses.
Soraya Rachedi confirme qu’il y a une multiplicité de facteurs qui peuvent pousser de jeunes Françaises à se voiler: l’un qui est spirituel, l’autre lié à l’environnement.
Pour Soraya Rachedi, qui a interrogé des dizaines de Françaises voilées, l’argument du cheminement spirituel est tout à fait valide et c’est celui qui revient dans le discours exprimé par les femmes qu’elle a elle-même interrogées. Toutefois, dès que l’on creuse un peu la question, on s’aperçoit que ce choix est souvent influencé, en France, par deux facteurs. D’abord, la sociologue confirme que des jeunes femmes peuvent se retrouver en quête d’identité, se sentant rejetées par une société dont elles n’ont pas tous les codes. Cela peut être le cas lors de l’accès aux études supérieures où elles se retrouvent confrontées à une population qui n’a pas les mêmes codes qu’elles. Il peut aussi s’agir d’une conséquence de l’hystérisation du débat sur le voile, qui incite des têtes d’affiche médiatiques à en faire un argument politique, souvent pour rejeter leur religion. Dans ce cas, on pousse ces jeunes femmes à se tourner vers un milieu qui leur semble plus accueillant et favorable: celui d’un islam qui semble les écouter et donner un sens à leur existence.
Soraya Rachedi confirme qu’il y a donc une multiplicité de facteurs qui peuvent pousser de jeunes Françaises à se voiler: l’un qui est spirituel, l’autre lié à l’environnement.
En réalité, quand on écoute la sociologue, les acteurs de l’islam de France sont souvent débordés par ces prêcheurs en ligne qui savent exploiter les codes de la jeunesse.
Toutefois, elle insiste sur le fait que le voile doit rester une option, un choix. Cette fine connaisseuse de la jurisprudence islamique et des milieux des prédicateurs en ligne se montre assez sévère avec le discours, porté par des figures de proue de l’islamisme des réseaux sociaux, selon lequel le voile serait obligatoire, ce qui est contredit par la quasi-totalité des savants, y compris dans le Golfe. Or, le mouvement visant à convaincre les jeunes femmes qu’une bonne musulmane est forcément voilée est très puissant, des dizaines de vidéos de prêcheurs islamistes circulent et sont très regardées et commentées, notamment par un public de jeunes femmes en quête d’identité. Ils orientent ces dernières dans une vision erronée et extrêmement contraignante de la religion.
En réalité, quand on écoute la sociologue, les acteurs de l’islam de France sont souvent débordés par ces prêcheurs en ligne qui savent exploiter les codes de la jeunesse. Pourtant, leurs arguments sont rapidement mis à mal par des islamologues plus posés et nettement moins militants comme Mohammed Bajrafil. Le vrai problème est que ces islamologues appartiennent à une sphère intellectuelle moins connectée à la jeunesse que ceux, au discours plus radical, qui maîtrisent très bien les codes des réseaux sociaux et parviennent à convaincre la jeunesse plus aisément.
Alors comment faut-il s’y prendre? Soraya Rachedi indique qu’au cours de la période récente, il semblerait que nous assistions à un certain reflux de l’influence de ces prêcheurs et un retour dans la sphère de l’islam de France de personnalités plus savantes, modérées et au discours plus compatible avec la pratique d’un islam plus équilibré, moins revendicatif et politique. Encore faut-il que les pouvoir publics français parviennent, en parallèle de ce mouvement qui semble s’esquisser, à réduire les situations où des jeunes femmes ou de jeunes hommes peuvent se sentir rejetés ou déconnectés de la société qui est aussi la leur. C’est tout l’intérêt d’une refonte en profondeur de la politique d’intégration à la française, qui est l’objet de mon dernier livre.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.
TWITTER: @LacheretArnaud
NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.