Si l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et ses environs le mois dernier a paralysé la capitale du Liban, elle a également rendu le pays plus vulnérable que jamais. L'histoire du Liban post-colonial n'a pas été une histoire d'indépendance.
C’est une chronique d'ingérence des puissances internationales et régionales. Que ce soit les Marines américains et les tanks israéliens dans les années 1980 ou la milice soutenue par l'Iran et les assassinats commis par la Syrie plus récemment, le Liban a été le théâtre de tentatives répétées de la part de pays étrangers assoiffés d’étendre leur influence sur le pays.
Alors que les présidents français et turc parlent désormais en termes paternels au sujet de leur ancienne colonie, beaucoup se demandent si le Liban a de la place pour une autre puissance étrangère.
Compte tenu du gouffre politico- économique dans lequel le Liban se trouvait auparavant, l'explosion a mis à genoux un pays qui était déjà en difficulté. L'entrée de la France et de la Turquie dans la mêlée politique libanaise a certes mis en évidence la vulnérabilité du pays devant de tels efforts. Cependant, elle a également marqué un tournant important dans ce qui pourrait être une complication majeure des conflits par procuration que le pays abrite.
Le voisinage du Liban n'a jamais été simple. A la suite des turbulences régionales et du rôle historique du Liban comme extension du conflit israélo-palestinien, le pays s'est trouvé, au cours des deux dernières décennies, au centre des efforts des puissances hégémoniques régionales qui cherchent à étendre leur emprise sur l'ensemble de la région.
Les fractures interconfessionnelles sont souvent accusées à tort d’être responsables des problèmes du pays. Toutefois, en réalité, ce sont les schémas politiques régionaux qui ont contribué plus que d’autres à exacerber les différends religieux du pays.
Un nombre de facteurs a contribué au malaise actuel : le rôle joué par l'Amérique, puis par Israël dans les années 1980, suivi des tentatives de la Syrie et de l'Iran d’empêcher le Liban de devenir un État confiant et stable. De plus, les événements récents sont venus attirer de nouvelles interventions étrangères.
Il y a deux semaines, le président français Emmanuel Macron s'est rendu à Beyrouth pour marquer le centenaire de la création du Liban moderne. Cette visite, sa deuxième depuis l'explosion, a donné tous les signes d'un réengagement colonial.
Elle a été un développement intéressant, voire compliqué surtout, cent ans après que des fonctionnaires français se sont assis dans la magnifique Résidence des Pins de Beyrouth pour évoquer le Liban de la Grande Syrie autrefois. Macron, en tant que président de l'ancienne puissance coloniale, cherche clairement à influencer les événements qui ont suivi la récente explosion.
Depuis que la France a été invitée à rejoindre le Conseil de sécurité de l'ONU pour la première fois (après avoir capitulé devant l'Allemagne nazie), elle ne parvient pas à montrer sa pertinence sur la scène internationale. Exploiter les problèmes des états faibles pour embellir son statut de grande puissance a toujours été au cœur de la politique étrangère française.
En se précipitant sur les lieux de l'explosion de Beyrouth dans les 24 heures qui ont suivi, Macron a montré que le président libanais Michel Aoun était incompétent et qu'il n'avait pas le courage politique de soutenir son peuple dans les moments difficiles.
Macron parlait quasiment au nom de tous en appelant à bousculer les pratiques corrompues du Liban ainsi que la bande de politiciens kleptocrates qui ont fait des fortunes aux dépens des citoyens libanais. Ses efforts ont été largement salués. D’autant plus que 70 000 Libanais ont signé une pétition appelant étonnamment au retour à un mandat français.
Compte tenu de la situation économique difficile, en particulier dans le secteur des hydrocarbures, tout l'épisode a montré que l'influence traditionnelle de l'Iran a été réduite, offrant une ouverture à des pays comme la France et la Turquie.
L'ingérence d'une nouvelle puissance ne rassurera en aucune sorte les Libanais fatigués par les machinations des étrangers sur leur sol.
Zaid M. Belbagi
Un développement incroyablement intéressant vient s’ajouter à la scène : l'intervention d'une autre puissance coloniale, la Turquie, dont les ancêtres ottomans ont régné sur le territoire pendant des siècles. Quoique bien intéressante, cette évolution préoccupe plusieurs Libanais. Elle ne rassurera guère les Libanais abattus par les trop différentes interventions sur leur sol.
Il est vrai que les efforts de la Turquie se soient concentrés sur la fourniture d'une aide indispensable alors. La France, quant à elle, a axé son initiative sur la reconstruction et la garantie que l'aide ne soit pas canalisée dans des combines corrompues. Néanmoins, la réémergence des deux puissances coloniales du Liban est inquiétante.
Cependant, vu le statut déjà préoccupant du Liban, il est incapable de résoudre ses problèmes sans aide étrangère. D’un autre côté, l’un des arguments veut que si la Turquie et la France avaient fourni l'aide que les puissances coloniales doivent aux pays dont elles se sont retirées, le Liban ne serait peut-être jamais devenu le terrain de jeu de puissances régionales moins responsables.
En effet il serait intéressant d’observer comment les deux pays vont se réengager au Liban, notamment durant la conférence des pays donateurs que le président français entend organiser.
Certes, les deux pays ont tenu à montrer qu'ils n'interviennent pas dans cette région qui a vu se succéder des états faibles à la merci d'intérêts étrangers. Toutefois, ils devront faire de grands efforts pour que leur influence soit administrée avec soin.
Ils feraient bien de se concentrer sur la reconstruction et de permettre le développement au Liban, ce qui lui accordera la confiance qu'il était censé avoir, plutôt que d’exploiter la crise actuelle pour régler leurs comptes politiques en Méditerranée.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe. Twitter : @Moulay_Zaid
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur www.ArabNews.com